Coup de force en douceur

Le putsch du 3 août, qui s’est déroulésans effusion de sang, fait l’objet d’un large consensus. Dans tout le pays comme au sein de la communauté internationale. Même l’UA, d’abord réticente, en a pris son parti.Exceptionnel, par les temps qui courent

Publié le 22 août 2005 Lecture : 7 minutes.

Rarement les auteurs d’un coup de force auront réussi à s’imposer avec une telle… douceur. Moins d’une semaine après le putsch qui a renversé, le 3 août, Maaouiya Ould Taya (voir J.A.I. n° 2326), l’Union africaine (UA) avait déjà mis un bémol à sa réprobation initiale. À l’issue de son séjour à Nouakchott, le 9 août, la délégation ministérielle conduite par Oluyemi Adeniji, ministre nigérian des Affaires étrangères, dont le pays assure la présidence de l’UA, a certes confirmé que la Mauritanie est suspendue de l’organisation continentale jusqu’au rétablissement de la légalité constitutionnelle. Mais si elle exhorte les nouveaux dirigeants à rendre le plus rapidement possible le pouvoir aux civils, elle déclare avoir constaté « un large consensus » en faveur du coup d’État. « L’essentiel, pour l’UA, est de respecter la volonté des Mauritaniens », a conclu Adeniji. Rien à voir, donc, avec les précédents santoméen de juillet 2003 ou togolais de février dernier, où la fermeté de l’organisation avait contraint les présidents autoproclamés à faire machine arrière.
Ce n’est pas un hasard si Ould Taya s’est posé à Niamey à son retour d’Arabie saoudite, où il se trouvait au moment de sa déposition. Le président Mamadou Tandja, un militaire de métier comme lui, est l’un des rares dirigeants ouest-africains avec lequel il entretenait de bonnes relations. Elles étaient même si bonnes que le chef de l’État mauritanien aurait apporté un sérieux coup de pouce financier à son ami nigérien pour sa réélection à la fin de 2004.
De même Ould Taya a-t-il choisi comme nouveau point de chute Banjul, où il est arrivé le 9 août avec sa nouvelle épouse Aïcha, leurs enfants et quelques collaborateurs, en raison de ses liens très étroits avec le capitaine Yahya Jammeh, lui-même arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’État. Il était l’invité d’honneur du chef de l’État gambien lorsqu’il a fêté, en juillet 2004, le dixième anniversaire de son accession à la tête du pays. Il était là également en février 2005 pour le quarantième anniversaire de l’indépendance de la Gambie. Ould Taya ayant toujours apporté un soutien sans faille à Jammeh, le second avait une dette à l’égard du premier, et c’est du Brésil, où il était en voyage officiel qu’il lui a offert son hospitalité.
Dans les autres pays de la sous-région, où l’on n’a pas oublié qu’Ould Taya retira son pays de la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) en 1999, personne n’a levé le petit doigt pour prendre sa défense. Surtout pas au Sénégal, dont les relations avec Nouakchott demeurent délicates depuis les graves affrontements intercommunautaires de 1989 qui avaient fait de nombreuses victimes de part et d’autre. Plus de quinze ans après les « événements », 65 000 Afro-Mauritaniens (Peuls, Soninkés, Wolofs, notamment) contraints à l’exil vivent toujours, pour la plupart, dans des camps, sur la rive gauche du fleuve qui sépare les deux pays.
Le président sénégalais Abdoulaye Wade ne s’est pas embarrassé de précautions pour saluer la destitution de son ancien homologue mauritanien, avec lequel il avait pourtant amorcé un rapprochement ces dernières années, allant jusqu’à extrader des ressortissants mauritaniens, auteurs présumés de la tentative de coup de force de juin 2003. « Le putsch semble être consommé. Il faut maintenant travailler pour un retour à la démocratie », a déclaré Wade dès le lendemain du coup d’État.
Le 8 août, le nouvel homme fort de Nouakchott, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, a téléphoné au chef de l’État sénégalais pour lui expliquer les raisons qui l’ont décidé, lui et ses compagnons du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), qu’il préside, à prendre le pouvoir. À en croire le communiqué de la présidence sénégalaise, Wade l’a assuré de son plein soutien.
Il est vrai qu’entre-temps le nouveau pouvoir avait multiplié les gages de bonne volonté démocratique. Après avoir adopté une charte constitutionnelle organisant l’exécutif transitoire, le CMJD a annoncé la tenue, courant 2006, d’un référendum constitutionnel pour instaurer un mandat présidentiel renouvelable une seule fois, puis celle d’élections après « une période de transition de deux ans maximum ». Aucun de ses dix-sept membres, a-t-il promis, ne prendra part au scrutin. Il a également nommé, le 7 août, Sidy Mohamed Ould Boubacar Premier ministre. Un choix qui paraît judicieux, dans la mesure où ce haut fonctionnaire intègre avait déjà occupé ce poste entre 1992 et 1996, au moment de l’ouverture démocratique. Nommé ensuite ambassadeur à Paris, il avait pris ses distances avec le chef de l’État. Un temps secrétaire général du parti présidentiel, le Parti républicain démocratique et social (PRDS), il en était resté membre.
