Chronique d’un succès annoncé

Après le triomphe de Paul Kagamé à la présidentielle du 25 août, le marathon électoral se poursuit. Les Rwandais doivent désormais choisir leurs parlementaires.

Publié le 15 septembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Le 25 août dernier, les 3,9 millions d’électeurs rwandais ont voté en masse pour le candidat-président Paul Kagamé. Avec un score sans appel de 95 %, ne laissant aucune place à l’opposition, le premier président élu du Rwanda est, plus que jamais, l’homme fort du pays. Avant même ce verdict, il était difficile de douter de l’issue du scrutin : les casquettes, les tee-shirts, les parapluies, tous les nouveaux atours des Rwandais l’affirmaient haut et fort, « Tora [« votez »] Kagamé ». Les deux autres candidats, Faustin Twagiramungu, ex-Premier ministre qui dirigea le premier gouvernement post-génocide (1994-1995), et Jean-Népomuscène Nayinzira, ancien ministre écarté de la vie politique l’an dernier pour « mauvaise moralité », faisaient figure de parents pauvres : sans le soutien d’une structure politique, ils ont fait leur campagne avec les – faibles – moyens du bord. Nayinzira, fervent catholique qui s’est contenté de deux meetings en forme de messe, est resté quasi absent des débats. En revanche, le cas du Hutu Twagiramungu a fait couler beaucoup d’encre. Accusé de propager des idées « divisionnistes » et de jouer la carte du « vote ethnique » pour espérer être élu, l’exilé revenu au pays en juin dernier était, jour après jour, violemment fustigé dans les médias. Des accusations qui le rendent passible d’emprisonnement.
À l’annonce des résultats (3,5 % des voix en sa faveur), il a dénoncé les irrégularités du vote, ainsi que les intimidations, les attaques et les arrestations qui ont, selon lui, caractérisé la campagne. Sans aucune chance d’être entendu, il a demandé le report du scrutin. Pour l’heure, il reste en liberté, même si le commissaire général de la police affirmait continuer d’enquêter sur son cas. Pendant ce temps-là, Paul Kagamé, le premier président du Rwanda élu au suffrage universel direct, savoure encore sa victoire. Retour sur le film de cette campagne.

18 août J – 7
Le jour du vote approche et la tension commence à monter. Ce jour-là, Paul Kagamé se rend dans la province de Byumba. Située au nord du pays, non loin de la frontière avec l’Ouganda, la ville a servi de base arrière aux troupes du Front patriotique rwandais (FPR) lorsqu’elles intervinrent pour mettre fin au génocide, en juillet 1994. La popularité de Kagamé dans la région se jauge au nombre de personnes amassées le long de la route, espérant apercevoir le cortège présidentiel. Dès midi, des milliers de personnes attendent déjà dans le stade l’arrivée du Mzee (« le Vieux » en kiswahili, surnom donné au chef de l’État pendant la campagne). Et pourtant, il leur faudra patienter encore deux heures, le temps que le chef de l’État clôture un autre meeting non loin de là. La grosse machine électorale du FPR fonctionne à merveille : en une vingtaine de jours, Kagamé aura sillonné tout le pays, à raison de trois rassemblements par jour !
Dans les gradins, l’ambiance commence à monter : aux cris du « chauffeur de stade » qui scande ses « Tora Kagamé ! Oyé ! Oyé ! », les militants répondent en agitant leurs drapeaux rouge, blanc, bleu (les couleurs du FPR). La sono installée sur le terrain de foot crache les quelques chansons de campagne, aux refrains faciles et entraînants : « Que les ennemis gémissent, on va gagner à 100 %. » Soudain, deux grosses voitures aux vitres teintées déboulent en trombe : le président arrive enfin. Le show peut réellement démarrer. Les premiers invités à monter sur la tribune sont des militants FPR dits « représentants de leur groupe » : les femmes, les jeunes, les anciens. Puis vient le tour des militants du rival Faustin Twagiramungu, venus raconter à la foule qu’ils ont déserté son équipe de campagne comprenant qu’il n’était qu’un « dangereux divisionniste ». Pour les récompenser de leur décision, on leur fournit des casquettes du FPR. Comme dans une pièce de commedia dell’arte, tout le monde applaudit. Avant même que la tirade finale ne vienne clore le premier acte : « Entre Satan et Jésus, le choix est clair ! » lance la responsable d’un parti soutenant Kagamé.
Après une heure, le président se lève enfin. Le discours sera bref : appel à l’union de tous les Rwandais et à la négation des distinctions ethniques, promesses faites en direction des plus pauvres (gratuité de l’école, aides au monde rural). Enfin, une petite phrase est réservée aux observateurs étrangers, venus surveiller le déroulement du scrutin : « Pourquoi notre pays a-t-il encore besoin d’être observé ? Nous ne voulons pas de ces étrangers qui nous disent qui choisir. »

