Le temps du discernement

Publié le 22 août 2005 Lecture : 4 minutes.

L’Afrique, depuis le 3 août 2005, vit un peu à l’heure de Nouakchott, au pays des vents du désert. Je dis « un peu », car la tragique disparition de John Garang est sans doute d’une tout autre ampleur. Le pays des Maures cependant demeure présent à l’esprit à cause de « son » coup d’État… parfaitement réussi.
Il convient d’abord de rappeler que si, le 28 novembre 1960, la Mauritanie est devenue réalité dans la communauté africaine et internationale, c’est surtout grâce à l’action intelligente et déterminée d’un homme subtil et ferme qui s’appelait Mokhtar Ould Daddah.
La Mauritanie lui doit son nom de « République islamique », sa première Constitution, sa capitale tout entière surgie des sables et le bénéfice de sa résistance aux visées d’un Maroc sourcilleux qui finit par la reconnaître en septembre 1969. La Mauritanie d’aujourd’hui ne peut que saluer la très audacieuse décision de Mokhtar Ould Daddah de créer une monnaie nationale, l’ouguiya, hors de la zone franc, et le risque majeur qu’il prit de nationaliser les mines de fer et de réviser les accords de défense avec l’ancienne métropole tout en conservant avec elle des liens de bonne coopération. Homme d’intégrité quasi monastique, technicien du droit, patriote sincère, ce chef d’État de large vision voulait une Mauritanie de singularité affirmée dans une Afrique cohérente, diverse et respectée. Sa présidence de l’OUA, en 1971, fut l’une des plus riches et des plus actives. Son amitié forte avec Amadou Ahidjo et Léopold Sédar Senghor, ses relations confiantes avec Félix Houphouët-Boigny, Léon Boissier-Palun, Omar Bongo… l’aidèrent sûrement à éviter les funestes dérapages racistes que l’on devait déplorer plus tard.
C’est ce rare personnage de l’histoire de nos indépendances que des militaires oisifs et « manipulés » vinrent séquestrer un matin du 10 juillet 1978. On connaît la suite…
Cette mascarade vient encore de s’étaler pour amuser le monde. Ould Taya, on le sait, s’était donné une allure de héros en chassant son ami et frère Ould Haïdallah, le 12 décembre 1984, par un coup d’État perpétré en l’absence de ce dernier alors en voyage à l’étranger. C’est de la même manière que ses plus « fidèles » compagnons lui rendent aujourd’hui la monnaie de sa pièce, lui qui se prédisait le plus long règne, après vingt et un ans de souveraineté sans partage. Or nous l’avons tous appris : « Qu’est-ce que dix ans, qu’est-ce que vingt ans, puisqu’un seul instant les efface ! »
Et cet instant est venu… avec son cortège d’admonitions. Il est évidemment juste et « politiquement correct » qu’aux Nations unies et ailleurs on s’émeuve. Nous devons néanmoins aller plus loin dans l’analyse pour tirer les véritables conséquences de l’événement.
Voilà en effet un régime qui a sans doute à son actif quelques réalisations dont il veut s’enorgueillir.
Mais c’est aussi un régime qui :
– a mis en péril la Cedeao en la privant sciemment de sa participation pour bâtir un espace régional d’intégration économique et politique nécessaire à tout vrai progrès en Afrique de l’Ouest ;
– a relancé, en 1990, la guerre sourde, devenue ouverte, contre les populations négro-mauritaniennes et sénégalaises, perpétuant ainsi une sous-culture du mépris et de l’asservissement ;
– a tout simplement confisqué le pouvoir pendant plus de vingt ans, bannissant toute contestation et vidant la démocratie de sa réalité pour en respecter les seules apparences.
De quels moyens disposait donc le peuple mauritanien pour vivre dans un État de droit, écraser l’arbitraire, ruiner les privilèges et vaincre l’impunité organisée ? Quelle chance pour quelque alternance que ce soit… si rien ne se produisait ?
Sieyès, l’architecte intellectuel de la Révolution française, le défenseur des « droits qui appartiennent à tous », s’est vu lui-même confronté aux abus, au fanatisme et à l’arbitraire des justiciers de la monarchie. Il lâcha ce mot, saisissant : « Je cherche une épée, la moins longue qu’il se pût. »
Les Mauritaniens semblent bénir aujourd’hui l’épée du changement devenu nécessaire. Pourvu qu’au bout de l’arme qui ne tua personne ne vienne pas s’imposer un nouveau Bonaparte ! D’où l’opportunité de ces mises en garde qui appellent au retour rapide à un ordre constitutionnel.
En vérité, cependant, le discernement nous contraint à rappeler que ce ne sont pas les textes des Constitutions qui nous importent, mais bien leur loyale application, la liberté rendue à nos peuples, la responsabilité des gouvernants dans la gestion du bien public. Le petit caporal ou le chef de bande « patriotique » qui se cache derrière la lettre de la loi pour asseoir une autocratie destructrice ne peut s’attendre à la moindre sympathie d’un peuple vigilant dont la misère s’aggrave.
Le soulagement observé désormais dans les rues de Nouakchott, il faut le décrypter sans hypocrisie. « Le discernement, m’a confié un jour Mokhtar Ould Daddah, est une vertu politique cardinale. »
Souhaitons qu’il ne déserte pas l’intelligence des juges et que la Mauritanie retrouve la voie de « la bonne gouvernance ».

* Ancien secrétaire des Nations unies

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