Irak : Allaoui – Chalabi
Issus de familles patriciennes qui eurent leur heure de gloire sous la monarchie, Iyad Allaoui et Ahmed Chalabi ont d’abord eu des itinéraires très différents : le premier fut un militant pur et dur du Baas quand le second choisissait l’exil. Mais l’un e
Au Moyen-Orient, tout tourne autour du moukhatat, (plan, complot, conspiration). Sacrifiant à une conception policière de l’Histoire, l’opinion se persuade volontiers que la vie politique est une représentation fictive et faussée de la réalité et que, pour comprendre ce qui se passe vraiment, il faut regarder derrière, dans les coulisses, et repérer qui tire les ficelles. Bien sûr, tout n’est pas faux en l’affaire, mais l’explication par le moukhatat est caricaturale. Surtout, elle incite à la paresse et à la résignation : il n’y a rien à faire puisque le destin des peuples se joue ailleurs, loin d’eux, dans le secret. Mais voilà qu’avec l’invasion de l’Irak par les Américains, la thèse du complot reçoit une confirmation spectaculaire. Mieux : les agents de la CIA ne se cachent pas, ils s’affichent. Signe des temps : la trahison n’est plus inavouable ni répréhensible. Elle est désespérément banale, normale, et n’est pas loin de passer pour une vertu cardinale.
En Irak, deux personnages illustrent parfaitement cette formidable inversion des valeurs. Sans états d’âme, ils se sont mis au service des États-Unis, ils ont joué un rôle majeur dans la chute de Saddam Hussein, ils occupent une place remarquée dans l’immédiat après-guerre. Démocratie ou non, ils ne vont certainement pas disparaître de la scène politique, et leur avenir devrait nous éclairer sur le nouvel Irak et son degré d’indépendance. Il s’agit, on l’a deviné, d’Ahmed Chalabi et d’Iyad Allaoui. Outre leurs accointances étalées avec la CIA, ils ont plus d’un point commun. Ils ont emprunté le même chemin au départ, ont fait des choix différents, puis se sont retrouvés dans les passages obligés. À travers leurs itinéraires parallèles, on voit comment les États-Unis ont mis la main sur le pays de Saddam et, accessoirement, comment, côté irakien, s’est affirmée une forme d’opposition inédite qui a de fortes chances de devenir contagieuse alentour.
Ahmed Chalabi et Iyad Allaoui ont à un an près le même âge, respectivement 60 et 61 ans. Ils sont issus de grandes familles chiites installées dans la fortune et le pouvoir, proches des Britanniques, puis de la monarchie hachémite. Le grand-père d’Ahmed a été l’unique ministre chiite des neuf gouvernements qui se sont succédé du temps des Anglais. Son oncle, sorti de Cambridge, présidait la plus puissante banque. Son père était conseiller du roi. Le général Edward Spears était reçu chez les Chalabi, qui, à l’occasion, réglaient les dettes de la famille royale et toisaient de haut un Noury Saïd, le redoutable Premier ministre, qui était également leur obligé.
Iyad a grandi, lui aussi, dans une vieille famille chiite prospère et puissante. Son père, médecin, avait épousé une jeune fille de la maison Osseïrane, fleuron de l’aristocratie chiite libanaise. Les Chalabi et les Allaoui se fréquentent et se marient entre eux… Ahmed et Iyad sont ainsi cousins. Ils ont fait leurs premières classes au collège jésuite, le meilleur établissement de Bagdad. Ils passent leurs vacances d’été au Liban ou en Europe. Bref, ils se préparent à faire partie de ces élites cosmopolites que le nassérisme n’a pas encore bousculées.
Révolution de juillet 1958 : le coup d’État du général Abdelkarim Kacem soutenu par les communistes balaie les privilèges des familles patriciennes. Ahmed Chalabi, 14 ans, se réfugie avec les siens en Jordanie. C’est le début d’un exil qui durera trente-quatre ans. La famille Allaoui, elle, ne quitte pas le pays. La passion politique n’épargne pas les plus jeunes. Tous militent. Il faut seulement choisir avec qui : le PC ou le Baas. Pour Iyad, ce sera le parti panarabe fondé par le Syrien Michel Aflaq. Le Baas est désormais contre Kacem. Les manifestations hostiles au régime se succèdent. Iyad n’en rate aucune et se fait bientôt remarquer pour ses qualités d’organisateur. Quand il est arrêté, il est vite relâché grâce aux relations de sa famille. À l’université, il choisit médecine et n’a rien perdu de son zèle contre les communistes. Un ancien camarade raconte : « Il était dur, inébranlable et n’aimait pas qu’on discute trop. Quand il donnait un ordre, il fallait l’exécuter d’abord, quitte à discuter ensuite… »
1963 : Kacem est renversé par un autre général, Abdessalam Aref, avec le concours du Baas. La répression contre les communistes est d’une barbarie inouïe. Bien qu’il le nie, Iyad y a sans doute participé. Son parti sera bientôt écarté du pouvoir par Aref. Au Baas, l’homme qui n’a cessé de s’affirmer depuis 1958 s’appelle Saddam Hussein. Iyad en est très proche. Ils partagent les mêmes idées, complotent ensemble et ensemble tâtent de la prison. Tous les deux en sortent en 1966, mais pas de la même manière : Saddam en s’évadant et Iyad en faisant jouer sa famille. Ils se mettent aussitôt à nouer les fils du prochain complot.
