Paysage de précampagne

Le coup d’envoi de l’élection présidentielle de décembre prochain n’est pas encore donné. Mais que ce soit le chef de l’État sortant, Omar Bongo Ondimba, ou ses éventuels adversaires comme Pierre Mamboundou ou Zacharie Myboto, les grandes manoeuvres ont d

Publié le 22 août 2005 Lecture : 9 minutes.

Oyem, sixième des neuf étapes – autant que le pays compte de provinces – de la tournée républicaine du président Omar Bongo Ondimba, le 14 juillet 2005, vers midi. Massée autour de l’aéroport, une foule bigarrée s’apprête à accueillir « Papa Bongo Ondimba ». Pancartes, écriteaux, et banderoles promettent « loyauté et fidélité à 100 % » au « candidat naturel » du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir). Il sollicitera, en décembre prochain, un nouveau mandat de sept ans.
Aucun prétendant ne s’est encore officiellement déclaré. Mais impossible de s’y tromper : la campagne est déjà lancée. Comme toujours, l’argent va jouer un rôle déterminant dans la compétition électorale. Et, comme toujours, le camp présidentiel a plusieurs longueurs d’avance sur ses concurrents. Tout y passe : tee-shirts, chemises, montres, porte-clés, gadgets en tout genre, sandwichs, sans oublier, bien sûr, les espèces, en billets de 500 et de 1 000 F CFA, « défraiement » pour les heures passées courageusement à attendre debout sous le soleil. Pragmatique, l’électeur gabonais est devenu moins sensible aux programmes qu’aux petits cadeaux qui entretiennent la ferveur et la bien nommée « fidélité ».
Sagement alignés sur le tarmac, les membres du gouvernement, arrivés de Libreville une heure plus tôt, par avion spécial – un Fokker 100 de location -, les gradés de l’armée et les notables des quatre départements du Woleu-Ntem forment une haie d’honneur. Le chef de l’État, suivi du Premier ministre, Jean-François Ntoutoume Emane, descendent lentement du jet présidentiel et commencent à serrer les mains. Puis se frayent un passage dans la foule, avant de prendre place sur l’estrade, aménagée quelques centaines de mètres plus loin, pour écouter le mot de bienvenue du maire d’Oyem, Vincent Essono Mengue.
Une allocution régulièrement interrompue par la chorale de l’union des femmes du PDG, qui lancent à la cantonade quelques slogans bien sentis. Ils semblent comme empruntés au registre publicitaire : « Bongo Ondimba, l’expérience qui fait la différence », ou encore « PDG, la force tranquille ». Imperturbable, l’édile continue son discours et remercie le président, pour toutes les réalisations dont a bénéficié la province au cours de sa dernière mandature, et qui a promis de décentraliser à Oyem, dès la rentrée, une des facultés de l’université qui porte son nom, l’Université Omar-Bongo-Ondimba de Libreville. « Nous saurons vous renvoyer l’ascenseur, et peut-être même très bientôt. »
Le Woleu-Ntem n’est pas une étape comme les autres. Sa capitale, Oyem, abritera, avec Port-Gentil, les fêtes tournantes de l’indépendance, le 17 août prochain. Celles-ci, organisées chaque année dans des provinces différentes, sont prétexte à la réalisation d’importants chantiers de modernisation des infrastructures publiques : routes, dispensaires, réhabilitation d’ouvrages d’art. Dotées d’un budget d’une trentaine de milliards de F CFA, elles sont censées matérialiser « l’engagement personnel du chef de l’État en faveur des régions délaissées ». Mais les travaux accusent un tel retard que tout le monde doit se rendre à l’évidence : ils ne seront pas terminés dans les temps. Pour une fois, l’État n’est pas en cause, ce sont les autorités locales qui ont été incapables de s’entendre sur les emplacements et le tracé des routes…
La ville d’Oyem et la province du Woleu-Ntem ont, pendant un temps, « tourné le dos » au PDG, en plébiscitant Pierre Mba Abessole, alors opposant et candidat du Rassemblement national des bûcherons (RNB), au début des années 1990. Mais le passé est le passé, et, aujourd’hui, il n’est plus question que de fidélité retrouvée. Omar Bongo Ondimba l’a bien compris, qui vante la cohésion et l’entente dans un discours au ton très paternel : « Nous avons été divisés, nous avons été séparés, nous nous sommes querellés, mais, à partir de 1993, nous avons compris que la lutte ne valait rien, et nous avons fait un bon mariage. »
Tonnerre d’applaudissements. L’ambiance est à l’union sacrée. « Le Woleu-Ntem dit non aux traîtres », clame une banderole, déployée, bien en vue, sur la façade de l’aéroport. « Le PDG se porte mieux sans les traîtres », proclame une autre. Les traîtres ? Ce sont les partisans de Zacharie Myboto, l’ancien ministre d’État et cacique du PDG, passé avec armes et bagages dans le camp de l’opposition. Aujourd’hui à la tête de l’Union gabonaise pour la démocratie et le développement UGDD, une formation en attente de légalisation, il veut défier Omar Bongo Ondimba à la présidentielle de décembre.
