Mossadegh renversé par la CIA

Publié le 22 août 2005 Lecture : 3 minutes.

Un nom résume l’incompréhension qui depuis un demi-siècle oppose les États-Unis à l’Iran : Mohamed Mossadegh, le Premier ministre iranien déposé en août 1953 par un coup d’État de la CIA. L’opération, baptisée Ajax, a eu des conséquences catastrophiques pour les Iraniens, pour la région et pour les États-Unis eux-mêmes, de la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran en 1979 à leur enlisement actuel dans le bourbier irakien.
La Perse – devenue l’Iran sous le règne du shah Reza Pahlavi (1925-1941) – a une longue et prestigieuse histoire, doublement millénaire, mais marquée par une malédiction : le pétrole. Le point de départ est l’accord signé en 1901 par le shah qadjar Mouzzaffar al-Din, qui vendit au financier britannique William Knox D’Arcy « le privilège » d’exploiter les ressources pétrolières du pays. « Un cadeau féerique qui va au-delà de nos rêves les plus fous », disait Winston Churchill. Et un cadeau auquel la Grande-Bretagne ne voulut jamais renoncer. Jusqu’à Mossadegh.

Après des années d’exploitation sans partage, le sursaut iranien eut lieu en 1947. En 1941, le shah Reza, dont la neutralité pendant le conflit mondial était un peu trop proallemande, avait dû abdiquer en faveur de son fils, Mohamed Reza. En 1946, les ouvriers du centre pétrolier d’Abadan firent ce qu’ils n’auraient jamais osé faire sous l’autorité du père : ils se mirent en grève. En 1947, le Parlement – le Majlis – vota une loi qui ordonnait au gouvernement de renégocier les conditions dans lesquelles opérait l’Anglo-Iranian Oil Company. Le député qui avait rédigé le projet de loi et l’avait fait adopter était Mohamed Mossadegh.
Né le 19 mai 1882, Mossadegh avait, cette année-là, 65 ans. Fils d’une princesse qadjare et d’un père qui avait été pendant vingt ans ministre des Finances du shah Nassir al-Din, il avait fait des études à l’École des sciences politiques de Paris et quelques incursions dans la politique iranienne. Après une nouvelle élection au Majlis en 1943, il se consacra à la lutte contre l’Anglo-Iranian.

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Le 28 avril 1951, profitant d’une réunion du Parlement convoquée pour confirmer un Premier ministre choisi par Londres, Sayyed Zia, il se fit élire à la place de ce dernier. Pendant plus de deux ans, il allait occuper le devant de la scène iranienne et internationale. Utilisant avec un art consommé ses 70 ans et une maladie qui provoquait de fréquents évanouissements, il se montrait volontiers en pyjama et recevait des délégations de son lit. Il s’imposa vite comme le porte-parole des mouvements de libération qui commençaient à se manifester dans le monde colonial et paracolonial.
En octobre 1951, il tint les Britanniques en échec au Conseil de sécurité de l’ONU. L’impression qu’il fit sur l’opinion américaine fut telle que l’hebdomadaire Time l’élut « l’Homme de l’année 1951 ». L’article qui lui était consacré le traitait à la fois de « vieux sorcier » et de « petit garçon capricieux », mais voyait aussi en lui « le George Washington iranien » et « la plus grande figure mondiale que son pays ait produite depuis des siècles ».

Fin 1952, la situation était bloquée. Le président Harry Truman et son secrétaire d’État Dean Acheson n’arrivaient pas à convaincre Churchill et son secrétaire au Foreign Office de s’entendre avec Mossadegh. L’élection à la Maison Blanche du républicain Dwight Eisenhower allait tout changer. Il laissa faire les hyperactivistes de l’anticommunisme qu’étaient les frères Dulles : John Foster, le secrétaire d’État, et Allen, patron de la CIA. Ces derniers étaient convaincus que « si l’Iran succombait au communisme, il ne fait guère de doute qu’à brève échéance les autres pays du Moyen-Orient, qui concentrent 60 % des réserves pétrolières mondiales, tomberaient sous l’emprise soviétique ».
Et ce fut, du 19 juillet au 19 août, l’opération Ajax, anti-Mossadegh, menée à Téhéran par Kermit Roosevelt, le petit-fils du président Theodore Roosevelt, dans des conditions rocambolesques.
Jugé par un tribunal militaire, Mossadegh fut condamné à trois ans de prison. Libéré en 1956, il fut assigné à résidence dans sa propriété d’Ahmad Abad, non loin de Téhéran. Il y mourut en 1967 à l’âge de 85 ans. « Mon seul crime, avait-il déclaré à ses juges, est que j’ai nationalisé l’industrie pétrolière et libéré ce pays de l’étreinte du colonialisme. »

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