FRANCE, le parrain

Publié le 16 septembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Lorsque le 29 septembre 2002, alors que les forces rebelles sont aux portes de Yamoussoukro, le président Jacques Chirac décide l’application partielle des accords de défense franco-ivoiriens, il sait qu’il sauve par là le fauteuil d’un homme avec lequel il ne se sent aucune affinité particulière – Laurent Gbagbo -, mais il ignore certainement qu’un an plus tard l’armée française en sera toujours (presque) au même point. Préserver un régime mal vu à Paris, mais tout de même issu des urnes, face à des rebelles dont les motivations, le commandement et les parrainages sont pour le moins opaques : telle est la position française, fortement teintée de navigation à vue, en vigueur pendant un peu plus de deux mois.
Il faudra attendre le 11 décembre et une considérable dégradation de la situation sur le terrain pour que Jacques Chirac et son ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin prennent la mesure de la course au chaos dans laquelle est engagée la Côte d’Ivoire – et par là même, en tirent les conséquences. L’« opération Licorne » est renforcée tant en hommes qu’en moyens, et, face au double échec des médiations africaines et de la rencontre Gbagbo-Compaoré de Bamako, le projet naît de convoquer à Paris un sommet des chefs d’État concernés ainsi qu’un forum de réconciliation des protagonistes de ce qu’il faut bien appeler une guerre civile. L’idée est qu’en extirpant ces hommes de leur contexte et de leur entourage, et en les enfermant dans une sorte de huis clos avec obligation de réussir, une solution est possible. Concrétisé fin janvier 2003, ce schéma est une réussite et débouche sur les accords de Marcoussis et le sommet de Kléber.
Négocié en France, ce compromis est mal accepté à Abidjan, où éclatent des manifestations violentes. Une partie de la communauté française quitte le pays, et, à Paris, Jacques Chirac ne décolère pas. Si le président français avait, avant Marcoussis, plutôt tendance à renvoyer dos à dos Blaise Compaoré – pour son soutien présumé aux rebelles – et Laurent Gbagbo – pour son intransigeance -, c’est le chef de l’État ivoirien qui désormais est l’objet de son ire. « Soit il manipule, soit il est manipulé, dans les deux cas, c’est grave », dit-on à l’Élysée, où l’on n’a pas de mots assez durs pour stigmatiser les « escadrons de la mort », le réarmement accéléré des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI) et la présence de mercenaires à Abidjan.
À la veille de l’ouverture à Paris du sommet Afrique-France début février, l’affaire prend même une tournure franco-française puisque circule la rumeur d’une démission imminente – et vite démentie – de Dominique de Villepin pour cause d’échec de sa politique ivoirienne. Il est vrai qu’avec quatre mille hommes sur le terrain, l’opération Licorne est la plus grande intervention militaire française en Afrique de ces vingt dernières années.
Pourtant, peu à peu, le calme revient. Laurent Gbagbo met de l’eau dans son vin, Seydou Diarra le Premier ministre issu de Kléber et son gouvernement prennent leurs marques, le cessez-le-feu est respecté le long de la ligne de front, et Paris se résigne à appliquer (et même à défendre, comme on l’a vu lors de « l’affaire IB ») l’article 35 des accords de Marcoussis qui prévoit le maintien du chef de l’État en place jusqu’à l’élection présidentielle d’octobre 2005. « C’est tout Marcoussis et rien que Marcoussis », martèle-t-on désormais au Quai d’Orsay, « c’est notre feuille de route ». Ce fétichisme des accords de Marcoussis, seule bouée à laquelle s’accroche désormais la politique ivoirienne de la France, se traduit à la fois par une volonté de positiver presque touchante et par l’entretien scrupuleux de bonnes relations avec chacun des acteurs locaux, Gbagbo, Diarra, Ouattara, Soro, Bédié… Nul ne peut désormais se plaindre d’être délaissé, discriminé, marginalisé puisque tout le monde est courtisé. Pour les habitués des « hommes de la France » et autres nostalgiques du foccartisme, le choc est rude, mais il faut s’y faire – et sans doute s’en féliciter : en Côte d’Ivoire, aujourd’hui, Paris ne soutient personne et soutient tout le monde. C’est ce qu’on appelle dans l’entourage de Dominique de Villepin, « une diplomatie de principes » et « le choix d’une solution plutôt que celui d’une personne ». Mais que valent les accords – et les meilleures solutions – si les arrière-pensées des hommes contraints de les appliquer ne s’accordent pas ? En attendant, l’opération Licorne n’est pas près d’être démontée, et l’on évoque de plus en plus son maintien jusqu’à l’élection présidentielle d’octobre 2005 – si élection il y a.

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