C’est dire que cet homme de 49 ans, qui est avant tout un serviteur de l’État, incarne à lui seul le changement dans la continuité qui semble caractériser le dernier épisode de l’histoire politique de la Mauritanie. Les hommes qui sont aujourd’hui aux commandes sont tous des produits du système Ould Taya. Si aucun des vingt-quatre membres du gouvernement formé le 10 août n’appartenait à l’équipe sortante, plusieurs sont issus des rangs du PRDS. Il n’empêche. Cette révolution de palais sans effusion de sang a déclenché un véritable enthousiasme à Nouakchott. La classe politique – jusqu’au PRDS ! – a apporté un soutien quasi unanime au programme de réformes esquissé par le Conseil militaire. Et il n’est pas jusqu’aux habitants d’Attar, le fief d’Ould Taya, à avoir manifesté en faveur du nouveau régime. Sans doute pensent-ils ainsi ménager l’avenir : l’une des principales récriminations des Mauritaniens portait sur les avantages dont bénéficiaient les membres de la tribu de l’ancien président, les Smassides. Tout comme ils accusaient Aïcha, sa nouvelle épouse depuis quatre ans, d’exercer sur lui une fort mauvaise influence.
Pourtant, le changement politique n’a donné lieu à aucune chasse aux sorcières. Personne, dans l’entourage d’Ould Taya, n’a été inquiété. Pas même ses enfants, qui ont conservé leur poste dans les banques qui les emploient.
Les manifestations de joie à travers le pays sont révélatrices de l’état de l’opinion. La Mauritanie étouffait sous la poigne de fer de ce président arrivé lui-même au pouvoir en 1984 à la faveur d’un putsch et qui, depuis le coup d’État avorté de juin 2003, obnubilé par sa sécurité, vivait dans un isolement croissant. Ce décalage grandissant avec les réalités du pays est apparu au grand jour dans l’entretien qu’il a accordé, le 8 août, à la chaîne Al-Arabiya au cours duquel il a annoncé son retour au pays et a ordonné à ses troupes d’« intervenir pour rétablir l’ordre constitutionnel ».
Dans la même interview, le président déchu a également demandé aux autres États membres de l’Union du Maghreb arabe (Algérie, Libye, Maroc et Tunisie) de « prendre leurs responsabilités ». C’est ce qu’ils ont fait… mais pas dans le sens où il l’espérait, en dépêchant, le 9 août, une mission à Nouakchott. La déclaration d’Abderrahmane Chelgham, secrétaire du Comité populaire pour la liaison extérieure de la Libye, s’exprimant en tant que président en exercice du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UMA, a valeur de reconnaissance du nouveau pouvoir. Le chef de la diplomatie libyenne s’est en effet contenté de rapporter les explications du colonel Ould Vall, selon lequel le pays était « dans une impasse et au bord de la dérive ». Il est vrai que dans un Maghreb déjà déchiré par de nombreuses querelles intestines, la décision d’Ould Taya d’établir des relations diplomatiques avec Israël – prise en octobre 1999 et violemment contestée à l’intérieur du pays – n’avait fait qu’ajouter à la confusion.
Mais les nouveaux dirigeants mauritaniens ne reviendront pas de sitôt sur une option qui n’avait d’autre but que de renforcer le rapprochement amorcé avec les Américains. C’est pourquoi, si Washington a été l’une des capitales les plus promptes à condamner – et à craindre – le coup de force, elle n’a pas tardé à revenir sur son exigence de voir Ould Taya réinstallé dans son fauteuil présidentiel.
La France, elle, est restée très discrète tout au long de ces derniers jours. Le Quai d’Orsay s’est contenté d’indiquer que les événements semblent « rester dans le cadre institutionnel légal ». Paris ne peut pourtant que se réjouir de l’évolution politique à Nouakchott. Le nouvel homme fort, Ely Ould Mohamed Vall, et, surtout, l’homme qui a remplacé Sghaïr Ould M’Bareck à la direction du gouvernement sont des francophiles. Ce qui devrait aider à rétablir la confiance entre les deux pays, sérieusement entamée par le dossier Ely Ould Dah, du nom de cet officier condamné en France par contumace à dix ans de réclusion pour des actes de torture commis sur des militaires noirs en 1990-1991.
Maintenant que la junte paraît confortablement installée à la tête du pays et que la communauté internationale semble vouloir croire à sa promesse de restituer le pouvoir aux civils, une interrogation majeure subsiste. Quelles relations le CMJD entretiendra-t-il avec les islamistes ? Le président Ould Taya avait probablement surestimé leur menace pour brider l’ensemble de l’opposition. La libération de vingt et un d’entre eux, emprisonnés depuis plus de trois mois à la prison civile de Nouakchott, constitue-t-elle un signe de détente ? Les nouveaux dirigeants se sont empressés de préciser que ces détenus, accusés d’appartenir à des associations non autorisées, étaient des intellectuels et n’avaient rien d’activistes.
Autre inconnue : la cohésion de l’équipe qui dirige le pays depuis le 3 août. Les dix-sept membres du CMJD resteront-ils soudés à l’épreuve du pouvoir ? Certains ne seront-ils pas tentés d’y rester plus longtemps que prévu ? Le seul exemple de la Côte d’Ivoire après le coup d’État du général Gueï, à la fin de 1999, incite à poser cette question. n (Voir aussi page 49.)

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