« La fin du début »

Publié le 15 septembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Nous l’avons pressenti et écrit il y a deux ans, lorsque, au lendemain du 11 septembre 2001 et de l’agression dont son pays a été l’objet, le président américain George W. Bush a revêtu l’armure et claironné qu’il partait en « croisade » contre le terrorisme : la « guerre mondiale » qu’il a déclarée ce jour-là sera sans fin, exacerbera le terrorisme au lieu de le tarir, désorganisera les relations internationales, créera plus de problèmes qu’elle n’en résoudra.
Les vingt-quatre longs mois qui se sont écoulés depuis n’ont fait, hélas ! que valider notre pronostic :
– Deux guerres, celle d’Afghanistan et celle d’Irak, ont permis aux États-Unis d’abattre les régimes de ces pays, mais en faisant chaque fois des milliers de morts et beaucoup d’autres dégâts, sans déboucher jusqu’ici sur autre chose qu’une coûteuse occupation militaire et du provisoire.
– Un monde qui vit dans la hantise de l’acte terroriste, où la démocratie qu’on disait vouloir promouvoir a plutôt régressé, où s’aggravent les inégalités et l’injustice, où se multiplient les foyers de tensions et les affrontements armés.

Nous entrons aujourd’hui même dans la troisième année de cette guerre sans fin et sans résultat probant. Je voudrais tenter d’en éclairer certains aspects et, pour ce faire, je citerai longuement quelques-uns des meilleurs analystes anglo-saxons de la situation.
Tous affirment que la politique belliqueuse, unilatérale et arrogante inaugurée il y a deux ans, personnifiée aux États-Unis par G.W. Bush et son attelage de sinistres néoconservateurs et en Israël par Ariel Sharon et l’extrême droite du Likoud, semble avoir atteint ses limites.
Les architectes de cette mauvaise politique persévéreront et feront encore des dégâts parce que ces redoutables obtus disposent de moyens financiers et militaires considérables : tant qu’ils seront au pouvoir, leurs pays et le monde souffriront de leurs actes.
Mais il y a un élément nouveau et important qui me fait croire que nous sommes « à la fin du début » de cette guerre : les unilatéralistes sont en train de perdre l’appui de leurs opinions publiques et, par conséquent, de leur superbe. Le mouvement va, je pense et je l’espère, s’accélérer.
Les analyses que je cite ci-dessous signalent avec autorité et clairvoyance que cette évolution a commencé.
Michael Meacher, ministre de Tony Blair pendant six ans (et qui a démissionné du cabinet britannique en juin dernier pour marquer son désaccord avec la guerre d’Irak), a publié, le 6 septembre, dans The Guardian, le quotidien britannique le plus respecté, un article où il affirme sans ambages que les attentats du 11 septembre 2001 ont donné à l’équipe de G.W.Bush le prétexte attendu pour mettre en oeuvre un plan de domination du monde et même de l’espace, élaboré dès septembre 2000 : « La guerre mondiale contre le terrorisme n’est qu’un nom mythique donné à une vaste entreprise dont le but est l’hégémonie des États-Unis sur le monde par, entre autres, le contrôle physique des sources du pétrole… » écrit-il noir sur blanc.
(voir p. 15 une synthèse de l’article de Michael Meacher)
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Le professeur Jeffrey Sachs, que j’ai déjà cité et qui est directeur de l’Institut de la terre à l’université Columbia aux États-Unis, traite, lui, de la situation créée par l’occupation militaire de l’Irak :
« Le président Bush et son équipe croient que la situation se stabilisera peu à peu en Irak. […] Ils se font les mêmes illusions qu’Israël en Cisjordanie, que la Russie et maintenant les États-Unis en Afghanistan, et que l’Amérique au Vietnam il y a une génération. La stratégie de l’occupation est condamnée à l’échec parce qu’elle est fondamentalement erronée. L’occupant militaire a des objectifs qui sont inacceptables pour une partie importante de la population.
« L’erreur fatale de l’occupation américaine est que les États-Unis sont en Irak non pas pour instaurer la démocratie, hâter le développement économique, saisir des armes de destruction massive ou combattre des terroristes, mais pour créer une base politique et militaire à long terme qui garantisse l’approvisionnement en pétrole du Moyen-Orient. […]
« Plus les États-Unis s’y incrusteront, et plus se prolongeront les soubresauts politiques et économiques de l’Irak. […] »
