Malabo et son double

Symbole du décollage économique du pays, une nouvelle capitale va sortir de terre à proximité immédiate de l’ancienne. Grâce au pétrole, bien sûr…

Publié le 15 septembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Nouvel eldorado pétrolier, la Guinée équatoriale est aujourd’hui le troisième producteur de brut d’Afrique subsaharienne : près de 400 000 barils par jour. Et son Produit intérieur brut (2,3 milliards d’euros) a été multiplié par vingt en dix ans. Pourtant, à Malabo, les effets de cet enrichissement rapide ne sont pas forcément visibles au premier coup d’oeil. Avec ses rues étroites et par endroits défoncées, ses façades décrépies et ses bâtiments pas toujours très fonctionnels, la capitale a des airs de bourgade assoupie. Il faut y avoir déjà vécu pour apprécier l’ampleur des changements.
« En 1996, il n’y avait pratiquement pas de routes goudronnées et, d’ailleurs, très peu de voitures en circulation, se souvient Vlastimir Radovic, un entrepreneur yougoslave qui dirige la société de construction Sogeco. Aujourd’hui, les routes sont toutes bitumées, la voirie a été refaite, les bâtiments poussent comme des champignons et les cartons débordent de projets. » Attirés par l’odeur du pétrole et celle de l’asphalte, les expatriés affluent et les prix des loyers flambent : jusqu’à 600 000 F CFA (925 euros) pour un appartement très ordinaire, 2 millions pour une villa. Les Équatoguinéens sont les premiers bénéficiaires de cette spirale inflationniste. En huit ans, le salaire minimum a quadruplé pour atteindre 90 000 F CFA.
Parmi les grands projets en cours, le plus ambitieux est sans conteste celui de la ville nouvelle de Malabo 2, voulu et porté à bout de bras par le président Theodoro Obiang Nguema Mbasogo. La population de la capitale est actuellement de 130 000 habitants. Et elle est appelée à doubler d’ici à vingt ans. Le problème est que Malabo, totalement dépourvu d’infrastructures modernes, est d’ores et déjà au bord de la congestion. Avec l’apparition de la manne pétrolière, les autorités ont donc été placées devant un choix difficile : fallait-il réhabiliter la ville de fond en comble ou en construire une nouvelle, à sa périphérie ? C’est la seconde solution qui a été retenue. Pour au moins deux raisons :
– elle évite d’avoir à procéder à des expropriations, toujours coûteuses et impopulaires ;
– elle permet de préserver le patrimoine architectural du centre historique, l’ancienne Santa Isabel espagnole.
Construite par la société française Bouygues, une autoroute reliera le nouvel aéroport (il a été inauguré à la fin du mois d’août) à la capitale, qu’elle ceinturera. La ville nouvelle sera édifiée le long de cet axe routier, sur des terrains aujourd’hui en friche. Les travaux devraient démarrer dans environ deux mois et les premiers bâtiments être livrés en 2005 au plus tard. Il s’agit de la cité administrative, du siège de la société nationale GE Petrol (un immeuble de treize étages) et celui du Parlement de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). C’est l’architecte sénégalais Pierre Goudiaby, fondateur du groupe ATEPA et auteur de très nombreuses réalisations sur le continent – les palais de feu Mobutu Sese Seko à Kinshasa et à Gbadolite, la Porte du Millénaire, sur la corniche de Dakar… -, qui a remporté une grande partie du marché. D’autres constructions sont à l’étude, en particulier le nouveau siège de la Caisse commune d’épargne et d’investissement (CCEI Bank), le premier établissement bancaire du pays, et un centre de conférences d’une capacité de 1 200 places. Ce dernier bâtiment, dont la forme évoque irrésistiblement celle d’une tortue, pourrait, le cas échéant, accueillir un futur sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie. Car la Guinée équatoriale, qui entretient avec l’Espagne des relations compliquées, n’a pas ménagé ses efforts pour se rapprocher de la France et de l’espace francophone. En 1985, elle a ainsi adhéré à la zone franc et fait du français sa langue officielle, à égalité avec l’espagnol (cette dernière langue restant de loin la plus pratiquée).