la suite après cette publicité

19 août J – 6
Ce devait être au tour de Faustin Twagiramungu de se rendre à Byumba. Mais après une matinée de suspens, tout le monde – journalistes étrangers et staff de campagne – reste cloué à Kigali. Le préfet, qui attendait le candidat trois jours plus tard, refuse qu’un rassemblement ait lieu aujourd’hui. Cafouillages et mauvaise organisation : l’équipe de l’opposition fait son mea-culpa, mais en profite pour rappeler les tracasseries administratives et les intimidations dont elle est quotidiennement victime. Dans l’appartement qui lui sert de QG, le candidat prévient, messianique : « J’irai jusqu’au bout ! »

21 août J – 4
Twagiramungu se rend à Gisenyi, à la frontière avec la RD Congo, au bord du lac Kivu. La ville est hantée par les symboles du pouvoir hutu : lieu de naissance de Juvénal Habyarimana, le deuxième président du Rwanda, dont l’avion fut abattu le 6 avril 1994, et de l’ancien chef de l’État de l’après-génocide, Pasteur Bizimungu, aujourd’hui en prison. C’est là aussi, au pied des volcans, qu’est né le mouvement du Hutu Power, ces extrémistes qui prônèrent, dès 1992, l’extermination de tous les Tutsis. Aujourd’hui, la station balnéaire a retrouvé son calme, les militaires restant très nombreux en raison des possibles incursions des Interahamwes (ex-miliciens hutus) réfugiés en RD Congo. Lors du référendum, en mai dernier, la population a voté à 100 % pour l’adoption de la nouvelle Constitution.
Quand l’ex-Premier ministre arrive au stade de la ville, seules quelques centaines de personnes sont venues l’accueillir. Beaucoup de journalistes étrangers sont présents, et le contraste est saisissant : d’un côté, des tribunes vides, et de l’autre, des caméras cherchant vainement quelques images à capter. Devant ces trop rares supporteurs, le candidat égrène son programme : gratuité de l’école, réduction des impôts pour les plus pauvres, appel pour que soient respectés les droits de Pasteur Bizimungu, l’ancien président aujourd’hui accusé d’atteinte à la sûreté de l’État. Enfin, il demande que soit mise en place une Commission Vérité et Réconciliation sur le modèle sud-africain pour juger tous les crimes commis pendant le génocide et la guerre civile. Twagiramungu se défend d’être « divisionniste » et lance : « Qu’est-ce que la sécurité si vous ne pouvez pas marcher et penser librement ? » Puis il improvise une petite conférence de presse. L’homme est affable et bon orateur, maîtrisant parfaitement le français et l’anglais. Tellement même que pour beaucoup de Rwandais il est perçu comme un « agent de l’étranger », revenant huit ans après dans un pays qui a changé sans lui. Le lendemain, il annonce que, « sous la pression », il met fin à sa campagne quarante-huit heures à l’avance.

25 août Jour J
Les électeurs rwandais se présentent devant les bureaux de vote dès l’aube. De longues files se forment dans toutes les écoles primaires du pays. Le taux de participation atteint les 96,5 %. Les bulletins de vote se présentent sous la forme d’une feuille sur laquelle sont reproduites les photos des différents candidats. L’empreinte du pouce, apposée dans le secret de l’isoloir, définit le choix.

26 août J + 1
D’après les résultats officiels, Paul Kagamé a remporté les élections avec 95 % des voix. « Un score digne des démocraties soviétiques », ironise Twagiramungu. Crédité de 3,5 %, il demande un nouveau scrutin. De leur côté, les observateurs européens dénoncent certaines irrégularités et des cas de fraudes repérés durant le vote. Immédiatement, la Commission électorale nationale leur reproche leur « partialité » et les accuse de soutenir ouvertement le challengeur, Twagiramungu.

la suite après cette publicité

29 septembre J + 36
Les Rwandais se rendront de nouveau aux urnes pour élire, cette fois, les membres des deux Chambres du Parlement, l’Assemblée nationale et le Sénat. Le scrutin se déroulera sur trois jours. Seuls 53 députés sur 80 sont élus au suffrage universel, les autres étant désignés au nom de « leur groupe » (24 femmes, 2 jeunes et 1 handicapé). Seules les huit formations politiques agréées selon la nouvelle loi sur les partis pourront présenter des candidats : toutes, sans exception, ont soutenu la candidature de Kagamé lors de l’élection présidentielle.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires