L’or du pays lobi

Publié le 22 août 2005 Lecture : 3 minutes.

Gaoua, sud-ouest du Burkina Faso. En ce début de mois de juillet, la succession de vallées qui s’étirent à perte de vue n’est plus qu’une immense tache verte que viennent nuancer les pigments vert cru des épis de maïs et les feuilles émeraude des manguiers.
Fief des Lobis, peuple guerrier et rebelle émigré à la fin du XVIIIe siècle du Ghana voisin, la région a été colonisée par la France à la fin du XIXe siècle. Les Lobis résistèrent farouchement à la « pacification », et la répression de l’armée française fut implacable. Aussi toute innovation venant de l’extérieur fut-elle longtemps rejetée par les Lobis, car directement assimilée au colonisateur. Celui qui suivait la « voie » des Blancs était maudit par les ancêtres. Et il a fallu, par exemple, attendre le milieu des années 1990 pour que les écoles publiques s’implantent solidement dans la région. Symbole de la persistance des traditions, l’habitat des Lobis n’a guère évolué depuis le siècle dernier. Les maisons, construites en banco, sont de véritables forteresses. Pas de fenêtre dans les murs épais, si ce n’est de fines meurtrières de la largeur d’un carquois.
La culture lobie est aussi atypique par le pouvoir important qu’elle réserve aux femmes. Ce sont elles qui, par exemple, transmettent le nom aux enfants. Elles seules sont chargées de l’orpaillage. Le dos courbé, les femmes passent leurs journées à creuser et laver la terre des collines. Munies d’outils plus que rudimentaires, elles piochent et excavent des trous profonds de plusieurs mètres, puisent l’eau et nettoient la terre des dizaines de fois de suite. Si elles ont de la chance, une poussière d’or, dont les particules sont plus lourdes que la glaise, se détache alors sur le fond de la calebasse. Les très bonnes semaines, elles peuvent récolter jusqu’à un gramme du précieux métal. Revendu au marché, cela leur rapportera environ 6 000 F CFA. Pour des semaines où elles ne trouveront rien et des dizaines d’heures d’un travail harassant sous un soleil de plomb…
La région de Gaoua est la plus ancienne zone d’orpaillage au Burkina. Certains sites sont de grande envergure. Comme celui de Mamina, situé à quelques kilomètres de la ville de Kampti, un immense bidonville composé de cahutes de paille rapiécées de plastique noir. La pluie tombée la veille a transformé le sol en une gigantesque mare de boue. Les gens se déplacent en pataugeant dans les allées. Des radios crachent de la musique occidentale et une odeur de friture transpire des marmites dans lesquelles des femmes préparent des beignets. Il se dégage du lieu une ambiance de Far West. On croise essentiellement des hommes jeunes à la mine patibulaire. Les bagarres sont fréquentes. Deux jeunes Nigérianes de 22 et 20 ans, Love et Mary, expliquent dans un anglais haché qu’elles sont là depuis un an. Elles sont venues de Lagos avec leurs soeurs pour « chercher l’argent » et s’occupent de « faire la cuisine »… Elles n’aiment pas être ici. Elles voudraient partir. En France, par exemple. N’y a-t-il pas de travail pour elles là-bas ?
Boukari, lui, vient d’arriver. Il est mécanicien et répare des mobylettes. « Je gagne plus qu’à Gaoua, dit-il. Mais je veux vite repartir. Ici, c’est le cauchemar. Il n’y a pas d’eau, pas de toilettes, et la nourriture te rend malade. Surtout, l’ambiance n’est pas bonne. Tout le monde est là pour l’argent. Si tu ne fais pas attention, on te vole. »
Nul ne sait combien de personnes habitent Mamina. « Près de 10 000… Le lieu existe depuis un an environ, selon Boukari. Et chaque jour des gens arrivent. Certains viennent de loin, des Nigérians, des Camerounais… » Les deux militaires en treillis qui surveillent les lieux se gardent bien de donner un chiffre ou quelque autre précision. Une autorisation officielle est indispensable pour recueillir de l’information, discuter avec les gens et, surtout, s’aventurer au-delà du tas de misère et de plastique que représente ce village improbable. Car le site aurifère lui-même est situé à environ quarante minutes de marche. Mamina n’est que la partie visible de l’iceberg. Là-bas aussi vivent et travaillent des milliers d’hommes, de femmes. Et des enfants. Les galeries, très profondes, s’écroulent régulièrement, entraînant la mort des malheureux qui s’y trouvent. Officiellement, l’orpaillage est interdit en cette saison à cause du risque d’éboulement que font courir les pluies. Mais ni les militaires ni le responsable du Comptoir burkinabè des métaux précieux (CBMP), également présent sur les lieux, ne sont au courant de cette législation… Et la misère poussera encore longtemps les orpailleurs à risquer leur vie pour quelques grammes d’or enfouis sous la terre du pays lobi.

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