Lula fâche les siens

Pour faire adopter certaines réformes, le président n’hésite pas à s’appuyer sur la droite. Quitte à semer le trouble dans son propre camp.

Publié le 15 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Et de deux ! Une semaine après avoir fait approuver par le Parlement – avec le soutien de la droite – sa réforme très controversée de la sécurité sociale et du régime des retraites, le gouvernement brésilien a réussi à faire adopter, le 3 septembre, sans trop de difficulté cette fois, son grand projet de réforme de la fiscalité.
Le président Lula passe ainsi avec succès son deuxième grand test parlementaire, alors que sa formation, le Parti des travailleurs (PT), semble chaque jour un peu plus divisée face à la politique « néolibérale » du gouvernement. Dès le 8 juillet, les syndicats de fonctionnaires, qui avaient voté à 95 % pour Lula lors de la présidentielle, et dans lesquels militent un grand nombre de membres du PT, ont déclenché grèves et manifestations pour protester contre l’alignement de leur régime de retraite sur celui du privé, comme le prévoit le projet de loi.
La refonte de la fiscalité, elle, a nécessité de nombreuses tractations et d’intenses négociations, notamment avec les puissants gouverneurs des vingt-sept États fédérés de la République, Lula ayant demandé à son ministre des Finances, Antonio Palocci, de « négocier jusqu’à la dernière minute ». Grâce au soutien décisif de son allié de centre droit, le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), la coalition gouvernementale dirigée par le PT de Lula a donc voté en bloc le texte proposé.
Cette nouvelle loi, que le président de la Chambre des députés, João Paulo Cunha (PT), présente comme une « réforme importante qui permettra de lutter contre la corruption et l’évasion fiscale », prévoit, en outre, la création d’un Fonds de développement régional et celle d’un Fonds de compensation aux exportations. Elle devrait également mettre un terme aux inégalités fiscales entre les États, qui se livraient jusqu’à présent une véritable guerre pour attirer les investisseurs.
Après ces deux succès, la presse brésilienne n’a pas manqué de souligner qu’en huit mois l’ancien militant syndicaliste a réussi à faire adopter deux réformes considérées comme essentielles pour relancer la croissance, alors que son prédécesseur de centre droit, Fernando Enrique Cardoso, n’y est pas parvenu en huit ans. Il est vrai qu’il s’était heurté à chaque fois au puissant PT, résolument opposé, alors, à toute remise en cause des acquis dans la fonction publique. On le constate une fois de plus : au Brésil, comme sous d’autres cieux, certaines réformes de « droite » passent plus facilement lorsqu’elles sont conduites par un gouvernement de gauche. Mais pour Lula, qui a déclaré haut et fort, le 26 août à Caracas (Venezuela), qu’il n’appréciait pas d’être « catalogué à gauche », ces réformes étaient « indispensables » et il fallait avoir « le courage de les mener à bien ».
Le lendemain du vote, le 4 septembre, dans un discours prononcé devant le Conseil de développement économique et social, il a rendu un vibrant hommage au Parlement pour son comportement « exemplaire » et fait l’éloge d’un gouvernement qui a su rompre avec une vieille tradition brésilienne, celle du « donnant-donnant ».
Lula ne semble donc pas s’inquiéter outre mesure du vent de révolte qui souffle sur le Parti des travailleurs, dont une dizaine de députés avaient apporté leur soutien aux fonctionnaires grévistes en juillet. Une partie d’entre eux sont même allés jusqu’à voter contre la réforme, passant outre les consignes lancées par la direction du PT à tous ses élus. Aux « radicaux », qui représentent près de 30 % des 93 députés PT, se sont même ajoutés, à mesure que montait la protestation, des élus « modérés » qui, il n’y a pas si longtemps, dirigeaient divers syndicats aux côtés de Lula.
Aujourd’hui, trois élus du PT sont menacés d’exclusion. La sénatrice Heloisa Helena, qui avait déjà fait l’objet de sanctions pour s’être opposée à la nomination d’un fidèle de l’ancien président à la tête de la Banque centrale, est de ceux-là, mais aussi la députée Luciana Genro, qui n’est autre que la fille de Tarso Genro, l’ancien maire de Porto Alegre, actuellement secrétaire d’État au Conseil de développement économique et social. Quant aux huit abstentionnistes, ils ont été suspendus de leurs fonctions pour une période de deux mois. Les trois « dissidents » ont d’ores et déjà annoncé leur intention de s’organiser dans un nouveau parti, le Parti des travailleurs socialistes, si leur exclusion était confirmée. De quoi modifier quelque peu le paysage politique brésilien, même si, pour l’heure, à en croire les derniers sondages, la cote du plus charismatique des présidents d’Amérique latine continue de se maintenir au sommet.
On peut se demander, par exemple, si l’unité déjà ébranlée du PT pourra résister aux autres projets que le gouvernement se propose de mettre en oeuvre. Parmi lesquels figurent en bonne place la réforme agraire, attendue avec impatience par le Mouvement des paysans sans terre (MST), et celle portant sur la législation du travail. Ils étaient plus de 50 000 fonctionnaires, le 6 août, à forcer à coups de bâtons les portes du Parlement pour empêcher les députés d’approuver, en première lecture, la réforme de la sécurité sociale. Sans doute seront-ils plus nombreux encore à exiger une accélération de la réforme agraire et le démantèlement des fazendas, ces immenses propriétés terriennes qui couvrent 178 millions d’hectares – la moitié d’entre elles ne sont pas cultivées – et que détiennent 27 000 propriétaires, rejetant ainsi dans la misère et les campements provisoires plus de 140 000 familles. Lula a eu le courage d’affronter les travailleurs pour gagner la confiance des marchés. Aura-t-il le cran de s’attaquer à la caste féodale des fazendeiros pour répondre aux attentes des laissés-pour-compte du monde rural ?

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