Chasse aux sorcières

Victimes de croyances d’un autre âge, les « mangeuses d’âmes » chassées de leurs villages trouvent refuge à Ouagadougou, dans le centre Delwendé. Un cinéaste burkinabè dénonce ces pratiques avilissantes.

Publié le 22 août 2005 Lecture : 3 minutes.

Imaginez un village peuplé uniquement de vieilles femmes, ridées et édentées, le corps meurtri par l’âge et les années de labeur. Vous êtes au centre Delwendé (« Adosse-toi à Dieu », en langue morée) du quartier Tanghin, à Ouagadougou, qui accueille quelque quatre cents « mangeuses d’âmes » présumées.
Accusées d’être maléfiques et d’avoir causé la mort d’un de leurs parents ou voisins, généralement un enfant, ces femmes ont été chassées de leur village. « Elles prennent l’âme d’autrui et la mangent. Le corps suit », explique Boukhari, chauffeur de taxi dans la capitale. Pour lui, comme pour bon nombre de Burkinabè toutes classes sociales confondues, la culpabilité des vieilles femmes ne fait aucun doute, car « ce sont les fétiches qui les ont désignées ». « On accepte la mort naturelle d’une personne âgée, mais pas celle d’un enfant, explique la religieuse Carmen Garcia, responsable de ce centre créé dans les années 1960 par la communauté des Soeurs blanches et soutenu par le ministère de l’Action sociale et la mairie de Ouagadougou. Pour trouver l’auteur du meurtre, on fait appel aux fétiches. C’est l’occasion de règlements de comptes faits de jalousie, de haine et d’argent… »
Les femmes émancipées, rebelles, celles qui ont mauvais caractère ou qui sont stériles sont des coupables toutes trouvées. « Dans certaines régions, on leur demande de boire un « breuvage de vérité » pour prouver leur innocence. La potion est tellement infâme et toxique que certaines refusent. Quant à celles qui y goûtent, elles en meurent ou sont prises de délire et finissent par s’accuser toutes seules », raconte Ernest Tidogo, qui gère le centre depuis onze ans. Les décès inexpliqués qu’on leur impute sont généralement causés par des maladies comme la méningite et le paludisme. « La sorcellerie est une question de croyance, poursuit-il. Il n’y a aucune réalité derrière. Mais les gens ont grandi avec ces superstitions et ne cherchent pas à s’en défaire. Si vous demandez aux vieilles qui vivent ici si elles croient à la sorcellerie, certaines vous répondront que oui… ! »
Pour ces femmes bannies de leur communauté, le traumatisme et la douleur sont tels que certaines en perdent la raison. « Quand elles arrivent ici, elles sont dans un état misérable, explique la soeur Carmen Garcia. Rejetées par leur entourage, elles ne font plus confiance à personne. Peu à peu, au fil des mois, leur visage s’anime et redevient expressif. Même si elles mènent une vie « anormale », confinées dans ce lieu où il n’y a ni hommes ni enfants. » La plupart restent à Delwendé jusqu’à leur mort. Sauf quelques-unes – trois ou quatre par an que leurs enfants, une fois adultes, décident de venir rechercher.
Aujourd’hui, le centre est bien accepté dans le quartier. L’idée que ces femmes ne sont peut-être pas de dangereuses sorcières fait peu à peu son chemin. Des enfants entrent dans la cour pour vendre des petits objets, mouchoirs, cacahuètes, beignets… Et les vieilles commercialisent les vêtements tissés qu’elles confectionnent. Ce qui était inimaginable auparavant, car tout ce qu’elles touchaient était considéré comme souillé.
Néanmoins, le centre ne désemplit guère. Chaque mois, des femmes viennent y trouver refuge. Dans les campagnes, ces croyances sont encore vivaces. Les autorités publiques et l’opinion, à commencer par les intellectuels, sont accusés d’indifférence. À quelques exceptions près, puisque le cinéaste burkinabè Simon-Pierre Yaméogo a réalisé un long-métrage sur le sujet, Delwendé, Lève-toi et marche, primé au Festival de Cannes cette année. Un professeur d’université, Bali Nébié, a par ailleurs publié un ouvrage, intitulé Le Crépuscule des ténèbres, sur le même thème.
Le ministère de l’Action sociale finance une partie des frais de fonctionnement du centre et quelques spots télévisés ont été diffusés sur le travail réalisé. Mais tous les charlatans, qui exercent une justice parallèle à celle des juridictions officielles, ne sont jamais inquiétés. Et les campagnes de sensibilisation sur le phénomène ne sont pas intégrées aux cursus scolaires.
Aussi les vieilles de Delwendé en ont-elles assez de recevoir des visites de curiosité et de répondre aux journalistes. Les souvenirs sont trop douloureux. Elles ont déjà raconté maintes fois leur histoire et « ça n’a rien changé ». Chaque visite est la preuve de leur « anormalité » et le stigmate de superstitions criminelles qu’il est grand temps de bousculer. Cela ne pourra se faire sans une mobilisation massive du gouvernement et de la société civile.

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