Des élections interminables

Publié le 22 août 2005 Lecture : 5 minutes.

La mise en place d’un « gouvernement d’unité nationale » proposée le 6 août par deux des leaders de l’opposition permettra-t-elle de mettre un terme à l’empoignade électorale qui dure depuis près de trois mois ? Seule certitude : les résultats annoncés le 9 août par le Bureau national électoral donnent 296 sièges (la majorité absolue des 547 députés de l’Hémicycle) au pouvoir et 174 à l’opposition, le reste étant encore litigieux ou à pourvoir. Et il n’est pas certain que les vainqueurs veuillent composer. Soutenu de plus en plus ouvertement par la communauté internationale, jouant de tous les leviers qu’il monopolise (État, armée, police, parti quasi unique), Mélès Zenawi a voulu passer en force pour que ses adversaires ne tirent pas le légitime parti de leur bond en avant aux élections générales du 15 mai.
Alors que la campagne électorale s’est ouverte dans un climat de liberté sans précédent, l’homme fort de l’Éthiopie se rend compte, à la fin du mois d’avril, que, hormis dans les villes, le plébiscite escompté est en péril. L’escalade commence par une mise en demeure du monde rural, où vit 85 % de la population. « Votez pour nous, ordonnent les autorités locales, ou vous en subirez les conséquences ! »

Les paysans comprennent que l’État, propriétaire de la terre qu’ils cultivent, menace d’en expulser les électeurs récalcitrants. Beaucoup cèdent. Le recours généralisé à ce chantage aurait suffi à invalider le scrutin dans tout pays de tradition démocratique. Cantonnés dans les villes, les observateurs, notamment internationaux, le minimisent ou l’ignorent.

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La proclamation d’une sorte d’état d’urgence au soir du scrutin puis, le lendemain, de la victoire du régime n’arrange rien. Car le premier décompte des voix révèle un raz-de-marée de l’opposition. Celle-ci proteste contre le fait accompli, dénonce des fraudes massives puis la publication au compte-gouttes – et dans une complète opacité – de résultats « provisoires » confirmant cette victoire.
La tension monte. Le 8 juin, une quarantaine de manifestants sont tués. Une grève générale paralyse Addis-Abeba. Mélès dénonce une « insurrection » fomentée par l’opposition. Les arrestations se comptent par milliers, les chefs de l’opposition sont placés en résidence surveillée, la presse indépendante est harcelée, l’information d’État devient plus partiale que jamais. L’usage d’une force brutale démontre que le régime ne cédera ni aux urnes ni à la rue. Un compagnon de route de Mélès le confie sans détour : « Nous n’avons pas conquis le pouvoir après seize années de guerre contre le régime de Mengistu et des milliers de morts pour le rendre dans les urnes ! »
Le pouvoir justifie sa position par toute une série d’affirmations. Un : l’opposition est menée par des « extrémistes », voire de futurs « génocidaires » cherchant à plonger l’Éthiopie dans un « chaos » qui ferait passer le génocide rwandais pour « un jeu d’enfants ». Deux : le vainqueur a été désigné par un scrutin « libre et équitable », y compris aux yeux de tous les observateurs. Trois : le processus électoral est entre les mains d’institutions « indépendantes », et notamment du Bureau national électoral. Quatre : refuser ou contester leur décision revient donc à se mettre hors la loi et légitime le châtiment de la loi. Cinq : les coups portés à l’opposition découlent de sa conduite « inconstitutionnelle », preuve de son « extrémisme »…
Le premier postulat est ridicule, même si l’opposition abrite un courant radical qui s’est d’ailleurs retiré du processus électoral, seuls des « rêveurs » pouvant s’imaginer qu’il aboutirait à un partage du pouvoir. Le second est faux. Aucun groupe d’observateurs internationaux n’a jusqu’ici cautionné les élections. En revanche, la communauté internationale fait mine de croire à l’« indépendance » du Bureau. Elle a exercé des pressions considérables pour que l’opposition, ou du moins ses « colombes », s’inscrive dans un cadre électoral qui « respecterait les processus constitutionnels du pays », donc la primauté du Bureau. Or tous ses membres ont été nommés par Mélès et l’opposition n’a cessé de dénoncer leur « partialité ».

Mais, divisée, inexpérimentée, harcelée, cette dernière a fini par accepter que les membres du Bureau mènent les enquêtes dans les 299 circonscriptions contestées et décident du verdict final. On ne revotera donc que dans une quinzaine de circonscriptions, dont celles où des ténors du régime ont été archi-battus. Sur les 435 sièges attribués – plus de deux mois après le vote du 15 mai ! -, le pouvoir en recueille 263, tout près de la majorité de 274 d’une Assemblée de 547 députés, 172 allant à l’opposition, contre 12 lors du précédent scrutin. Pourtant, le représentant de l’Union européenne à Addis vient de décerner un satisfecit au Bureau et de déclarer que « dénigrer » le processus électoral ne ferait qu’accroître « les tensions ». Même si l’étoile de Mélès Zenawi a singulièrement pâli, la communauté internationale préfère la continuité du régime aux risques de la démocratie. Le réalisme prime : un embrasement de l’Éthiopie ne ferait qu’ajouter aux malheurs de sa population et déstabiliserait davantage encore la Corne de l’Afrique, déjà minée par la désintégration somalienne, les conflits au Darfour et au Sud-Soudan, et par les tensions persistantes entre l’Éthiopie et l’Érythrée.
Lors de sa première rencontre avec l’opposition depuis le 15 mai, Mélès Zenawi a sommé celle-ci de cesser sa valse-hésitation pour « choisir dans les prochains jours » entre « rester dans le processus électoral », sur lequel il a la haute main, ou en sortir et « en assumer les conséquences ». « Nous restons », lui a répondu l’un de ses principaux dirigeants, Beyene Petros. Mais l’opposition avait rejeté, quelques jours plus tôt, le verdict du Bureau – « un loyal agent du régime » – et exigé soit qu’un « organisme neutre » procède à une nouvelle enquête, soit qu’un nouveau scrutin soit organisé dans les 299 circonscriptions contestées. Sinon, menaçait-elle, « le vote du peuple éthiopien aura été volé » et une « violente confrontation » pouvant conduire à un « désastre » n’est pas exclue.

Unique moyen de l’éviter aux yeux de Beyene Petros et de Berhanu Nega, un autre des ténors de l’opposition : le compromis qu’ils ont proposé le 6 août. Pour la première fois depuis le 15 mai, ils reprennent la main en soumettant la conversion démocratique de Mélès à l’épreuve des faits. L’opposition entérinerait les résultats officiels à la condition qu’un « gouvernement d’unité nationale » soit constitué en proportion de ceux-ci. Mais ils ne disent pas pour appliquer quel programme. Et, surtout, les « radicaux » ont rejeté ce compromis. Ils continuent d’exiger qu’on procède d’abord au décompte exact des voix du scrutin du 15 mai. Mélès aura beau jeu d’utiliser ces dissonances…

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