FLN contre FLN

Entre Abdelaziz Bouteflika et Ali Benflis, son ancien Premier ministre, le bras de fer se poursuit pour le contrôle du parti au pouvoir. Reste à savoir si leur affrontement ne fera pas le jeu d’un troisième larron. Islamiste, par exemple…

Publié le 15 septembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Ahmed Ouyahia, le chef du gouvernement, est inquiet. Très inquiet. « La situation du pays fait peur, dit-il, car elle ressemble à celle de 1990. » Après une décennie de terrorisme et en dépit des succès enregistrés dans certains domaines (équilibres macroéconomiques, réforme de l’agriculture, image du pays, libéralisation de l’économie), les espoirs suscités par l’élection d’Abdelaziz Bouteflika en 1999 n’ont guère trouvé d’écho. Terrorisme « résiduel », conditions de vie précaires, coupures d’eau et d’électricité, retour de la peste et épidémie de conjonctivite, chômage endémique : les Algériens n’en peuvent plus.
Terreau de l’extrémisme, la pauvreté est toujours là. Il suffit de parcourir les quartiers populaires de la capitale et de ses environs pour mesurer le retour en force des islamistes : regain de religiosité, prêches plus « musclés », omniprésence des « barbus », course à l’exil… Les séquelles du séisme du mois de mai dernier sont encore visibles. Dans les esprits, surtout. « J’ai perdu toute ma famille, l’État nous a abandonnés », s’écrie un des rescapés de la tragédie, qui vit depuis quatre mois dans un campement de fortune à Boumerdès, l’une des villes les plus touchées. C’est dans ce climat de malaise (voir J.A.I. n° 2226) que les Algériens (sur)vivent.
L’Algérie d’« en bas » est désabusée. Elle ne croit plus en ses institutions, doute de tout et observe, incrédule, les luttes de clans qui agitent l’Algérie d’« en haut ». Et notamment la bataille pour le contrôle du Front de libération nationale (FLN). Ali Benflis, secrétaire général du parti et ex-Premier ministre de Bouteflika, est en mauvaise posture : chaque jour, la fronde menée par les dissidents du parti favorables au chef de l’État gagne de l’ampleur. Dans la course à la présidentielle d’avril 2004, le contrôle de l’ex-parti unique est, pour l’un comme pour l’autre, primordial. Sans lui, Benflis ne serait rien, et Bouteflika aurait bien du mal à se faire réélire. La bataille fait rage et tous les coups sont permis.
C’est Benflis qui a ouvert les hostilités. Au mois de mars, lors du VIIIe Congrès, il n’a pas hésité à exclure des instances dirigeantes les partisans du président et à proclamer l’autonomie du parti. Ce qui revenait implicitement à annoncer sa candidature à la présidentielle. Aujourd’hui, il ne s’en cache pas, il ne croit plus en Bouteflika, dont il fut pourtant le plus proche collaborateur, quatre ans durant.
Devant ce qu’ils considèrent comme une « trahison », la riposte des pro-Boutef n’a pas tardé : Benflis a été limogé de son poste de Premier ministre. Évidemment, quand on ne dirige plus le gouvernement, on perd une partie de son pouvoir de séduction… Depuis, les plus farouches opposants à Benflis tentent par tous les moyens de remettre la main sur cette formidable machine électorale qu’est le FLN (le parti est majoritaire à l’Assemblée).
Pour tenter d’écarter le secrétaire général, les contestataires ont commencé par dénoncer le caractère « stalinien » du Congrès et les multiples infractions aux statuts auxquelles, selon eux, il a donné lieu. L’opération ayant échoué, au moins pour l’instant, ils menacent à présent de divulguer des « dossiers » compromettants pour la famille Benflis. Et puis, le 5 septembre, la présidence a annoncé le limogeage de sept ministres, dont six membres du FLN. Tous, bien sûr, partisans de Benflis. Parmi eux, les titulaires des portefeuilles de la Justice, de l’Emploi et de la Solidarité, et de la Jeunesse et des Sports. Leurs remplaçants ? D’autres membres du FLN, mais favorables au président.
La veille, les dissidents du parti avaient tenu une « conférence nationale de redressement », à Djelfa (300 km au sud d’Alger), et avaient porté à leur tête Abdelaziz Belkhadem, le ministre des Affaires étrangères, en remplacement d’Abdelkhader Hadjar, l’encombrant ambassadeur à Téhéran. Avec pour mission de préparer un VIIIe Congrès bis.
Les 6 et 7 septembre, Benflis a présidé une réunion du comité de coordination. En présence des membres du bureau politique, des ministres FLN, des présidents de commissions permanentes, des responsables parlementaires et des dirigeants de certaines organisations nationales, l’ancien Premier ministre s’est efforcé de temporiser. Bien sûr, il ne s’est pas privé de critiquer le limogeage de « ses » ministres et d’accuser le chef de l’État de « placer ses intérêts personnels au-dessus de sa responsabilité constitutionnelle », mais il a aussi promis que « le FLN répondra aux agressions dont il est victime au moment opportun et de manière conséquente ». Bref, il est urgent d’attendre.
Quelle sera l’issue de ce « règlement de comptes à OK Corral » ? Bien difficile à dire, même si Benflis ne paraît pas être, pour l’instant, dans une position très favorable. Six de ses ministres siègent encore au gouvernement, mais leur marge de manoeuvre est réduite. Sans doute peut-il encore compter sur les députés FLN, mais cette « dernière cartouche » risque de faire long feu si Bouteflika décide de dissoudre l’Assemblée populaire nationale (APN), comme la Constitution l’y autorise. Car Benflis aurait alors bien du mal à rééditer la performance des dernières législatives. Et puis, ses partisans sont vraiment trop divisés… Reste que la dissolution serait, pour Boutef, une arme à double tranchant. Elle reviendrait à ouvrir grandes les portes de l’APN aux islamistes. À moins qu’une alliance avec ces derniers ne se profile à l’horizon. La nomination à la tête de la dissidence de Belkhadem, figure emblématique des « barbéfélènes » (les tenants d’un rapprochement avec les islamistes), pourrait le laisser penser.
Quoi qu’il en soit, les autres formations politiques se frottent les mains, convaincues qu’elles sont, à tort ou à raison, qu’une dissolution leur permettrait de renforcer leur assise. Ancien parti majoritaire à l’APN, le Rassemblement national démocratique (RND) d’Ahmed Ouyahia ne rêve que d’effacer sa déroute des dernières législatives (en 2002) et de redevenir la première force politique du pays. Troisième parti représenté à l’Assemblée, les islamistes du Mouvement pour la réforme nationale (MRN-Islah), que dirige Abdallah Djaballah, ont des ambitions du même ordre : ils estiment avoir été la « principale victime » de la « fraude » qui a, selon eux, marqué le scrutin de 2002. Même le Parti des travailleurs (PT) de Louisa Hanoune et le Front des forces socialistes (FFS) d’Hocine Aït Ahmed ne cachent pas leurs ambitions…
On l’aura compris : le bras de fer qui oppose Benflis à Bouteflika va continuer. Et les Algériens n’auront, comme d’habitude, d’autre choix que de compter les points.

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