14 juillet 1968 : le Baas reprend le pouvoir. Pour Iyad, le jour J tombe mal : sa mère meurt. Mais, dès les funérailles achevées à Beyrouth, il retourne à Bagdad, où il dirige le commando qui s’empare du bâtiment de la radiotélévision. C’est le général Ahmed Hassan Al-Bakr qui est nommé à la tête de l’État ; Saddam n’est que vice-président, mais il s’imposera rapidement comme le patron. En 1974, il occupe la première place. Sur la rupture d’Iyad Allaoui d’avec Saddam Hussein, ses causes et circonstances, des zones d’ombre demeurent. L’année semble acquise : 1971. Allaoui raconte aujourd’hui que ce sont les méthodes expéditives de son compagnon qui l’en ont éloigné. Alors qu’il se trouvait au Liban, des amis lui ont conseillé de ne pas rentrer pour éviter une éventuelle arrestation. Il s’exécute avant de s’installer à Londres pour y poursuivre ses études de médecine. Selon une autre version, la rupture comme l’exil sont des stratagèmes, des couvertures : Allaoui était envoyé à Londres en service commandé par les Moukhabarat irakiennes. Il était chargé plus précisément d’infiltrer l’opposition parmi les étudiants. Selon cette version, le divorce d’avec le Baas n’est intervenu que plus tard, lorsqu’Allaoui a accepté de collaborer avec le MI6, les services britanniques. Ayant eu vent de la trahison, Saddam invite Iyad à rentrer. Il refuse et s’éloigne du parti.
Pendant ce temps, que devient Ahmed Chalabi ? Sa famille, qui a presque tout perdu, s’installe en Jordanie. Elle a encore les moyens d’envoyer son rejeton dans un collège privé du Sussex, puis aux États-Unis, où il fréquentera le MIT (Massachusetts Institute of Technology), puis l’université de Chicago pour décrocher, en 1969, un doctorat en mathématiques. On le retrouve ensuite au Liban, où il entame une carrière de professeur à l’université américaine de Beyrouth. Il fait la connaissance de Leïla Osseïrane, fille du président de l’Assemblée nationale. Ils se marient et auront quatre enfants. L’université ne l’intéresse pas beaucoup. Il fréquente plus que jamais les opposants irakiens. Il n’a jamais pardonné au Baas d’avoir dépouillé sa famille, et son hostilité à son égard se teinte d’une forte dose vindicative. Mais c’est dans les affaires qu’il va faire une percée remarquée.
En 1977, le prince héritier de Jordanie Hassan propose à Chalabi de fonder une banque dans un secteur dominé par les Palestiniens. Bénéficiant du soutien du Palais et introduisant diverses innovations dont la carte de crédit, la Petra Bank sera la deuxième banque du royaume. Chalabi renoue avec la puissance et la gloire d’antan. Ses bambins fréquentent les princes et les princesses. Il accorde des largesses à ceux qui comptent. Le prince Hassan lui doit sa fortune. À l’en croire, il lui a prêté plus de 20 millions de dollars. Il n’oublie pas l’Irak. La révolution de l’ayatollah Khomeiny en Iran lui ouvre des perspectives. Il est accueilli à Téhéran à bras ouverts. La Mebcobank Lebanon, que dirige son frère, finance le mouvement chiite Amal.
Patatras, la Petra Bank est par terre. Début août 1989, la police investit son siège. Informé in extremis par le prince Hassan, Chalabi prend la fuite. En avril 1992, un tribunal militaire retient une trentaine de charges contre lui : vol, faux et usage de faux, détournement, prêts fictifs… Il est condamné à trente-deux ans de travaux forcés et devra restituer à la banque 270 millions de dollars détournés. Se disant victime d’une cabale inspirée par la jalousie, il accuse les Jordaniens d’avoir cédé à des pressions de Saddam. En fait, pour tous ceux qui ont épluché le dossier de la Petra, son indélicatesse ne souffre pas de doute. Le gouvernement jordanien avait confié l’audit de la banque au cabinet Arthur Andersen, qui a révélé, entre autres, que 158 millions de dollars inscrits sur les propres comptes de Chalabi avaient disparu.
L’affaire Petra met au jour, chez Ahmed Chalabi, un comportement caractéristique du personnage, qu’on retrouvera tout au long de son itinéraire et qui le fait passer soudain de la gloire à l’opprobre. Au sommet de la réussite, il fait ce qu’il faut (ou ce qu’il ne faut pas) pour provoquer son échec, comme mû par ce que les psychanalystes appellent la « compulsion de répétition ». Un autre trait est également frappant : l’homme se croit tout permis, persuadé sans doute que son intelligence et son habileté – qui sont au demeurant incontestables – le mettent au-dessus de la loi commune et le dispensent de toute prudence.