« Zacharie Myboto a fait la pluie et le beau temps à l’époque du parti unique, explique un collaborateur du chef de l’État. Il décidait de tout, et était bien plus puissant qu’un Premier ministre. Chantal, sa fille aînée, était alors très proche du président. Les deux familles sont restées très liées. La cadette de Zacharie Myboto doit d’ailleurs se marier avec Henri Bongo, un des fils du président. Myboto a très mal vécu dans les années 1990 l’offensive des « rénovateurs » animée par Ali Ben Bongo, l’actuel ministre de la Défense, autre fils du chef de l’État. Myboto a reproché au président de n’avoir pas voulu arbitrer entre lui et les rénovateurs, et s’est imaginé qu’il avait laissé faire pour placer Ali Ben sur orbite dans l’optique de la succession. Ensuite, il a pris ses distances, à partir de 2001, date de son départ du gouvernement, avant de claquer la porte du parti le 30 avril 2005. Beaucoup de gens bien placés veulent aujourd’hui lui faire payer sa trahison… »
Attaques verbales, insinuations, tracasseries en tout genre (le passeport de son fils aîné a été confisqué par des policiers) : plus un jour ne se passe sans que Zacharie Myboto ait d’une façon ou d’une autre maille à partir avec les autorités. On lui reproche aussi ses mauvaises fréquentations, sa proximité avec le régime de l’Ivoirien Laurent Gbagbo, qui l’a reçu dernièrement, à Abidjan. Il doit enfin faire face à l’accusation de vouloir « ethniser » le débat politique et, partant, de menacer la fragile cohésion nationale d’un Gabon mosaïque de communautés. Myboto appartient au groupe ethnique des Nzébis, le deuxième du pays par ordre d’importance, après celui des Fangs. Il est soupçonné de vouloir enrôler les Nzébis congolais, qui ont mal vécu la chute du président Pascal Lissouba, défait militairement, en 1997, par Denis Sassou Nguesso, dont la fille est l’épouse d’Omar Bongo Ondimba.
La prolifération des armes légères dans la sous-région ajoutée aux frontières poreuses ne laissent pas d’inquiéter les autorités. Qui disent redouter des troubles pendant, et surtout immédiatement après le scrutin. « Le candidat de l’UGDD a recruté d’anciens miliciens Cocoyes de Pascal Lissouba pour sa garde personnelle, assure un ministre influent. Nous savons, malheureusement, comment se passent les élections en Afrique. Le perdant refuse de reconnaître sa défaite, et suscite des troubles pour forcer le vainqueur à négocier et à partager le pouvoir. Vous connaissez le mot d’ordre des militants de l’UGDD ? – « Si on ne gagne pas, on gaspille ! »
Une chose est sûre : l’entrée en lice de Zacharie Myboto a dynamisé une précampagne jusqu’alors bien émolliente. « On a un peu l’impression aujourd’hui que le programme de la majorité présidentielle se limite à « Tous contre Myboto », ironise un observateur de la politique gabonaise. En un sens, les attaques lui ont rendu service, car elles ont crédibilisé sa candidature. Mais je ne crois pas que le patron de l’UGDD ait une véritable chance de l’emporter, ni qu’il constitue une menace sérieuse, même si, à la différence d’un opposant comme Pierre Mamboundou, le leader de l’Union du peuple gabonais (UPG), totalement désargenté, Myboto dispose d’un trésor de guerre… »
Désavantagée par le mode de scrutin, majoritaire à un tour, l’opposition, dont Zacharie Myboto et Pierre Mamboundou sont aujourd’hui les deux figures de proue – le PGP, le Parti gabonais du progrès, de Me Pierre-Louis Agondjo Okawe, qui traverse une crise profonde, ne présentera pas de candidat -, ne peut espérer gagner qu’à condition de sceller une alliance autour d’une candidature unique. La chose semble difficile. Mamboundou, le maire de la petite ville de Ndendé, dans la province de La Ngounié, crédité de 16,54 % des voix à la présidentielle de 1998, jouit d’une aura importante dans l’opinion. Il est intègre. Il est le seul opposant à avoir toujours refusé de céder à la tentation du ralliement au pouvoir. Mais il manque de moyens, et même si le secrétaire général du parti, Richard Moulomba Mombo, revendique plus de 50 000 adhérents, presque aucun n’est à jour de ses cotisations.
