Irak : la solution sunnite

Dans une tribune au « Wall Street Journal », Leslie H. Gelb* estime qu’il faut donner à l’ancienne communauté au pouvoir « plus que ce qu’elle mérite » pour neutraliser l’insurrection et stabiliser le pays.

Publié le 22 août 2005 Lecture : 4 minutes.

Les États-Unis font pression sur les Irakiens pour que la rédaction de la Constitution soit terminée le 15 août même si tous les désaccords entre chiites, sunnites et Kurdes ne sont pas réglés. Le pire résultat, à leurs yeux, ce serait une Constitution qui introduirait un régime fédéral solide avec trois régions disposant de prérogatives considérables et un gouvernement central faible.
À l’évidence, ils préféreraient un Irak suffisamment uni pour déjouer les visées des voisins qui voudraient mettre la main sur une partie du pays ou y entretenir des troubles, mais pas nécessairement gouverné de Bagdad, dont le pouvoir ne s’exercerait que dans des domaines sensibles tels que la défense des frontières, la politique étrangère ou le partage des revenus du pétrole.
Par ailleurs, Washington craint que l’introduction du fédéralisme ne déclenche une guerre civile avec les Arabes sunnites. Certains dirigeants américains n’ont pas encore compris que les sunnites sont déjà en guerre. Peut-être parce que plusieurs chefs sunnites, pensant qu’ils seraient floués par le fédéralisme, continuent à réclamer un gouvernement central fort. Mais les Américains, comme les sunnites, se bercent d’une illusion dangereuse : qu’un jour les sunnites vont récupérer le pouvoir à Bagdad et que tout sera pour le mieux. Cela n’arrivera jamais. Un jour ou l’autre, les sunnites s’en rendront compte.
L’administration pousse aussi à la centralisation pour permettre au président George W. Bush de tenir sa promesse maintes fois répétée selon laquelle les Irakiens auront chez eux une démocratie pleine et entière, avec suffrage universel et gouvernement de la majorité. Le problème ici, et il est de taille, c’est que la démocratie en question sera dirigée par les chiites, qui constituent environ 60 % de la population et dont les leaders religieux se moquent des droits d’autrui.
Un gouvernement chiite rendrait dérisoires les principes invoqués par la Coalition pour justifier l’invasion de l’Irak, comme les sacrifices qu’elle a consentis. En outre, les chefs chiites seraient encouragés à nouer des liens étroits avec l’Iran. Un pouvoir centralisé, s’appuyant sur la loi islamique, imposant aux femmes un statut inférieur et s’alliant avec Téhéran, ce serait la guerre civile assurée.
Ce dont on a besoin, c’est d’une stratégie conduite non pas par les chiites, mais par des Arabes sunnites, dont une partie est au coeur de l’insurrection et du terrorisme au centre de l’Irak. Ils représentent le fond du problème stratégique et il ne peut pas y avoir de stabilité sans eux. Tout le problème, stratégiquement parlant, est d’amener leurs dirigeants divers et variés à se coaliser en faveur de la Constitution et contre les insurgés.
Aussi pénible que cela soit, la clé est de donner aux Arabes sunnites plus que ce qu’ils méritent. Avec les encouragements des Américains, chiites et Kurdes devraient leur faire une offre qu’ils ne peuvent refuser. C’est-à-dire une offre indiscutablement meilleure que tout ce qu’ils pourraient obtenir en poursuivant l’insurrection.
Kurdes et chiites devraient réfléchir à deux propositions à soumettre aux sunnites : leur donner, d’abord, plus qu’il ne leur reviendrait dans un partage équitable des revenus du pétrole ; ensuite, le droit de diriger leurs propres affaires dans le centre du pays et donc de ne pas subir la domination des chiites et des Kurdes. Les dirigeants sunnites comprendraient certainement que ces propositions leur apportent bien plus que ce qu’ils pourraient obtenir sur le champ de bataille. Ils n’ont ni réserves de pétrole ni raffineries, et cet accord leur donnerait des revenus substantiels pour reconstruire leurs foyers et leur économie. Grâce à l’autonomie régionale, ils seraient relativement à l’abri des exactions des chiites et des Kurdes.
Un tel accord est essentiel si l’on veut développer le loyalisme au sein de l’armée et de la police irakiennes, leur volonté de se battre et de mourir pour leur patrie. Mais ce n’est pas assez. Les États-Unis doivent les inciter à prendre davantage leurs responsabilités pour défendre leur propre survie.
Le facteur stratégique déterminant est un plan de retrait à la fois global et souple. Il pourrait être décidé en liaison avec les dirigeants irakiens, sans calendrier rigide. On a récemment évoqué un retrait « substantiel » dans un délai d’un an. Isolée, cette proposition n’a aucun impact politique. Elle doit être intégrée dans un plan d’ensemble pour signifier aux Irakiens que la présence américaine n’est pas illimitée et qu’ils doivent commencer à se prendre sérieusement en main. Les États-Unis peuvent lier l’importance de leurs retraits à l’observation de certaines conditions, du moment que l’objectif clair et net est un retrait total, et dans un avenir prévisible.

* Leslie H. Gelb est président honoraire du Conseil [américain] des relations étrangères.

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