GBAGBO, la bête politique

Publié le 16 septembre 2003 Lecture : 5 minutes.

On le disait « sonné » par l’avancée fulgurante du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI, rébellion armée) qui occupe depuis un an la moitié nord de la Côte d’Ivoire. Et on le disait « fini » après les assises de Marcoussis et la conférence de Kléber (janvier 2003) qui ont considérablement rogné ses prérogatives constitutionnelles. Pour certains de ses détracteurs, la vacance était quasiment ouverte. « Je lui ai tordu le bras », s’est même exclamé, lors d’un conseil de cabinet, un proche collaborateur du ministre français des Affaires étrangères, au lendemain du conclave de Marcoussis. C’était mal connaître l’animal.
Un an après la tentative de coup d’État, Laurent Koudou Gbagbo est toujours aux commandes. Flanqué, certes, d’un Premier ministre de « consensus », Seydou Elimane Diarra, et contraint de se séparer de ses vieux compagnons du Front populaire ivoirien (FPI) pour faire une place au soleil à ses adversaires, mais démentant les prévisions, plus solide que jamais. « Tout n’est pas encore rentré dans l’ordre, mais on peut d’ores et déjà dire qu’il a su habilement desserrer l’étau et retourner la situation à son profit », confirme un universitaire ivoirien.
Pour parvenir à ce résultat, le président ivoirien a su faire preuve d’audace, de ruse, voire de roublardise et, même ses adversaires en conviennent, d’un sens politique et d’une capacité à rebondir pour le moins étonnants. Il était en visite officielle à Rome lorsque Abidjan a été subitement attaqué à l’arme lourde dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002. À sa place, beaucoup de chefs d’État auraient choisi – sait-on jamais ? – d’observer les événements de loin. Ou auraient opté – le président français Jacques Chirac l’a d’ailleurs sournoisement suggéré à Gbagbo – pour un exil à Paris, Londres ou Pretoria.
Contre toute attente, l’ancien opposant numéro un de Félix Houphouët-Boigny, qui n’est au meilleur de sa forme que dans l’adversité, décida, en parfait accord avec son hôte du jour, Silvio Berlusconi, de mettre le cap sur Abidjan avec un quarteron de fidèles, laissant derrière lui épouse, enfants et collaborateurs. « Je suis d’une culture où l’on n’invite pas les gens à aller au combat, explique-t-il. On y va. Un point, c’est tout. Me suive qui veut ! » Le coup d’audace a, de toute évidence, payé.
De même, certains de ses pairs, une fois rentrés au bercail, se seraient claquemurés dans leur palais. Laurent Gbagbo, lui, a continué, comme si de rien n’était, de voyager. Alors que la tension était toujours vive à Abidjan, il s’est rendu successivement à Lomé, Accra, Abuja, Bamako, Dakar, sans oublier Paris. « Je ne peux pas rester cloîtré au palais parce que certains rêvent de m’en déloger, assure-t-il. Alors je continue de vivre et de faire comme si tout allait bien… »
Il jouera de nouveau dans un registre similaire, lorsqu’il quitte la capitale française, fin janvier 2003, au terme de la conférence de Kléber qui lui a imposé une « feuille de route ». Malmené sur le terrain militaire, sommé par la communauté internationale de partager son pouvoir, il a décidé de reprendre l’initiative, mais intra muros. En retrouvant les abords de la lagune Ébrié, il a un objectif en tête : rallier à sa personne tous les opposants au « raccourci de Marcoussis. » Pour cela, il jouera avec habileté la rue, le consensus républicain et « l’ordre national » contre « un catalogue de bonnes intentions » imposé de l’étranger. S’abritant derrière la Constitution – « la Loi des lois » -, il exige que tous les engagements pris dans un centre de rugby de la banlieue parisienne (Marcoussis) obtiennent, au préalable, le feu vert d’un Parlement, où son parti, le FPI, dispose, grâce au jeu des alliances, de la majorité.
Gbagbo, qui, en pleine crise, pousse la coquetterie jusqu’à émerger de ses appartements privés aux alentours de 11 heures, pavoise. Ses adversaires tirent la gueule. Le président se satisfait de la cohabitation avec un Premier ministre avec qui il partage quelques petits secrets et qui, finalement, a moins de pouvoirs que son prédécesseur, le « camarade » Pascal Affi Nguessan. Par ailleurs, il exige et obtient, en mettant un demi-million d’Ivoiriens dans la rue, que les rebelles renoncent, dans l’équipe gouvernementale, aux portefeuilles clés de la Défense et de la Sécurité. « Dès l’instant que les opposants ont fait marche arrière, l’édifice de Marcoussis a commencé à se craqueler », poursuit l’universitaire cité plus haut.
Si vis pacem para bellum. C’est bien connu, qui veut la paix prépare la guerre. Sur le plan militaire, Laurent Gbagbo a mis le temps (et l’interposition des troupes françaises et ouest-africaines) à profit pour s’armer afin de pouvoir faire front avec plus d’efficacité, en cas de reprise des hostilités. Utilisant les atermoiements et les erreurs de ses adversaires, épaulé au palais par un discret – et efficace – shadow cabinet, il a su faire admettre aux uns et aux autres qu’il n’existe pas en Côte d’Ivoire, pas plus qu’ailleurs, de « banc présidentiel », mais un seul fauteuil, trop étroit pour « deux paires de fesses ».
Véritable bête politique, il a réussi – de quelle manière ? Mystère ! – à circonvenir et à séduire certains responsables de la rébellion, lesquels ne jurent plus que par lui. Et il ne manque aucune occasion de flatter l’ego de Guillaume Soro, le secrétaire général du MPCI et ministre d’État en charge de la Communication, qui se complaît bien dans le rôle de l’opposant vedette au chef de l’État. C’est en tout cas Gbagbo qui, le premier, a téléphoné à Soro, le 27 juin 2003, lorsque ce dernier a failli se faire lyncher par des inconnus dans l’enceinte de la Radiotélévision ivoirienne. Lui, également, qui récemment, au stade Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan, a protégé le ministre – rebelle – des Sports et des Loisirs, Michel Gueu, de la « vindicte populaire ».
De même, sur le plan diplomatique, Gbagbo a su saisir les opportunités pour se rabibocher avec la France, en jouant, dans un premier temps (avec une réussite mitigée), l’Élysée contre le Quai d’Orsay (le ministère des Affaires étrangères), puis en reprenant discrètement langue avec les différents acteurs politiques. « Les gens causent, moi je fais de la politique », confie un homme qui, selon des indiscrétions, se place déjà dans la perspective des élections présidentielle et législatives de 2005. Sa victoire sera totale, assure un diplomate, s’il réussit à replâtrer la Côte d’Ivoire en faisant l’économie d’une nouvelle guerre…

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