Pour Iyad Allaoui, la collaboration avec les services britanniques marque bien évidemment un tournant dans sa vie. Cause ou conséquence de la rupture avec Saddam, elle doit remonter, selon le New Yorker, qui a mené une enquête fouillée, au milieu des années 1970. Le recrutement d’un Iyad Allaoui constitue, pour le MI6, une prise de taille. Plus que la manipulation d’un agent stipendié, c’est une alliance profitable aux deux parties qui se noue. Allaoui est un opposant d’envergure, qui a de l’expérience politique, des relations et des réseaux discrets. En contrepartie, la Grande-Bretagne, qui en connaît un bout sur l’Irak moderne qu’elle a contribué à façonner, assure sa sécurité et lui alloue de quoi financer ses projets politiques dans son pays.
En attendant, Allaoui achève sa médecine avec une spécialité en rhumatologie au Guy’s Hospital. Il sait qu’il risque gros. Plusieurs de ses amis sont assassinés à Bagdad ou à Beyrouth. On se demande même pourquoi il est encore épargné. La question lui est posée par Jon Lee Anderson du New Yorker. Il répond que Saddam n’avait pas perdu tout espoir de le récupérer et lui envoyait des émissaires.
La clémence calculée de Saddam prend fin en 1978. Deux hommes font irruption chez Iyad pendant qu’il dort avec sa femme. L’un des deux individus le frappe avec une hache. Son épouse, qui s’interpose, est également blessée. Il réussit néanmoins à se défendre, et les deux tueurs prennent la fuite. Il restera un an à l’hôpital, et sa femme ne s’en remettra jamais mentalement, avant de mourir d’un cancer en 2004.
À l’hôpital, après une période de doute, Iyad Allaoui prend une résolution – tout faire pour abattre Saddam Hussein. En sortant, il adopte d’abord un profil bas, peut-être pour tromper l’ennemi. Il anime pour l’ONU des programmes de formation dans le Tiers Monde. Il voyage beaucoup. Il fait aussi des affaires avec des sociétés pétrolières dans le Golfe, en bénéficiant sans doute de l’aide britannique.
Désormais, il appartient corps et âme au MI6. C’est tellement vrai qu’au début des années 1990 les services de Sa Majesté en font cadeau à la CIA. Warren Marik, un officier de la centrale américaine, le dit avec une franchise confondante : « Nous ne le connaissions pas jusqu’à ce que les Britanniques nous l’offrent. »
1991. Guerre du Golfe et défaite à plate couture de Saddam Hussein. Iyad Allaoui sort de l’ombre pour animer l’ANI (Accord national irakien). « Je consacre tout mon temps à l’Irak », dit-il. On a compris : il fait tout pour renverser Saddam.
Iyad Allaoui sort de l’ombre, pour cause d’accélération de l’Histoire, mais il garde tout son mystère. Il restera ce personnage énigmatique, insaisissable, qui, après une autre guerre, sera projeté sur le devant de la scène à la faveur d’une occupation étrangère. Comme le note son cousin Ali Allaoui, il est totalement imprégné par la culture des services, ceux de Saddam comme ceux de l’Occident, et leurs techniques communes de chantage et d’intimidation. On sent qu’avec lui l’essentiel se déroule ailleurs et relève de l’inavouable.
Ahmed Chalabi, la CIA ne l’a pas reçu en cadeau, elle l’a fabriqué elle-même. Mais il est le fruit des mêmes circonstances. Bush père autorise, en mai 1991, la centrale américaine à « créer les conditions pour renverser Saddam Hussein ». Des centaines de millions de dollars sont débloqués pour l’exécution de ce complot à ciel ouvert. Une officine idoine installée à Londres – le Random Group – dispose d’un budget de 40 millions de dollars par an pour préparer l’opinion contre le régime irakien. Facile. La presse internationale va regorger d’enquêtes sur les atrocités commises en Irak. Il faut aussi une opposition unie et crédible. Plus difficile. Ici, Ahmed Chalabi entre en scène. Il correspond parfaitement aux exigences du casting : 46 ans, chiite, laïc, élégant, il s’exprime bien, il a des relations… De plus, on lui prête des talents d’organisateur et de manoeuvrier. Il n’est pas populaire parmi les exilés ? Il aura tous les moyens de le devenir.
Les circonstances exactes du recrutement de Chalabi ne manquent pas de piquant. La CIA dépêche auprès de lui trois agents : Francis Brooke, Whitley Bruner et Zaab Shetna. Après des échanges de vues d’ordre général sur la situation en Irak, ils lui précisent son job – rassembler l’opposition – et ils mettent à sa disposition un budget consistant, 340 000 dollars par mois. Chalabi crée, en juin 1992, le Congrès national irakien (CNI). Au passage, il fait un coup qui donne la mesure de ses talents : il convainc deux des trois agents (Brooke et Shetna) de… travailler directement pour lui !
