[Tribune] Pourquoi la privatisation partielle d’Ethio Telecom est salutaire et opportune

Loin de sa réputation de « machine à cash », Ethio Telecom accuse un passif qui en fait un frein pour l’économie éthiopienne.

Un piéton au téléphone, à Addis Abeba. © Mulugeta Ayene/AP/SIPA

Un piéton au téléphone, à Addis Abeba. © Mulugeta Ayene/AP/SIPA

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Publié le 1 septembre 2020 Lecture : 5 minutes.

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En décembre dernier, le Premier ministre Abiy Ahmed a lancé un plan de réforme économique « maison »pour faire avancer l’ambitieux projet visant à faire de l’Éthiopie un pays à revenu moyen d’ici à 2025 et un « modèle africain de prospérité » d’ici à 2030.

Le plan, porté par le leitmotiv Medemer (« travailler à l’unisson », mantra et titre du livre publié par le prix Nobel de la paix 2019), vise à surmonter, grâce à des réformes macroéconomiques, structurelles et sectorielles, les obstacles structurels et institutionnels auxquels l’Éthiopie est confrontée.

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Renforcer la contribution du secteur privé

Comme les plans économiques des administrations précédentes, le programme de réforme économique a été élaboré en tenant compte à la fois des possibilités offertes par le marché et du rôle de l’État dans la résolution des problèmes économiques du pays, tout en privilégiant le secteur non étatique.

Il prévoit de renforcer la contribution du secteur privé à l’économie globale en ouvrant les grandes entreprises publiques (Ethiopian Airlines, Ethio Telecom, Ethiopian Electric Power Corporation et Ethiopian Shipping & Logistics Services Enterprises) aux investissements privés et étrangers.

Ethio Telecom est la première grande entreprise à être concernée par le processus de libéralisation, qui se trouve désormais dans sa phase finale.

La loi n° 1148/2019 a été promulguée et l’Autorité éthiopienne des communications (ECA) a été créée dans le but de réaliser « la politique gouvernementale de restructuration du marché des télécommunications et d’introduction de la concurrence ».

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Les télécoms, épine dorsale de l’économie mondiale

La pandémie de Covid-19 a souligné l’importance des services de télécommunications en tant qu’épine dorsale de l’économie mondiale. Plus que jamais, l’Éthiopie a besoin de services de télécommunications performants.

« La privatisation partielle d’Ethio Telecom [contribuera] à attirer les investissements étrangers, à soutenir les efforts du pays en vue de faciliter la marche des affaires et son programme plus large de réforme économique. En outre, elle générera des revenus par le biais de redevances, de taxes et de dividendes qui contribueront à la restructuration économique globale », assure ainsi un récent communiqué de presse du ministère des Finances.

Les services de télécommunications éthiopiens sont classés 170e au monde sur 176

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Des inquiétudes sont toutefois apparues, certaines étant plus fondées que d’autres.

Un retard important vis-à-vis des pays voisins

L’Éthiopie est l’un des derniers pays à détenir un monopole sur l’opérateur national de télécommunications. La plupart des autres pays, y compris les voisins kényan, égyptien et soudanais ont – il y a longtemps – privatisé le secteur, et bénéficient d’excellents services qui contribuent de manière substantielle à leur PIB.

Pendant ce temps, l’Éthiopie prend du retard. Selon l’indice de développement des TIC (IDI) 2017 de l’Union internationale des télécommunications de l’ONU, le service éthiopien est classé 170e au monde sur 176 pays.

Avec plus de 45 millions d’abonnés à la téléphonie mobile, le taux de pénétration des services de télécommunications en Éthiopie – téléphonie mobile (65 %), internet (15 %) et fixe (0,6 %) – se compare difficilement à celui de pays à la population équivalente, comme l’Égypte (106 %, 48 % et 5,2 %) et le Nigeria (84 %, 51 % et 0,01 %).