La subite conversion de Zacharie Myboto aux vertus de l’opposition laisse très sceptique dans les rangs de l’UPG. « Un homme peut changer, et il est peut-être sincère, explique un haut cadre de l’UPG, mais notre base reste circonspecte. Elle a tendance à ne voir en Myboto qu’un sous-marin du PDG, ou de Bongo Ondimba lui-même. A priori, il me semble exclu que notre candidat, qui a tout sacrifié depuis 1989 à son engagement politique, se désiste en sa faveur. La logique voudrait que le dernier arrivé rejoigne le premier, l’inverse ne s’est jamais vu. De toute façon, même s’il y a eu des contacts informels entre entourages, Myboto n’a fait jusqu’à présent aucune démarche officielle pour rencontrer Mamboundou et négocier avec lui. »
Il semble que ce soit encore « trop tôt » pour le patron de l’UGDD. « Les choses doivent se décanter et mûrir de façon sérieuse », confie-t-il. Avant de fustiger le mode de scrutin : « Je me suis fermement opposé à sa modification, quand j’étais encore à l’Assemblée nationale. Nous suivons de très près les manigances du pouvoir, notamment autour des listes électorales, qui vont être établies sur la base des résultats, plus que controversés, du recensement de 2003. Les chiffres du ministère de la Planification, de la Cour constitutionnelle et du Conseil des ministres ne sont pas les mêmes. Sur quelle base va-t-on établir les listes ? » Ce n’est pas la seule inquiétude de Myboto qui souhaite un « scrutin libre, transparent et juste ». Et en appelle « aux observateurs internationaux, venant de divers horizons, car c’est une élection capitale pour l’avenir du pays ».
Omar Bongo Ondimba ne l’ignore pas. Et, de l’avis de nombre d’observateurs, le pouvoir ne devrait pas recourir à la fraude pour l’emporter. Il n’en a pas besoin. La combinaison des moyens dont il dispose et du mode de scrutin devrait largement suffire. Surtout que la plupart des dirigeants politiques susceptibles de mobiliser quelques troupes ont, depuis longtemps, rejoint la majorité présidentielle, un attelage hétéroclite qui compte maintenant trente-neuf formations. Ses leaders, caciques du PDG ou opposants devenus « conviviaux », comme Paul Mba Abessole ou Pierre Claver Maganga Moussavou (Parti social-démocrate, PSD), qui ont brigué, en vain, le poste de directeur de campagne du président, un poste traditionnellement réservé aux Fangs de l’Estuaire, et qui donne les clés de la primature, ont déjà le regard tourné vers les prochaines échéances électorales de la fin 2006.
En attendant, il semble entendu pour tout le monde que le mandat que le chef de l’État sortant sollicitera des électeurs en décembre 2005 sera son dernier, et qu’il le mettra à profit pour orchestrer sa sortie. Sans le dire, beaucoup préparent déjà l’après-Bongo Ondimba. Et veulent être en position de peser. Le président ne l’ignore pas. Irrité par les convoitises et les exigences des uns et des autres, il a décidé – et l’a annoncé le 9 juillet au cours d’une réunion discrète avec les chefs de la majorité présidentielle à la Cité de la démocratie, à Libreville – que le poste de directeur de campagne ne serait pas pourvu et qu’il dirigerait lui-même sa campagne. Commentaire d’un initié, haut dignitaire du PDG : « Le président a voulu garder les mains libres pour l’avenir et ne veut devoir à personne sa réélection. »

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