L’exil à Oran

Avec « Panne de sens », le comédien Mouss Benia signe un livre lucide qui louvoie entre les clichés.

Publié le 15 septembre 2003 Lecture : 2 minutes.

Peut-on dire d’un livre qu’il est mignon ? Non ? Vous êtes sûr(e) ? Dommage. C’est le premier adjectif qui m’est venu à l’esprit quand j’ai reposé Panne de sens de Mouss Benia. Ce jeune comédien, qui a grandi à Poissy, dans l’ouest de Paris, publie son premier roman dans la collection Point Virgule des éditions du Seuil. « Sourire et s’émouvoir » sont les deux sentiments que nous garantit l’éditeur sur la quatrième de couverture. Promesse tenue !
Et pourtant, ça commence plutôt mal. Parce que le narrateur s’appelle Jilali, parce que c’est un petit Beur de banlieue qui a atteint l’âge des bêtises, l’auteur se croit obligé d’utiliser le vocabulaire adéquat : « je flippe », « ma daronne », « j’ai un djinn dans le derche », etc. Mais on s’y fait rapidement et dès lors, ça galope, le style devient plaisant et on se passionne pour les aventures de Jilali. Le voici en vadrouille avec son copain Stéphane. Les deux ados quittent les tours de leur banlieue triste, direction la Vendée, ses campings, ses plages, ses filles à bonimenter. Hélas ! l’argent vient bientôt à manquer. Que faire ? Rentrer à Paris la queue basse ? Sans même avoir connu l’amour ? Impossible ! Pour reconstituer son pécule, notre héros se met en tête de cambrioler – un tout petit peu – le supermarché du coin avec un certain Didier rencontré au camping. Mais l’expédition tourne au fiasco et voilà les deux gamins en garde à vue au commissariat.
Pendant ce temps, à Paris… Le père, un immigré qui trime dur depuis quarante ans et n’a jamais eu affaire à la force publique, « flippe » complètement et décide de renvoyer le fils indigne au pays. Émoi du gamin. « Comment ça ? Vous allez m’envoyer au bled ? Mais vous savez qu’ils tuent les gens, là-bas ! » Rien n’y fait, il faut embarquer. Jilali à Oran, c’est Tintin chez les Papous. Tout l’étonne ou l’effraie dans un pays dont il n’entend pas la langue. Mais l’instinct de survie reprend le dessus. Bientôt, il a tout compris, même si c’est avec ses références à lui qu’il l’exprime : « Pourquoi ces gens-là ont-ils voté pour le FIS en 1991 ? Ils voulaient changer de pouvoir, pas de garde-robe… Même si Lagaf’ s’était présenté, ils auraient voté pour lui. »
Petit à petit, un début de conscience sociale et politique commence à se faire jour dans le crâne du titi transplanté, qui finalement ne manque pas de jugeote. Comparant la France et cette Algérie qu’il ne connaissait pas, il commence à entrevoir la chance qu’il a d’être né du bon côté de la mare : « Quelle est la priorité ? Animer de faux débats sur le recalage des moricauds à l’entrée des boîtes de nuit ou bien obtenir le droit au travail et au logement décent ? » Si c’est le prix de la lucidité, on souhaite un tel aller-retour Paris-Oran-Paris à beaucoup de Jilali, de Rachid et de Mohamed…

Panne de sens, de Mouss Benia, Seuil, 180 pp., 3,95 euros.

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