Mais le projet Malabo 2 ne se limite pas à la cité administrative, dont le coût final devrait avoisiner 100 millions de dollars. Il comprend également plusieurs ensembles de logements sociaux haut de gamme destinés à la fois aux habitants des bidonvilles du centre-ville et à de nouveaux arrivants. Quand ces logements seront disponibles, les quartiers insalubres de Malabo pourront être évacués. L’espace libéré sera utilisé pour embellir les abords de la ville historique.
L’accord récemment conclu avec l’Espagne concernant la restructuration de la dette va permettre de convertir une partie de cette créance (37 millions d’euros) en investissements sociaux. Mais le gros de la facture sera pris en charge par le budget de l’État, sur fonds propres. « Partout ailleurs en Afrique centrale, le secteur de la construction bat de l’aile, faute de liquidités, explique un homme d’affaires. La Guinée équatoriale est le seul marché dynamique et solvable de la sous-région. » Pourtant, eldorado ou pas, les difficultés ne manquent pas. L’île de Bioko, où se trouve la capitale, souffre de son enclavement. « Il n’y a rien ici, ni engins mécaniques ni matériaux de construction, sable notamment. Il faut tout faire venir par bateau, raconte Ousmane Ndoi, le directeur de l’antenne d’ATEPA à Malabo. Et comme le port est trop petit, les délais de livraison peuvent être importants. Le coût de la construction est supérieur de 30 % à ce qu’il est à Douala. Et deux fois plus cher qu’à Dakar. Il faut s’adapter : c’est l’expérience du terrain autant que le savoir-faire qui fait la différence. »
Le directeur technique d’ATEPA sait de quoi il parle. En 1998, à l’occasion d’une réunion de la CEMAC, sa société a réussi son entrée sur le marché en réalisant dans des délais records une salle de conférences de six cents places et un ensemble résidentiel de seize villas. Les ouvriers (sénégalais) ont travaillé jour et nuit pour mener à bien le chantier avec seulement deux mois de retard, ce que toutes les autres entreprises avaient jugé impossible.
Au-delà du défi technique, Malabo 2 répond aussi à une nécessité politique. Passés de mode partout ailleurs en Afrique, les grands travaux ont ici les faveurs des décideurs.
« L’indépendance devait marquer le début du décollage du pays, explique Federico Edjo Ovono, recteur de l’université. Hélas ! à cause de la dictature de Macias Nguema, le rêve a viré au cauchemar. Les conditions de vie se sont dégradées, les infrastructures ont été laissées à l’abandon et la ville a commencé à tomber en ruine. Longtemps, les Équatoguinéens ont été regardés comme les parents pauvres de la sous-région. Après 1979, les autorités ont bien tenté de redresser la situation, mais l’argent manquait. La manne pétrolière nous offre aujourd’hui l’occasion inespérée de procéder à un rattrapage, de rompre avec un passé fait d’humiliations. En même temps, la découverte du pétrole a suscité d’immenses attentes. Les gens veulent voir concrètement les retombées du miracle géologique. Or l’impact psychologique de la construction d’une ville nouvelle est beaucoup plus fort que celui d’une simple réhabilitation. »
Agustin Nzé Nfumu, le ministre de l’Information, du Tourisme et de la Culture (par ailleurs ancien secrétaire général du PDGE, le parti au pouvoir), ne dit pas autre chose : « L’impact du pétrole sur la vie des gens doit être visible. Avec la construction d’une nouvelle capitale fonctionnelle et futuriste, il le sera assurément. »
Dans l’esprit de ses promoteurs, Malabo 2 doit donc aussi symboliser la réussite du décollage économique de la Guinée équatoriale, servir de modèle et de stimulant. Ce n’est qu’ainsi que les Équatoguinéens surmonteront définitivement leur complexe de « derniers de la classe » hérité des années Macias Nguema.

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