Terrorisme sans frontières

Le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) essaime dans le Sahel, recrutant Mauritaniens, Nigérians ou Tchadiens. Ses liens avec Abou Moussab al-Zarqaoui étant établis, les Américains prennent la menace très au sérieux.

Publié le 22 août 2005 Lecture : 9 minutes.

Le « Travel Warning » émis par le département d’État le 20 juillet à l’adresse de ses ressortissants désirant se rendre dans les régions du Maghreb et du Sahel ne relève pas de la simple mesure de précaution. Après les attentats de Londres et de Charm el-Cheikh, les services de renseignements américains ont la conviction que les salafistes d’al-Qaïda projettent une attaque de grande envergure en Afrique du Nord.
Qu’est-ce qui motive ces appréhensions ? Une intense activité du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, affilié à l’organisation d’Oussama Ben Laden) dans la bande désertique qui va des côtes mauritaniennes aux confins du Tibesti, au Tchad. Les agissements du GSPC au Sahara sont devenus notoires après le rapt, en février 2003, d’une trentaine de touristes occidentaux dans le Tassili. Cette prise d’otages a permis au GSPC d’engranger un butin de 5 millions d’euros, fruit de la rançon payée par le gouvernement allemand pour la libération des touristes au Mali.
Depuis, les accrochages se multiplient en Mauritanie, au Niger et au Tchad. Le dernier en date a été l’attaque, le 4 juin 2005, d’une unité de l’armée mauritanienne, à Lemgheyti, entraînant la mort d’une quinzaine de soldats. La particularité de cette opération ? Elle est intervenue à la veille du début des manoeuvres militaires baptisées Flintlock 2005 et associant 300 éléments des forces américaines en Europe à des bataillons algérien, mauritanien, nigérien, nigérian, malien, sénégalais et tchadien. Flintlock 2005 a eu lieu entre le 6 et le 26 juin, dans le désert algérien, plus précisément dans la bande frontalière entre le Mali, la Mauritanie et l’Algérie.
La menace GSPC est prise très au sérieux par les Américains, convaincus que les activistes algériens constituent une « filiale d’al-Qaïda » chargée d’établir une zone de repli pour ses militants dans le Sahel. Cette vaste aire à cheval sur plusieurs pays qui ne brillent pas par une coopération exemplaire en matière géostratégique présente bien des avantages aux yeux des salafistes. Marquées par une longue histoire de conflits ethniques, d’alternance dans la domination, les structures tribales sont très vulnérables. D’autant que les populations, paupérisées par la sécheresse, sont prédisposées à soutenir ceux qui leur viennent en aide. La région est également un carrefour pour tous les trafics : cigarettes, drogue, armes et traite humaine. Leur produit finance l’allégeance des chefs tribaux et la complicité de larges segments de la population locale.
À cela vient s’ajouter l’organisation des mouvements terroristes eux-mêmes. La jonction entre le GSPC et al-Qaïda fi bilad al-Rafidain (en Mésopotamie) du Jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui a été confirmée. Les échanges épistolaires entre Abdelmalek Droukdel, alias Abdelwadoud, chef du GSPC, et Zarqaoui sont réguliers. Les djihadistes algériens présents aux côtés du Jordanien en Irak ne sont sans doute pas étrangers au rapt puis à l’exécution, le 27 juillet 2005, des deux diplomates algériens kidnappés à Bagdad. Par ailleurs, l’arrestation, le 23 avril 2005, d’une dizaine de Tunisiens venus en Algérie pour s’entraîner dans les camps du GSPC et la neutralisation, dans la foulée, d’un Égyptien organisant, depuis Alger, l’acheminement des volontaires maghrébins pour le djihad en Irak, via la Syrie, sont venues conforter les soupçons de collusion entre le GSPC et Zarqaoui.
Pour toutes ces raisons, le Pentagone a décidé de délocaliser une partie de ses troupes d’élite basées à Rota, en Espagne, vers l’Afrique du Nord. Dans un premier temps, il a été décidé de stationner quelque 300 commandos américains dans la région marocaine de Tan-Tan. Cependant, ce choix a été abandonné pour des considérations politiques liées à l’affaire du Sahara occidental, ce territoire désertique dont se disputent la souveraineté le Maroc et les indépendantistes du Polisario, soutenus par l’Algérie. Pour les mêmes raisons, le choix de l’Algérie a été écarté. Il semble désormais que le Pentagone envisage d’installer ses hommes à Dakar. Cette solution par défaut présente deux inconvénients. Le premier, qui tient à la présence d’une base française dans la capitale sénégalaise, est loin d’être rédhibitoire : Français et Américains cohabitent bien à Djibouti. La seconde contrainte est plus sérieuse : Dakar est situé à des centaines de kilomètres du théâtre des opérations. Au moment où ces lignes sont écrites, la décision finale n’a pas été encore prise.