Après avoir consolidé sa position au sein du CNI, il se persuade qu’il n’aura pas de mal à renverser Saddam. Fin 1992, il pénètre via l’Iran dans le Kurdistan, interdit aux soldats irakiens depuis la guerre du Golfe. Il y recrute une milice et bénéficie du soutien des Peshmergas de Jalal Talabani. Pour l’ancien banquier, le Kurdistan n’est pas loin de ressembler à la Moncada, où les guérilleros de Fidel Castro avaient préparé en 1959 la chute de Batista.
Il installe à Salahuddin, fief du clan Barzani, son QG d’où il devrait commander les opérations. En attendant, il centralise les renseignements pour les Américains. Chalabi est au faîte de la puissance. « Il était comme l’ambassadeur des États-Unis en Irak », raconte Robert Baer, un ancien de la CIA. Il pouvait joindre quand il le voulait la centrale de Langley et même la Maison Blanche. Le même Baer ne se faisait pas trop d’illusions sur le personnage. Ses renseignements sur les plans des palais de Saddam ou le mouvement des troupes irakiennes ne résistaient pas à la vérification, notamment par satellite. Baer en vient même à se demander « s’il n’était pas un fou utile pour Saddam, car s’il était vraiment dangereux, il aurait été éliminé ».
L’heure de vérité approche. En 1995, Chalabi veut passer à l’acte. Il ne doute pas que ses largesses suffiront à acheter le soutien des chefs de tribus. Avec l’approbation de Washington, il monte trois opérations simultanées. La CIA découvre in extremis que la conspiration est éventée. Il faut tout arrêter. Chalabi s’entête. Le désastre. Les insurgés présumés désertent en masse, et l’insurrection fait long feu.
Nouveau désastre l’année suivante. Cette fois, c’est une faction kurde qui demande à Saddam d’intervenir contre une faction rivale liée à Chalabi. En dépit des limitations imposées à leur mouvement, 40 000 soldats appuyés par 300 blindés pénètrent dans le Kurdistan et écrasent les partisans de Chalabi et leurs alliés. Le chef du CNI est à Londres. Trop, c’est trop : la CIA lui coupe les vivres. Mais il n’est pas homme à se démonter pour si peu. Ayant perdu l’appui secret des Américains, il va rechercher leur soutien public. Ce que la CIA lui enlève, il essaiera de le trouver du côté du Congrès.
Entre-temps, un glissement imperceptible s’opère dans les rôles et les attitudes. Ce ne sont plus les Américains qui manipulent Chalabi, c’est le chef du CNI qui utilise les États-Unis d’Amérique. Ils avaient le même but : la chute de Saddam. Mais si, à Washington, des considérations d’ordre domestique ou diplomatique pouvaient infléchir ou carrément modifier les priorités concernant l’Irak, Chalabi, lui, n’a pas à entrer dans ces considérations. Désormais, son objectif est constant, unique, invariable : renverser Saddam en impliquant les États-Unis.
Pour ce faire, il élabore avec le concours de Francis Brooke, celui-là même qu’il avait débauché de la CIA, une stratégie tournée vers l’opinion américaine. On découvre ici une autre face de la personnalité, décidément complexe, de Chalabi. Et pour mieux la saisir, on doit admettre que l’incroyable toupet de l’escroc, la témérité quasi suicidaire de l’aventurier se conjuguent à une réelle audace intellectuelle et politique. Afin de conquérir la sympathie des Américains à la « cause irakienne », il étudie, pour s’en inspirer, l’expérience des autres mouvements. À commencer par l’ANC, oui, l’ANC de Nelson Mandela. Pour aboutir à cette conclusion en forme de recette : si les Noirs sud-africains ont touché le coeur des Américains, c’est parce qu’ils ont réussi à assimiler l’apartheid à l’esclavage. Autre modèle : l’Aipac (American Israel Public Affairs Committee), le tout-puissant lobby juif aux États-Unis. La stratégie de Chalabi tient donc en deux volets : assimiler le régime de Saddam à la barbarie absolue (comme l’esclavage ou la Shoah) et s’imposer sur l’échiquier politique américain.
En juin 1997, Chalabi prononce un discours devant le Jewish Institute for National Security Affairs à Washington. Il n’y va pas par quatre chemins et plaide pour l’installation d’un régime ami d’Israël à Bagdad. Il suffirait que les États-Unis accordent un soutien limité à une insurrection armée organisée par le CNI. Un an après, il donne une interview au Jerusalem Post pour s’engager, une fois au pouvoir, à rouvrir le pipeline reliant Mossoul à Haïfa, fermé après la création de l’État d’Israël en 1948.
Le coup de maître de Chalabi est néanmoins d’avoir gagné la sympathie des néoconservateurs américains. Après l’effondrement du communisme, ces derniers étaient au chômage idéologique, en mal d’une nouvelle cause. Or voilà qu’un intellectuel chiite prêche la démocratisation du Moyen-Orient et, qui plus est, a pour modèle Israël. Les néocons sont comblés. Le coup de foudre est réciproque.
