La trêve à tout prix

Le président Omar Bongo demande aux syndicats de suspendre les grèves afin d’assainir les finances publiques. L’opposition dénonce une manoeuvre destinée à faciliter la réélection du chef de l’État dans deux ans.

Publié le 15 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

En mai dernier, le personnel de la Radiotélévision publique gabonaise (RTG1) se mettait en grève pour réclamer de meilleures conditions de travail. Le mois suivant, c’était au tour des agents hospitaliers de cesser leur activité à l’appel du Syndicat national des personnels de la santé (Synaps) pour exiger une revalorisation de leurs salaires. Et début juillet, les étudiants de l’université Omar-Bongo prenaient le relais, paralysant le campus de Libreville pour réclamer le paiement de leurs bourses par anticipation.
Les conflits sociaux se succèdent… et se ressemblent furieusement. Face à cette inflation des doléances, le chef de l’État s’est finalement résolu à demander une pause. Dans son discours prononcé le 16 août à l’occasion du quarante-troisième anniversaire de l’indépendance, Omar Bongo a réclamé la conclusion d’une « trêve sociale » nécessaire à la poursuite de l’assainissement des finances publiques. Alors que le gouvernement négocie actuellement la conclusion d’un accord avec le Fonds monétaire international, l’équipe de Jean-François Ntoutoume Emane a plus que besoin d’un cessez-le-feu sur le front social.
Une lettre d’intention adressée le 10 juin par le Premier ministre au FMI définit un vaste programme d’ajustement structurel, appuyé par une facilité de crédit élargi. Ce programme devait être approuvé par le conseil d’administration du Fonds le 5 septembre à Washington, mais la satisfaction de certaines conditions a obligé à reporter sa conclusion. Reste qu’après dix mois de négociations serrées le gouvernement ne peut en aucun cas se permettre un nouveau dérapage budgétaire alors qu’il aborde la dernière ligne droite. Pas question de lâcher du lest sur le plan social.
D’ores et déjà, le Conseil économique et social a appelé les partenaires sociaux à se rallier à la proposition émise au Palais du Bord de mer. Sous la houlette de la Confédération patronale gabonaise (CPG), les opérateurs privés y sont plutôt favorables. Reste à obtenir l’assentiment des syndicats, pour lesquels le droit de grève demeure le principal moyen de pression sur les pouvoirs publics.
Pourtant, le ralliement des principales organisations semble en bonne voie. Très implantée dans la fonction publique, l’Union des syndicats des administrations publiques, parapubliques et privées (USAP) paraît prête à jouer le jeu. Sa présidente Christiane Bitougat a toutefois pris la peine d’ajouter qu’« il revient au gouvernement, demandeur de la trêve, de fournir le plus gros effort en termes de concessions, ce malgré le fait que les partenaires sociaux tiennent compte des raisons qui motivent cette trêve sociale voulue par le chef de l’État ». Dans le sillage de l’USAP, la plupart des centrales syndicales semblent acquises à l’idée d’accorder un sursis au pouvoir, mais pas à n’importe quel prix. Elles réclament notamment la réduction du train de vie de l’État et son corollaire, le blocage des prix des denrées de première nécessité, la diminution des prix de matériaux de construction, ou encore la suspension des licenciements. Dans l’opposition, des voix s’élèvent pour réclamer une hausse substantielle du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), plafonné à 59 000 F CFA par mois (90 euros). Si cette revendication a peu de chance d’être satisfaite, le comportement de l’administration, censée donner l’exemple, sera déterminant. Certes, l’actuel gouvernement compte « seulement » quarante membres, contre soixante-treize il y a vingt ans. Certes, le dernier appel d’offres pour l’acquisition de véhicules de fonction a porté sur un lot de Peugeot 607, plutôt que des Mercedes, jugées trop onéreuses, précise le Premier ministre tout en reconnaissant qu’il est impératif de « sauver les apparences ». Ces sacrifices seront-ils jugés suffisants par les syndicats ?
Si les partenaires sociaux semblent plutôt conciliants, il n’en va pas de même avec la frange la plus radicale de l’opposition, incarnée par Pierre Mamboundou. Le président de l’Union du peuple gabonais (UPG) a tenu le 6 septembre une conférence de presse au cours de laquelle il a dressé un réquisitoire particulièrement sévère à l’égard du régime : « Le président de la République se sert des négociations avec le FMI pour faire diversion. Mais face à un État flambeur, il n’y a pas de répit à lui accorder. » Selon le chef de file de l’UPG, cette initiative ne vise qu’à permettre aux dirigeants de « consolider leur trésor de retraite » en neutralisant par avance toute velléité d’opposition : « La trêve sociale que le gouvernement demande aux partenaires sociaux pour une période de trois ans coïncide étrangement avec les prochaines échéances électorales [NDLR : la présidentielle doit se tenir à la fin de l’année 2005], et consiste à transformer les syndicats en agents électoraux du pouvoir. » Dans son sillage, le président du Parti gabonais du progrès (PGP), Pierre-Louis Agondjo Okawe, estime que les conditions d’une trêve ne sont pas actuellement réunies, mais suggère qu’à la place la classe politique gabonaise accepte « une réduction du nombre de parlementaires et des membres du gouvernement » pour améliorer les finances publiques.
Reste que les adversaires du consensus voulu par la présidence sont aujourd’hui très isolés, et Omar Bongo ne semble pas s’inquiéter de l’issue des négociations. En séjour privé dans la station balnéaire de Marbella, en Espagne, le président a laissé le soin au gouvernement de négocier la trêve, le dialogue social devant se clore le 16 septembre. Quant au chef de l’État, il a poursuivi son périple au Maroc, profitant d’une escale parisienne pour rendre visite à son homologue Jacques Chirac le 10 septembre.

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