Le GSPC n’a pas l’exclusivité de la menace terroriste au Maghreb et dans le Sahel. L’UMA des salafistes existe bel et bien. Le Groupe islamique combattant marocain (GICM) et son homonyme libyen (GICL) possèdent également une « carte de visite » éloquente. Même si ces deux organisations sont nettement moins structurées que leur homologue algérienne, qui dispose de réseaux de soutien et une logistique fonctionnelle. Un officier de haut rang de l’armée algérienne relève cependant un point important. « Parmi les filiales d’al-Qaïda, explique-t-il, le GSPC a une revanche à prendre. Ses dernières opérations internationales se sont achevées par des flops. Les Marocains du GICM peuvent se prévaloir du succès des attaques de Casablanca du 16 avril 2003 et surtout de celles de Madrid, le 11 mars 2004. Quant aux Tunisiens du Front islamique (FIT), ils s’enorgueillissent de l’attentat au camion piégé contre la synagogue de Djerba, le 11 avril 2002, sans oublier qu’ils sont derrière l’assassinat, en septembre 2001, de Massoud, un ennemi irréductible d’Oussama Ben Laden.
« Les éléments du GSPC, eux, n’ont aucun succès international à leur actif. Le projet d’attaque de Seattle mené par Ahmed Ressam s’est lamentablement terminé par l’arrestation de son auteur. Djamel Beghal, qui préparait un attentat-suicide contre l’ambassade américaine à Paris, s’est fait prendre comme un novice puis est passé rapidement à table, ce qui a permis la neutralisation de plusieurs cellules du GSPC en Europe. Le kidnapping des touristes occidentaux ne tient pas du fait d’armes aux yeux de la « franchise » al-Qaïda, mais s’apparente à une simple opération d’ »autofinancement ». C’est pourquoi le GSPC est pressé de faire un coup d’éclat, en Europe, au Maghreb ou ailleurs. Et l’on redoute qu’il le fasse dans les jours ou semaines à venir. »
L’organisation algérienne, que tant de monde redoute, est née en 1998 quelque part en… Afghanistan. Plus précisément à Khost. En février de cette année-là, Oussama Ben Laden réunit les organisations djihadistes de plusieurs nationalités. Ordre du jour : création d’un Front islamique mondial contre les croisés et les juifs. La représentation des Algériens pose problème. Très actifs durant la guerre contre l’armée Rouge en Afghanistan, ils sont également auréolés des coups portés au pouvoir en place dans leur pays depuis près d’une décennie. Cependant, l’organisation qui les représentait jusque-là, les Groupes islamiques armés (GIA), est totalement discréditée par la multiplication de massacres de villageois durant l’été 1997.
Les « Afghans algériens », nom donné aux vétérans de la guerre contre les Soviétiques, présents à la réunion, préconisent la création d’une nouvelle organisation djihadiste en Algérie. Ils suggèrent à Oussama Ben Laden le nom de Hassan Hattab pour diriger cette structure. Hassan Hattab est le cadet d’une fratrie célèbre dans la mouvance djihadiste algérienne. L’aîné, Abdelkader, alias Mouloud, connu pour être l’un des organisateurs du premier maquis islamiste, celui de Mustapha Bouyali, au début des années 1980, aurait organisé l’assassinat, en août 2003, de Kasdi Merbah, ancien patron de la Sécurité militaire (SM), dans la banlieue est d’Alger.
En 1998, Hassan Hattab occupe le rang d’émir de la zone II des GIA, en Kabylie. Les conclusions de la réunion de Khost lui sont transmises par le Palestinien Abou Qotada, représentant de Ben Laden en Europe. Hassan Hattab parvient à convaincre de nombreux émirs des GIA, notamment Amara Saïfi, alias Abderrezak el-Para, patron de la zone Est, frontalière avec la Tunisie, Nabil Sahraoui, émir de la zone des Aurès, et son adjoint Okacha el-Para. Mais le ralliement le plus important est celui de Mokhtar Belmokhtar, alias Abou el-Abbes, ou encore Laouer, « le Borgne ».