Désormais, Chalabi est convaincu que c’est auprès de la droite, et non plus des « libéraux », qu’il trouvera le soutien déterminant en vue d’atteindre son objectif : le renversement de Saddam par la force. Avec Brooke, il fait le compte. À Washington, s’agissant de l’Irak, deux cents personnes comptent, pas plus. Il a déjà des relations suivies avec une trentaine de membres du Congrès, dont Newt Gingrich, le chef de file des républicains à la Chambre des représentants. Il fréquente Richard Perle, un ancien collaborateur du secrétaire à la Défense, connaît Dick Cheney depuis l’époque où celui-ci dirigeait le groupe Halliburton, et Paul Wolfowitz, depuis les bancs de l’université de Chicago. « Cet homme, confie le futur numéro deux du Pentagone, dit exactement ce qu’il faut dire sur la démocratie et les droits de l’homme. Et puis, si on peut faire à Saddam le coup qu’on a fait aux Soviétiques… »
Les relations, ça va, reste l’argent. Chalabi a une idée : pour gagner les bonnes grâces des républicains – et ensuite leurs subsides -, il faut utiliser le désastre du Kurdistan contre la CIA, et, accessoirement, l’administration Clinton, accusée d’avoir laissé massacrer les démocrates irakiens. La campagne orchestrée par le CNI donne ses fruits. En 1998, la CIA doit s’expliquer devant le Congrès à majorité républicaine sur ses défaillances en Irak. Les témoignages des amis de Chalabi, dont Perle, font beaucoup de dégâts.
À l’époque, on s’interroge à Washington sur l’efficacité des inspecteurs de l’ONU chargés, depuis la fin de la guerre du Golfe, d’empêcher l’Irak de se doter d’armes de destruction massive. Saddam affirme avoir tout démantelé ou détruit, en particulier 9 000 litres d’anthrax. Sans convaincre. Les inspecteurs veulent en avoir le coeur net. Chalabi s’en mêle : il a des informateurs appartenant au premier cercle du pouvoir à Bagdad. L’inspecteur américain Scott Ritter, qui le rencontre à Londres, se fait manipuler, il le reconnaîtra lui-même, comme un novice. Au lieu de demander à son interlocuteur de décliner ce qu’il sait, il dresse devant lui l’inventaire de ce que les inspecteurs ne savent pas. Exemple : les bunkers souterrains. Après avoir essayé de percer leurs secrets avec des radars pénétrants, ils soupçonnent Saddam d’utiliser des laboratoires mobiles pour fabriquer des armes chimiques et biologiques. Scott Ritter découvrira l’étendue de sa naïveté lorsque Chalabi fournira « la source attestant l’existence de ces laboratoires », avec un tas de « renseignements bidons ».
Se doute-t-il que l’Américain a découvert l’escroquerie ? Il lui propose au cours de leur nouvelle rencontre de… travailler pour lui ! Pour l’appâter, il lui dit que lorsqu’il sera à la tête de l’Irak et qu’il aura la haute main sur le pétrole, il n’oubliera pas ceux qui l’auront aidé…
7 octobre 1998 : le président Bill Clinton signe l’Iraq Liberation Act, qui sera voté pratiquement à l’unanimité par le Congrès. Cette loi qui stipule rien de moins que « le changement de régime » dans un pays étranger ne suscite guère de débats. C’est que Chalabi a fait croire que la chute de Saddam sera l’oeuvre des Irakiens et n’impliquera qu’un engagement très limité des troupes américaines.
Le chef du CNI a son plan militaire. Le général Anthony Zinni, ancien commandant du Centcom (Commandement central des forces américaines) qui a servi en Irak, en a eu connaissance : il postule que 1 000 soldats américains suffisent pour renverser le régime irakien. Verdict du général : « C’est un conte de fées. Ridicule ! » Mais l’essentiel, pour le moment, est que le Congrès accorde le plus officiellement du monde 97 millions de dollars au CNI.
L’élection de George W. Bush, le 20 janvier 2001, est savourée par Chalabi comme un triomphe. Ce sont ses amis, les néocons, qui sont aux commandes. Mais c’est Oussama Ben Laden qui va lui apporter le soutien décisif. Le 11 septembre 2001 est une divine surprise. Du jour au lendemain, les projets plutôt fumeux concernant l’Irak deviennent prioritaires pour une administration en mal de riposte. D’ailleurs, ce n’est plus le département d’État mais le Pentagone qui traite avec le CNI. « Chalabi, note Zinni, est la béquille sur laquelle les néocons s’appuient pour justifier l’intervention en Irak. » C’est lui qui fournit à l’administration les transfuges dont elle a besoin pour instruire le procès de Saddam.
