Sur la piste des « Diambars »
A deux heures de Dakar, un centre de formation pour jeunes footballeurs a ouvert ses portes il y a quelques mois. Lancé par l’international français Patrick Vieira, le projet dispose d’un budget sans équivalent en Afrique. Visite guidée.
La Petite-Côte commence à Rufisque, là où la route principale reliant Dakar à Mbour s’éloigne de la côte. Depuis la capitale, il faut presque deux heures de voiture pour rallier Sally-Portugal, l’une des principales stations balnéaires du Sénégal, avec ses plages bordées de cocotiers, ses complexes hôteliers et sa vie nocturne animée. À l’entrée de la station, un haut mur entoure des bâtiments flambant neufs aux toits de tuiles. Nous sommes à l’Institut Diambars. Le portail s’ouvre devant le 4×4 de Saer Seck, le maître des lieux. La visite guidée commence… par un bref retour en arrière. Samedi 24 mai 2003, sur un terrain de 15 ha que des pelleteuses s’efforcent d’aplanir, une foule bigarrée se bouscule autour de quatre hommes tout de blanc vêtus. Il y a là trois footballeurs de renom, dont deux retraités : Patrick Vieira, l’international français d’origine sénégalaise, à l’époque capitaine du club londonien d’Arsenal, l’ancien international béninois Jimmy Adjovi-Bocco, reconnaissable à ses tresses rasta, et le Guyannais Bernard Lama, ancien gardien de but des Bleus et du Paris-Saint-Germain. À leurs côtés, Saer Seck, ex-dirigeant du club dakarois de l’US Gorée, négociant en poissons et membre du Groupement des armateurs et industriels de la pêche au Sénégal (Gaipes). Truelle à la main, les quatre hommes posent symboliquement la première pierre (en fait, un pavé peint par Mahjoub Ben Bella, un artiste originaire du nord de la France) d’un centre de formation pour jeunes footballeurs baptisé Diambars (« guerriers », en wolof).
Cinq mois plus tard, les travaux démarrent, alors que débarquent les premiers footballeurs en herbe. Ces derniers sont provisoirement hébergés dans une auberge. Ils suivent leur cursus scolaire dans une villa et tapent dans le ballon sur les terrains de Saly et de Mbour.
En juin 2005, le gros oeuvre est achevé. À droite du portail d’entrée se dressent huit bâtiments de deux étages destinés à l’hébergement des stagiaires : cent douze, au maximum, à raison de deux par chambre (avec salle de bain). L’ensemble évoque vaguement les tribunes d’un stade. Au centre, deux bâtiments. Le premier sera occupé par la direction et l’administration, mais aussi par des salles de classe et d’autres affectées aux professeurs. Le second abritera les vestiaires, les salles de kinésithérapie, de radiographie et de gymnastique. Une enceinte en forme de gigantesque ballon sera posée au milieu. Elle renfermera un amphithéâtre de 120 places, plus les cuisines et un « espace restauration ». À gauche, les appartements de la direction et des membres de l’encadrement, ainsi qu’un « hôtel » destiné à l’accueil des VIP ou des équipes – sénégalaises ou européennes – qui souhaiteraient se préparer à Saly. Dans une salle trône la maquette du projet, oeuvre de l’architecte Rama Diagne Sall Sao. Maçons, plâtriers, couvreurs, électriciens et peintres s’affairent. Les travaux ont pris du retard et déjà englouti plus de 1 milliard de F CFA (1,5 million d’euros). À eux seuls, les forages destinés à atteindre la nappe phréatique et à assurer l’alimentation en eau ont coûté 50 millions de F CFA. Aucun terrain de jeu n’est encore visible, mais six sont prévus, dont un en gazon synthétique qui pourrait être installé en septembre. Seck précise que le domaine sera doté d’un stade de cinq mille places.
Après la visite, nous assistons, trois heures durant, à un conseil de classes. La réunion se tient dans une salle d’un complexe hôtelier voisin. Saer Seck, assisté d’Adjovi-Bocco, est le « président-proviseur » du lycée. L’établissement dispose d’une vingtaine d’enseignants vacataires (tous en poste à Mbour), d’un coordinateur pédagogique et de deux répétiteurs à plein temps. Les quarante-huit pensionnaires sont répartis en quatre classes, de la sixième à la troisième. Six heures de cours par jour, du lundi au vendredi : chez les Diambars, la performance scolaire est prioritaire. Les professeurs sont apparemment satisfaits : le niveau d’ensemble est en hausse, même si certains élèves présentent encore des lacunes.
Le lendemain matin, à 7 heures, rendez-vous au stade municipal de Mbour pour l’entraînement quotidien. Le décor n’est pas vraiment folichon : une tribune en béton ouverte à tous les vents, des gradins poussiéreux jonchés de détritus… Mais le pire, c’est le terrain ! Point de gazon ni de « stabilisé » ici, mais une terre durcie par le soleil, bosselée et sablonneuse en surface. Comment, dans ces conditions, travailler sa virtuosité technique ? Et dire que c’est sur ce « champ de patates » que joue ordinairement le Stade de Mbour, une équipe de division I !
Les Diambars débarquent d’un minibus de location. Tous sont impeccablement équipés : tenue rouge ou noire, maillots à manches longues et chaussures à crampons… Idem pour les éducateurs, tout de noir vêtus. Trois groupes sont constitués, en fonction de l’année de naissance de ses membres (1989, 1990 ou 1991). Dirigé par Salam Lam et Moussa Camara, le premier commence par des tours de piste chronométrés, enchaîne avec des exercices d’étirement, des jeux avec ballon, puis termine par un petit match. Le second est soumis à une longue séance de discussion technique. Boubacar Gadiaga et Bachir Sarr, deux membres de l’encadrement, prennent tour à tour la parole, bientôt imités par Adjovi-Bocco et Saer Seck. Dans l’assistance, un homme écoute attentivement. Très digne avec son bonnet à la Amilcar Cabral, Amadou Paye « Gaucher » est un personnage mythique du foot sénégalais. Joueur de talent, il fit jadis le bonheur de la Jeanne d’Arc de Dakar. En 1972, une fracture du tibia mit fin à sa carrière. Depuis, il se consacre à la formation des jeunes. Il aime, dit-il, « pétrir la pâte ». On ne compte plus les footballeurs de talent qu’il a découverts. Sa route ne pouvait que croiser celle des Diambars. Pendant ce temps-là, le troisième groupe est parti s’entraîner sur l’un des terrains vagues de la ville…
D’une durée de deux heures, ces entraînements ont lieu quatre jours par semaine. Les week-ends sont réservés aux matchs (souvent à Dakar) et les vacances scolaires aux tournées à l’étranger. Au cours de l’été 2004, trente-deux Diambars ont ainsi voyagé en France et en Norvège. Idem cette année : tous les apprentis footballeurs participeront à des tournois à Saint-Sébastien (Espagne) et à Oslo (Norvège), seront reçus au siège alsacien de la firme Adidas, visiteront Reims, Roubaix et Londres avant de séjourner dans des familles françaises.
Chaque pensionnaire est lié à l’institut Diambars par un contrat de cinq ans. L’ambition des dirigeants est de « former des champions mais aussi des hommes » et d’atteindre le même niveau qu’un club ou un centre de formation européen. « Notre projet n’a rien à voir avec l’argent, ce n’est pas du business », explique Patrick Vieira. « La priorité, c’est de donner aux enfants les moyens de réussir leur reconversion et leur réinsertion dans la vie sociale, qu’il fassent ou non une carrière professionnelle », précise Saer Seck. Des opérations de détection des jeunes talents ont lieu dans toutes les régions du Sénégal. La sélection comporte plusieurs étapes et seuls les meilleurs sont retenus. Aucune fraude sur l’âge n’est tolérée.
Diambars, c’est l’initiative hypermédiatisée de gens sérieux qui aiment le foot et disposent de moyens importants presque sans équivalent en Afrique. Leur projet s’inspire beaucoup du modèle français. L’avenir dira si ce choix est adapté aux besoins du football sénégalais et africain.
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