Ethio Telecom a récemment réduit ses prix, mais ils restent encore au-dessus du seuil abordable déterminé par l’ONU, et le pays est classé 60e sur 61 dans le rapport 2019 de l’Alliance for Affordable Internet (A4AI) en Afrique.

Des prêts pas si avantageux

S’il existe un mythe – infondé – selon lequel Ethio Telecom est une vache à lait qui génère chaque année des bénéfices, les revenus devraient être mis en regard du service du prêt de crédit stratégique de 3,1 milliards de dollars de la Banque chinoise d’import-export (China Exim Bank) et de la Banque de développement de Chine pour améliorer les opérations d’Ethio Telecom.

Il y a une dépendance totale vis-à-vis des Chinois, sans aucun transfert de technologie et de connaissances

Le prêt a été accordé en deux phases (1,5 milliard en 2006 et le reste en 2013). Bien que les conditions précises du prêt n’aient pas été divulguées, les recherches montrent que la première tranche de 1,5 milliard de dollars est assortie d’un taux d’intérêt de LIBOR plus 150 points de base et que la période de remboursement est de treize ans. Cela implique des coûts de remboursement de plus de 4 milliards de dollars.

Il existe aussi des frais pour les équipements obsolètes ainsi que des amortissements pour les logiciels et des coûts de licences internationales. Le tout, alors que les services sont restés très mauvais.

En outre, le prêt crée une dépendance totale vis-à-vis des fournisseurs d’équipements, de l’expertise et des ressources chinoises, sans aucun transfert de technologie et de connaissances.

Dans l’ensemble, le flux de trésorerie annuel d’Ethio Telecom, le chiffre comptable pertinent pour le profit, est probablement faible et risque d’être une source d’endettement pour le pays sans contribution significative à l’économie nationale.

Atteinte à la souveraineté nationale ?

L’autre problème supposé réside dans le risque d’atteinte à la souveraineté nationale, mais là aussi, il s’agit d’une fausse alerte. La nouvelle Autorité éthiopienne des communications fixe en effet des règles à observer pour les  investisseurs étrangers et publics sous sa juridiction, alors que les infrastructures critiques d’Ethio Telecom sont actuellement la chasse gardée des entreprises chinoises ZTE et Huawei.

La privatisation partielle des services de télécommunications contribuera donc au contraire à préserver la sécurité nationale.

Il existe une véritable préoccupation chez les Éthiopiens au sujet de la transparence et de la responsabilité du processus de privatisation. Il est essentiel d’impliquer la population (universitaires, partis politiques, partenaires de développement et autres parties prenantes concernées) dans les évaluations, les processus d’appel d’offres et les critères de sélection et de passation des marchés.

Le récent appel, lancé par le régulateur, à la consultation des parties prenantes au sujet des directives et règlements relatifs à la transaction va dans la bonne direction, mais la confiance et la compréhension de la population sont essentielles au succès du processus.

Un rôle de catalyseur des prochaines réformes

Certains commentateurs craignent que la valorisation d’Ethio Telecom soit affectée par la pandémie de Covid-19 et ses répercussions économiques. Il s’agit d’un danger réel, mais on peut penser que du point de vue du gouvernement, il est crucial d’obtenir des financements par le biais de la privatisation, qui offre des risques moins élevés que les prêts.

En résumé, la décision du gouvernement de procéder à la privatisation partielle d’Ethio Telecom est salutaire et opportune. Elle permettra à la fois d’augmenter l’efficacité d’Ethio Telecom en l’exposant à une plus grande concurrence et à une meilleure discipline de marché ; d’augmenter les recettes de l’État, de mobiliser des capitaux d’investissement pour les services de télécommunications.

Une première privatisation réussie devrait en outre servir de catalyseur important pour réduire le rôle de l’État dans l’économie dans le cadre des réformes en cours.

Article initialement paru en anglais sur le site Ethiopia Insight.

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