À vrai dire, la CIA n’est pas dupe et exprime des réserves. Mais le président se range du côté des néocons. Aussi bien Bush que Cheney évoquent, un mois avant l’invasion, les fameux laboratoires mobiles. Le 5 février 2003, c’est au tour du secrétaire d’État Colin Powell d’invoquer devant l’ONU le même argument. Un détail : l’affaire des laboratoires a été communiquée par les services allemands. Ils la tenaient d’un transfuge irakien dont le nom de code est Curveball. Chalabi n’est pas loin : il avait seulement un peu compliqué ses circuits de désinformation. Tout le monde saura après qu’en fait d’engins de l’apocalypse ce sont d’inoffensifs laboratoires aménagés pour des essais météorologiques… Le fin mot de l’histoire, c’est encore le général Zinni qui le donne : « Chalabi a arnaqué les États-Unis parce que les États-Unis voulaient être arnaqués. »
Autre automystification : les relations entre l’Irak et al-Qaïda. Chacun sait que le Baas et l’islamisme n’ont rien en commun, sont même antinomiques, mais Bush a impérativement besoin de confondre Saddam et Ben Laden pour vendre sa guerre à ses concitoyens. Chalabi, anticipant les désirs de l’administration, fait le travail. Il commence par répandre un scoop : Mohamed Atta, le maître d’oeuvre des attentats du 11 Septembre, a rencontré six mois auparavant un diplomate irakien à Prague. Dans un second temps, un transfuge raconte qu’il a reçu un entraînement spécial avec d’autres futurs terroristes arabes au camp Salman Park, en Irak. L’histoire, parfaitement ficelée, est publiée dans Vanity Fair. Ce n’est pas tout : l’existence de ce camp est confirmée par un autre transfuge, ci-devant colonel de l’armée irakienne. Alors que les Américains découvrent avec effroi les attentats à l’anthrax, il révèle que Salman Park a été contaminé par la terrible poudre blanche. Inutile de préciser que le colonel avait été cornaqué par le CNI…
Donc, sur les deux questions essentielles de la préparation de la guerre – armes de destruction massive et relations avec al-Qaïda -, Ahmed Chalabi a apporté un concours décisif. Un ancien de la CIA est formel : « Sans Ahmed, cette guerre n’aurait pas eu lieu. » Ce vulgaire agent stipendié a joué aussi un rôle de pionnier, de visionnaire. Dès les années 1980, il soutenait que le chemin de Bagdad passe par Washington. Son objectif a toujours été de renverser le régime de Saddam par la force, plus précisément par la force des États-Unis. Et c’est finalement ce qui s’est passé. La guerre d’Irak est, bien sûr, la guerre de George W. Bush. Elle est aussi, mutatis mutandis, la guerre d’Ahmed Chalabi.
Trois mois avant l’invasion, le chef du CNI revient au Kurdistan. Il dispose d’une milice de 800 hommes, les FIF (Force Iraqi Fighters). Après la chute de Saddam, un avion militaire le dépose à Nassiriya. C’est son copain Wolfowitz qui lui a arrangé le coup. Il procède à une série d’opérations théâtrales, haranguant une foule choisie ici, « libérant » là une bourgade vidée préalablement de ses défenseurs… puis il s’installe à Bagdad dans une villa du quartier Al-Mansour qui abritait les services secrets.
Il siège au Conseil du gouvernement transitoire. Joignant l’utile à l’essentiel, il préside le Comité économique et financier et la Commission de « débaasification ». Il nomme des affidés – qui sont souvent des parents – à des postes clés : ministères du Commerce et des Finances, Banque centrale, etc. On retrouve ses amis dans les secteurs de pointe : pétrole, sécurité, approvisionnement de l’armée, téléphonie… La débaasification, c’est-à-dire l’épuration, qui revient à jeter massivement à la rue les cadres du pays, puisque tout le monde était baasiste, lui permet de libérer des places pour les siens. Mais la meilleure prise de guerre reste les archives du Baas. Chalabi s’en empare sans que les Américains y trouvent à redire. Lui qui aime tellement les documents qu’il les falsifie à foison, dispose de vingt-cinq tonnes d’archives qui lui permettront de se livrer à tous les chantages.
Au nom de la débaasification, ses miliciens confisquent les villas des anciens dignitaires ou vident leurs comptes en banque. Ils s’approprient toute une flotte de 4×4 appartenant à l’État qu’ils écoulent à l’extérieur. Interrogé sur ces multiples actes de banditisme, le chef du CNI répond : « À la guerre comme à la guerre », et ajoute : « Qui peut affirmer que les soldats de la Coalition n’ont rien pillé ? »
Il y a de l’eau dans le gaz avec les Américains. Chalabi les critique publiquement et parle même comme un patriote irakien. Le proconsul Paul Bremer découvre que l’éviction des anciens baasistes alimente fâcheusement la rébellion et essaie de limiter les dégâts. Ce qui n’est pas du goût de Chalabi. Il jette son dévolu sur les chiites, qui, de toute façon, représentent l’avenir. Il a joué jusqu’à présent la carte de la laïcité, mais il n’est pas à une contradiction près. En mai 2003, il participe même à un rassemblement de Moqtada Sadr en rébellion ouverte contre l’occupation. « Il est prêt, explique un de ses amis, à se faire imam s’il le faut ! »
Au printemps 2004, Chalabi est au centre d’une vaste affaire d’escroquerie. Le nouveau régime avait frappé monnaie : les « dinars Saddam » avaient été remplacés par des dinars mieux adaptés à la nouvelle ère. L’opération délicate entre toutes de changement de monnaie, qui s’était achevée le 15 janvier 2004, avait été confiée à Sabah Nouri, un proche de Chalabi. Elle s’était déroulée sous le contrôle du Département de lutte contre la corruption dirigé par un autre de ses amis. Les Américains découvrent le pot-aux-roses quand ils épluchent les comptes : entre les dinars récupérés et les dinars distribués, un trou énorme de 22 millions de dollars. Sabah Nouri, arrêté, ne veut pas porter seul le chapeau.
Il y a plus grave. Habib Aras, patron du renseignement au sein du CNI, échappe à l’arrestation en avril 2004. Outre l’utilisation des archives du Baas pour monter des opérations de chantage, il est accusé d’avoir communiqué des renseignements sur les forces d’occupation aux Iraniens. Trop, c’est trop. Une descente est organisée par la CIA et le FBI chez Chalabi et dans son quartier général. Avec l’accord du président, le Pentagone n’a pas été mis au parfum. Le même Pentagone, qui avait pris le relais du département d’État, devait néanmoins supprimer le versement mensuel au CNI de l’allocation spéciale (340 000 dollars).
Voilà donc Ahmed Chalabi, derechef, à terre. Au même moment, l’étoile d’Iyad Allaoui monte dans le firmament américain. Selon une règle bizarre, qui semble régir les destins parallèles des deux hommes, lorsque l’un trébuche, tombe, l’autre s’affirme, réussit. Avant-guerre, pour être plus discrète, l’action d’Allaoui n’a pas été négligeable. En 1996, la CIA, qui a essuyé des déboires avec le CNI au Kurdistan, table sur l’INA (Iraqi National Accord) d’Allaoui pour renverser le régime de Bagdad. L’ancien compagnon de Saddam organise une conspiration au sein de l’armée. L’opération est approuvée par la Maison Blanche. On y met les moyens : 36 millions de dollars, selon les initiés. Elle échoue. 200 officiers sont exécutés. À coup sûr, il y a eu des fuites. La CIA accuse… Chalabi. Clinton n’essaiera plus de se débarrasser de Saddam. L’INA a sa part dans la préparation psychologique de la guerre et son lot d’intox. C’est par lui qu’a transité le fameux renseignement selon lequel il faudrait « quarante-cinq minutes à Saddam pour déployer ses armes de destruction massive ».
Avant l’invasion, Allaoui prépare le terrain pour l’armée américaine, notamment dans la province d’Anbar, en convainquant de nombreux officiers de ne pas se battre inutilement. Mais c’est après l’effondrement de Saddam qu’Allaoui joue un rôle de premier plan.
En avril 2004, il est choisi pour diriger le gouvernement de transition. La décision a été prise par Robert Blackwill, l’envoyé spécial de Bush, et Lakhdar Brahimi, le représentant de l’ONU. À vrai dire, on n’avait guère le choix. Le rétablissement de l’ordre était la priorité des priorités, et Iyad Allaoui semblait s’imposer. Grand, massif, allure de catcheur sur le retour, c’est un dur. Il a la réputation d’un homme courageux qui n’hésite pas à se rendre sur les lieux des attentats. Une semaine avant sa nomination, on assurait qu’il avait exécuté lui-même sept terroristes dans un commissariat. « C’est un voyou qui a besoin de l’être », note un de ses amis. Les Américains l’appellent le « Saddam allégé » (Saddam Lite). Un officiel lâche avec fatalisme : « Étant donné le bourbier où nous nous trouvons, nous avons à peine fini avec un fils de pute que nous en avons besoin d’un autre ! » La brute ne manque pas de charme. Robert Baer va jusqu’à dire : « Je ne connais personne qui n’aime pas Allaoui. Il est disponible et pragmatique. C’est quelqu’un qui défie les Américains sur leur propre terrain, mais sans agressivité. »
Chez Allaoui, l’usage de la force s’impose comme une nécessité. Après trente ans d’exil, il découvre une société en proie à tous les vices. « Les Irakiens, confie-t-il, sont devenus des menteurs, des escrocs, des assassins et ne respectent plus que la force brute. C’est seulement ainsi qu’il faut les traiter. » Devant un journaliste, il a encore cette réflexion : « J’ai toujours pensé que nous avons besoin d’un Irak fort disposant d’une puissante armée. Je me bats pour restaurer notre armée, pour lui redonner ses capacités opérationnelles et reconstituer ses services de renseignements. »
Le Premier ministre résume ici son programme. La construction d’une nouvelle armée irakienne s’impose comme un impératif catégorique, aussi bien pour faire face à l’insurrection que pour assurer la relève des troupes américaines qui ne peuvent pas s’éterniser dans l’ancienne Mésopotamie. Accessoirement, sa réussite – ou l’échec – en ce domaine crucial entre tous marquera son avenir politique. En attendant la formation par les Américains de la nouvelle armée irakienne, il a récupéré les gardes-frontières renvoyés par Bremer. Il élargit la mesure aux officiers et aux cadres des services, essayant de limiter les effets dévastateurs de la débaasification. Son patron du renseignement est le général Shahwani, un ancien baasiste qui l’avait rejoint au milieu des années 1990 en payant cher sa défection : ses trois fils ont été exécutés. Il plaide pour la désaddamisation, c’est-à-dire pour une épuration limitée aux affidés du président déchu. De toute façon, explique-t-il, « le Baas est fini comme le marxisme-léninisme. Ils ont fait leur temps ».