Belmokhtar est un gros poisson de l’islamisme armé algérien. Il figurait dans la première liste de personnes recherchées par les forces de sécurité dressée en 1991. Natif du M’zab, dans la région de Ghardaïa, Belmokhtar est le premier chef islamiste à s’intéresser aux pays du Sahel. Il s’implante dans le nord du Mali, prend épouse et installe ses ouailles dans l’Azawad, territoire de transhuchevauchant plusieurs pays sahéliens. À la tête d’une centaine d’éléments, il prend le contrôle du trafic de cigarettes et de drogue, finançant et armant les maquis du Nord algérien. Hassan Hattab bénéficie donc d’un renfort de poids. Comparé aux GIA, le GSPC se révèle une organisation mieux structurée, plus organisée, ciblant exclusivement les forces armées et les membres de la police.
Quelques jours avant les attentats du 11 septembre 2001, Ben Laden dépêche un émissaire en Algérie. Venant d’Afghanistan, le Yéménite Abdelwahab Alouane, alias Abou Mohamed, transite par le Yémen, l’Éthiopie, le Soudan et le Niger, prend contact avec Belmokhtar dans la région de Tahoua, au Niger. Le Yéménite veut rencontrer le chef du GSPC pour évaluer la situation du djihad en Algérie et étudier les possibilités d’installation d’une base arrière d’al-Qaïda « à deux heures d’avion de Paris ». Belmokhtar l’achemine vers les Aurès, et c’est Nabil Sahraoui qui le reçoit, dans la région de Batna. Une réunion est organisée. Elle regroupe tous les chefs du GSPC, hormis le principal intéressé : Hassan Hattab. C’est le premier signe de la disgrâce du fondateur du GSPC.
Malgré de fortes capacités de nuisance, les djihadistes algériens ne sont plus en mesure de prendre le pouvoir à Alger. Le Yéménite propose aux chefs du GSPC de s’intéresser au Sahel, notamment au Tibesti qui présente des similitudes avec les contreforts de Tora Bora en Afghanistan. L’Afrique du Nord et le Sahel sont découpés en trois zones : le Nord échoit à Nabil Sahraoui, le Sud-Ouest (Sahara algérien, Mauritanie, Mali) reste sous la direction de Belmokhtar, tandis que le Sud-Est (Niger et Tchad) est confié à Abderrezak el-Para.
Abou Mohamed tombe dans un traquenard dans les Aurès en septembre 2002. Nabil Sahraoui opère, en novembre 2003, un putsch contre Hassan Hattab et prend la tête du GSPC. Il est abattu en juin 2004. Quant à Abderrezak el-Para, il prend ses quartiers dans le Tassili, en novembre 2002. Dix-huit mois plus tard, il échoue dans sa tentative d’implantation dans le Tibesti. Arrêté par l’armée d’Idriss Déby, il est livré à la justice algérienne dans des conditions mystérieuses.
Aujourd’hui, le GSPC compte quelque 300 combattants, dont les deux tiers agissent en Kabylie, versés dans le grand banditisme. Quant à Mokhtar Belmokhtar, il se trouverait toujours au Mali, dans la région de Taoudenni, à la tête d’une centaine d’hommes. Lors de l’attaque du GSPC contre l’unité de Lemgheyti, les islamistes essuient des pertes. Selon Baba Ould Sidi, ministre de la Défense du gouvernement mauritanien renversé le 3 août 2005, parmi les éléments du GSPC tués à Lemgheyti figure Ibrahim Griga. Vétéran d’Afghanistan, Griga, natif du M’zab, était un compagnon de la première heure de Belmokhtar, dont il était le principal lieutenant. Griga avait su tisser des relations avec les chefs tribaux, en organisant des alliances matrimoniales entre ses combattants et les filles des notabilités locales. En outre, son passé afghan lui avait permis d’établir une liaison permanente avec les chefs du GICM et du GICL.
La facilité avec laquelle les salafistes recrutent dans les pays du Sahel inquiète les Algériens et les Américains. Entre Kountas, Maures et Haoussas, les effectifs du GSPC comptent désormais de nombreux autochtones. Seule ethnie à demeurer imperméable aux appels au djihad : les Touaregs. S’ils consentent à faire des « affaires » avec les salafistes, ils refusent catégoriquement d’embrasser leur cause.

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