L’été des Algériens

Les visiteurs venus d’Alger, d’Oran ou d’Annaba n’ont jamais été aussi nombreux sur les plages tunisiennes. Pourquoi un tel engouement ?

Publié le 15 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Il y avait de l’émotion dans l’air sur le port de La Goulette, près de Tunis, en ces derniers jours du mois d’août. Des rires, des larmes et des embrassades. Des au revoir à n’en plus finir. À la fin, chacun est remonté dans sa voiture. Les uns ont embarqué à bord du ferry Le Carthage, en partance pour Marseille. Les autres ont pris la direction de l’Ouest. Cet été, de très nombreux Algériens ont choisi de passer leurs vacances en Tunisie. En famille.
Sur l’avenue Habib-Bourguiba, à Tunis, Saadia, une jeune avocate stagiaire, déambule avec sa soeur et sa cousine. Les jeunes femmes sont venues d’Annaba en taxi. Savent-elles qu’il est 2 heures du matin ? « C’est vrai, chez nous, nous n’aurions jamais pu sortir à une heure pareille », admettent-elles. Demain, elles iront à Hammamet, puis à el-Kantaoui, où elles logeront dans une pension de famille : « Nous y resterons aussi longtemps que nos économies nous le permettront. »
Le temps d’un été, les Algériens ont très pacifiquement envahi la station balnéaire de Tabarka, à quelques kilomètres de la frontière. Du 23 au 30 août, lors du World Music Festival, combien étaient-ils à écouter Idir, le célèbre chanteur kabyle ? Beaucoup, assurément. Geste sympathique, dix-huit jeunes sinistrés de Boumerdès, l’une des villes qui a le plus souffert du terrible tremblement de terre du mois de mai, ont été invités, dans le cadre des échanges entre les deux pays, à passer la dernière semaine du mois d’août en Tunisie.
Avec plus de cinq millions de visiteurs, la Tunisie est, de loin, la destination la plus populaire d’Afrique. Mais jamais elle n’avait connu un tel afflux de touristes algériens. Au cours des sept premiers mois de l’année, les autorités en ont recensé quelque 352 000, soit 13 % de plus que pendant la même période de l’an dernier. Et le mouvement s’est encore accéléré au mois d’août. Du coup, le ministère du Tourisme table sur plus de 800 000 visiteurs algériens à la fin de l’année, compte non tenu des titulaires d’un passeport français. Seuls les Libyens et les Français devraient faire mieux. En revanche, les Allemands ont massivement déserté (- 30 %) les plages de Gammarth, Yasmine-Hammamet, Kantaoui et Monastir. Par crainte d’un éventuel attentat terroriste.
Pourquoi les Algériens sont-ils aussi nombreux à passer leurs vacances dans le pays voisin ? D’abord, bien sûr, en raison de la proximité géographique et de la multiplicité des moyens d’accès : route, air, mer et chemin de fer. Ensuite, à cause de la réputation de pays paisible qui est celle de la Tunisie. Enfin, parce que ce pays dispose d’infrastructures bien adaptées à ce type de clientèle. Les prix y sont beaucoup plus abordables que dans les pays européens, qui, de toute façon, ne délivrent de visas aux Maghrébins que de manière très sélective. Or les Algériens n’ont pas besoin de visas pour entrer en Tunisie. Mieux, la police des frontières et les douaniers ont fait, cette année, de gros efforts pour « fluidifier » le flux des visiteurs.
« L’augmentation du nombre des visiteurs algériens n’est pas une surprise, estime Mounir Ben Miled, le président de la Fédération des hôteliers tunisiens. Depuis des années, nous nous efforçons d’adapter notre produit touristique à ces clients qui viennent le plus souvent en famille. Ces familles veulent des villas, des apart-hôtels et fréquentent même, à l’occasion, les hôtels haut de gamme. Ce sont des clients très sérieux, et il nous appartient de faire en sorte qu’ils rentrent chez eux satisfaits. »
Jusqu’à tout récemment, les touristes algériens venaient en Tunisie en individuels. Ne bénéficiant pas de forfaits de groupe, ils payaient pratiquement deux fois plus cher qu’un Européen venu en voyage organisé. Il faut dire qu’aucune agence de voyages algéroise, ou presque, ne proposait de forfaits pour la Tunisie, alors qu’elles le faisaient pour certains pays d’Europe de l’Est et d’Asie, voire pour la Turquie. Les choses ont commencé à changer après la visite à Alger, au début de l’année, de Mondher Zenaïdi, le ministre tunisien du Tourisme. Le marché est en pleine restructuration et l’Office national du tourisme tunisien a par exemple ouvert une représentation à Alger. Selon Zied Ben Hassen, son directeur, une soixantaine d’agences algériennes proposent désormais des forfaits Tunisie. Reste qu’en l’absence de tour-opérateurs, des regroupements sont indispensables pour rendre ces forfaits plus fiables et moins coûteux.
Pour ce qui est des transports, la Compagnie algérienne de navigation a mis en service un ferry reliant Alger à Tunis, deux fois par semaine. L’opération a bien marché au mois d’août, même si le bâtiment en question, loué à un armateur turc, s’est révélé vétuste. Autre louable initiative : la réouverture de la ligne de chemin de fer entre Tunis et Annaba. Dommage que la climatisation des wagons n’ait pas été assurée ! En revanche, le trafic charter est resté inexistant : les compagnies privées tunisiennes Nouvel Air et Karthago ne sont pas parvenues à assurer des liaisons entre l’aéroport tunisien de Monastir et l’Algérie. Par ailleurs, les transporteurs publics Tunis Air et Air Algérie ont apparemment des difficultés pour s’adapter à la demande, même si la création d’un vol hebdomadaire entre la Tunisie et Oran est, dit-on, en projet.

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