Un détail instructif sur la personnalité d’Iyad Allaoui : contrairement à Chalabi, il a refusé de rendre visite à Saddam, sans doute parce qu’il craignait de ne pas se contrôler, mais aussi pour ne pas l’humilier. Avec les chefs des tribus sunnites, il utilise un franc-parler qui n’est pas pour déplaire. Lors d’une réunion avec les dignitaires de Mossoul, l’un d’eux parle d’« occupation ». Allaoui le relève et lance : « Que va-t-il se passer si les Américains se retirent ? Eh bien, les terroristes vont prendre le pouvoir et tu seras le premier à appeler à la rescousse Bush – et même la mère de Bush ! » Son bilan est bien évidemment indexé sur la politique de la puissance occupante. À sa nomination, Najaf et Fallouja échappaient à tout contrôle. Ce n’est plus le cas. Pour ramener à la raison Moqtada Sadr et récupérer la Ville sainte, Allaoui, comptant sur le soutien de la hiérarchie chiite, avait privilégié la négociation. Mais ce sont les 200 marines appuyés par 1 700 soldats irakiens qui ont fait la décision. Au prix fort : plus de 2 000 insurgés tués, ainsi que des centaines de civils. Pour la reprise de Fallouja, le coût a été encore plus élevé, puisque la ville, désertée par la population, a été largement détruite. D’une manière générale, le problème de la sécurité reste entier. Mais si, en huit mois, Allaoui ne pouvait pas faire grand-chose, il a eu le temps d’affirmer un tempérament et des convictions. Il est convaincu que l’Irak, divers et tourmenté, a besoin plus que jamais d’un homme fort et que la fermeté n’exclut pas la recherche d’une entente avec toutes les composantes, et singulièrement les sunnites et les anciens du Baas.
Son avenir est d’abord entre les mains de Dieu (il a échappé à plusieurs attentats) et des Américains, lesquels sont assez prévisibles. On les voit mal lâcher un homme qui n’a pas démérité et sur lequel ils ont beaucoup investi. Voici l’opinion d’un responsable irakien cité par le New Yorker : « Les Américains le connaissent depuis trente-cinq ans. Ils ont besoin de quelqu’un sur qui ils peuvent compter. Iyad est le diable qu’ils connaissent. John Negroponte, qui a succédé à Bremer avant de superviser à Washington tous les services de renseignements, est catégorique : « Allaoui continuera d’occuper une place centrale dans la politique américaine. »
Mais il faut compter avec les aléas de la démocratie, fût-elle très relative. Pour les élections du 30 janvier 2005, Allaoui s’est présenté sur la Liste irakienne plutôt oecuménique qui a obtenu 40 sièges sur les 275 sièges de l’Assemblée.
Son compère et rival Ahmed Chalabi a fait le choix gagnant. Il a préféré se fondre dans la coalition des partis chiites soutenue par l’ayatollah Ali Sistani, qui a raflé 140 sièges. L’homme caoutchouc a rebondi encore une fois lors de la formation laborieuse du gouvernement, dirigé par Ibrahim Jaafari. Frisant la provocation, celui qu’un columnist du New York Times appelle « le voleur de Bagdad » est vice-Premier ministre. Iyad Allaoui reste pour le moment en retrait. Ses exigences – quatre ministères, dont l’Intérieur ou la Défense – n’ont pas été satisfaites. Il n’a pas renoncé à ses convictions sur la laïcité ou sur la place des sunnites et des anciens baasistes. En se tenant à l’écart, il apparaît comme un recours.
Ahmed Chalabi, Iyad Allaoui, la polarisation entre les deux hommes est spectaculaire. Mais il ne faut pas se leurrer : leurs divergences portent sur des nuances, des questions subsidiaires ou annexes, et aucun des deux ne remet en question l’essentiel, à savoir que l’avenir de l’Irak est entre les mains des États-Unis. Quelle que soit la place qu’ils occupent, ils ont déjà réussi à arrimer le destin de leur pays aux crochets d’une grande puissance. Leur itinéraire l’atteste, ils incarnent désormais un pattern, un modèle, une nouvelle manière de faire de la politique dans ce Grand Moyen-Orient que les Américains appellent de leurs voeux – et de leurs armes. À l’heure de la mondialisation à la mode George W. Bush, l’avenir des pays convoités se dessine loin d’eux. Et pour peu qu’ils intéressent les États-Unis, leur centre de gravité se trouve autant à Washington que dans leur capitale. Aux dernières nouvelles, Richard Perle s’intéresse à la Syrie et cherche désespérément un successeur à Bachar al-Assad. Ne soyons donc pas surpris si demain à Damas, au Caire ou à Riyad sortent de l’ombre des champions de la liberté qui ressemblent à Allaoui ou à Chalabi.
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