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Le très influent quotidien britannique Financial Times, qui n’était pas hostile à la guerre d’Irak, en arrive lui aussi à constater qu’elle tourne au désastre. Son éditorial du 9 septembre sonne l’alarme :
« Les occupants sous commandement américain sont engagés en Irak dans une guerre d’usure qui est chaque jour plus meurtrière et plus difficile. Ils ne contrôlent ni les voies de communication ni les frontières du pays. Ils ont été incapables de satisfaire les besoins fondamentaux de la population, tels que l’eau et l’électricité – et encore moins la sécurité. […] Les forces américaines, qui cherchent surtout à se protéger, sont incapables de défendre les alliés et les institutions dont elles ont besoin pour reconstruire l’Irak. […]
« Dans l’état actuel des choses, Washington semble ne vouloir que de l’argent et des troupes pour ce que Bush appelle « le front central de la guerre contre le terrorisme ». Mais s’en tenir à une politique qui a échoué ne peut qu’aggraver et multiplier ses conséquences. »
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Le lendemain 10 septembre, c’est le New York Times, le plus prestigieux des quotidiens américains, qui consacre son éditorial à la personnalité de George Walker Bush, dont il souligne l’ambiguïté et la faiblesse.
« Bien qu’il joue les durs, Bush semble incapable de passer résolument aux actes, de prendre avec sa popularité politique les risques considérables qu’il prend avec la stabilité économique et la crédibilité politique de l’Amérique. […]
« L’invasion de l’Irak semble avoir été conçue par des gens qui ont imaginé qu’après une rapide victoire militaire on serait débarrassé de Saddam Hussein et que l’Irak se transformerait du jour au lendemain en un pays semi-démocratique prospère qui serait un modèle pour le reste du Moyen-Orient. […]
« Les dures réalités de l’Irak d’après-guerre ont convaincu Bush qu’il avait besoin de l’aide des Nations unies, dont il faisait fi avant l’invasion. Mais sur ce point même, il évite de reconnaître son erreur et d’accorder une véritable responsabilité à d’autres pays. […]
« Aujourd’hui, au moment où les États-Unis ont le plus grand besoin d’être gouvernés d’une main ferme, Bush n’est toujours qu’un politicien médiocre incapable de demander aux Américains de faire des choix difficiles. Et ce sont eux qui en payent le prix. »
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L’opinion publique américaine elle-même, hier favorable à la guerre contre le terrorisme, fière de ce président qui pourfendait les ennemis de l’Amérique et disait les rechercher « morts ou vifs », est assaillie par le doute. Un sondage publié à l’occasion du deuxième anniversaire du 11 septembre(*) signale une extraordinaire évolution : 64 % des Américains, les deux tiers, pensent que la présence militaire américaine au Moyen-Orient accroît les risques d’actes terroristes ; 77 %, les trois quarts, pensent que l’image négative des États-Unis dans le monde musulman et les sentiments d’hostilité qu’elle a suscités facilitent le recrutement de terroristes ; 54 % jugent que la politique extérieure de leur pays a été trop arrogante ; 81 %, contre 61 % il y a un an, pensent que, dans sa lutte contre le terrorisme, l’Amérique a besoin de coopérer étroitement avec le reste du monde.
Sur la guerre d’Irak elle-même, l’opinion des Américains a changé d’une manière très sensible : 48 % d’entre eux (contre 29 % en avril) pensent qu’elle a accru les risques terroristes contre les États-Unis et leurs intérêts, et seulement 40 % jugent qu’elle les a diminués.
Conclusion :
On peut tout faire avec des baïonnettes sauf s’asseoir dessus ; on ne peut pas occuper indéfiniment des pays qui ne veulent pas l’être ; on ne vient pas à bout du terrorisme par la seule répression.
Bush et Sharon ne sont pas des hommes de paix, ne servent pas les intérêts de leurs peuples et n’auraient pas dû être à la place où ils sont.
Si nous le voulons, ces vérités, perdues de vue depuis trois ans, sortiront du puits pour réapparaître et s’imposer.

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* Réalisé par la PIPA (Program on International Policy Attitudes de l’Université de Maryland).

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