Charité bien ordonnée…

Qu’elles soient internationales, nationales ou régionales, plus de 300 associations sont à l’oeuvre dans le pays. Une agence officielle tente de coordonner la multiplicité des actions entreprises.

Publié le 22 août 2005 Lecture : 6 minutes.

Si l’on en juge par le nombre de jeunes coopérants qui s’égayent dans les « maquis » de la capitale, la coopération internationale au Burkina se porte bien. Il faut dire que le Faso est reconnu comme un très bon « élève » par la communauté internationale. En 2000, ce petit État sahélien était le second pays africain après l’Ouganda à avoir bénéficié de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et il figure parmi les dix-huit bénéficiaires de la dernière annulation de dette décidée au G8 début juillet. L’aide publique au développement y a représenté plus de 400 millions de dollars en 2003. Premier bailleur de fonds : l’Union européenne. Suivie de la France, de la Banque mondiale et des Pays-Bas.
Mais au Burkina, ce n’est pas tant l’ampleur de la coopération « étatique » qui surprend que celle des structures non gouvernementales : associations bien sûr, mais aussi collectivités locales.
« Au cours des dix dernières années, les flux financiers générés par les ONG n’ont cessé d’augmenter. Ils représentaient 14,2 milliards de F CFA en 1995, 21,6 milliards en 2000 et ont atteint 31,3 milliards en 2004. Au total, on recense quelque 360 ONG au Burkina, dont les deux tiers sont vraiment actives », souligne Patrice Syan, responsable du Bureau de suivi des ONG (Bsong), une agence officielle créée en 1984 au sein même de la présidence de la République et rattachée, depuis quelques années, au ministère de l’Économie et du Développement. Cette structure – spécifique au Burkina – a pour mission de coordonner et de faciliter l’implantation et le travail des ONG. Les railleurs y devinent une volonté de « fliquer » le travail des associations, ce que Patrice Syan réfute : « Les ONG ne manifestent en général aucune réticence pour nous tenir informés sur leurs actions. Malheureusement, elles n’ont pas toujours les outils nécessaires pour le faire. » D’ailleurs, on voit mal comment, avec ses maigres moyens – cinq fonctionnaires seulement, une voiture en panne et aucune connexion Internet -, le Bsong pourrait espionner, voire contrôler, le travail des ONG…
La coopération dite décentralisée, portée par des collectivités locales étrangères, est elle aussi considérable. « On recense environ 180 partenariats dans ce domaine, qui apportent au pays quelque 10 milliards de F CFA par an », indique Issa Sorgho, directeur de la Maison de la coopération décentralisée à Ouagadougou, une structure indépendante fondée en 2004 et cofinancée par les collectivités locales. 80 % de ces accords concernent des collectivités françaises. « Le Burkina est le pays africain le mieux doté en partenariats », note Philippe Gérard, responsable du Service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France. Le plus ancien a été conclu en 1966 entre la ville de Loudun et Ouagadougou. Mais si, à l’époque, les deux cités abritaient chacune près de dix mille personnes, Ouaga est devenue, entre-temps, une capitale de plus d’un million et demi d’habitants…
Des jumelages « Sud-Sud » commencent cependant à voir le jour. Entre Bobo-Dioulasso et la commune malienne de Bankass par exemple, ou encore entre Ouagadougou et Marrakech, au Maroc. Au programme : échanges culturels et sportifs, partage d’expérience dans le domaine de la gestion municipale, de la protection de l’environnement…
On trouve effectivement de tout dans la coopération décentralisée. Du « tourisme caritatif » à l’envoi de médicaments et de cartables en passant par les chantiers de jeunes. Mais au fil des années, les actions se professionnalisent. Comme cela a été le cas entre Limoges et le département de Pabré, par exemple. D’une démarche au départ très humanitaire, la coopération s’oriente désormais vers un vaste programme de développement durable de plus de 300 000 euros sur trois ans, comprenant la réhabilitation d’une digue, l’appui à l’élevage, la pisciculture, le maraîchage et la réalisation d’une étude épidémiologique.
L’engouement des ONG et des collectivités locales pour le Burkina Faso est-il plus important que pour les pays voisins ? Si l’on en juge par le nombre d’ONG au mètre carré, oui, probablement. Même si, dans l’absolu, « il n’y a pas plus de projets d’ONG au Burkina qu’au Mali ou au Sénégal par exemple, précise Patrice Syan. Seulement au Burkina, les ONG sont peut-être plus visibles. Certaines, qui sont actives dans plusieurs pays de la sous-région, choisissent aussi d’établir leur siège à Ouaga, car elles trouvent ici de bonnes conditions d’accueil et de travail. Nous sommes à leur disposition. Si besoin, je vais les accueillir à l’aéroport. Même le week-end ! » assure-t-il.
Surtout, les bailleurs de fonds, qu’il s’agisse d’États, d’ONG ou de collectivités locales, sont unanimes pour reconnaître la qualité des ressources humaines du Burkina. D’ailleurs, nombre de structures, dont celle de la coopération allemande (la GTZ) par exemple, sont essentiellement composées de cadres burkinabè. « L’administration fonctionne mieux ici qu’ailleurs dans la sous-région, souligne Max, un coopérant suisse qui a roulé sa bosse dans les pays voisins. Dans les ministères, on répond au courrier et au téléphone entre 8 heures et 18 heures. C’est loin d’être le cas partout… » L’un de ses collègues ajoute : « Les Burkinabè connaissent par coeur le « langage Banque mondiale ». Ils élaborent des stratégies sectorielles pour tout. Et ils ne laissent pas passer une occasion d’obtenir des financements. Ils sont très ouverts à l’innovation. » Ce n’est donc pas un hasard si le Burkina fait partie des rares pays où les firmes Monsanto et Syngenta ont commencé des essais sur le coton génétiquement modifié…
Autre atout de taille : la stabilité politique du pays qui « permet d’envisager des projets sur le long terme, selon Nelly, une jeune Française responsable de projets de développement dans la région est. Dans ce pays, les choses avancent dans tous les domaines. C’est le Disneyland des ONG ! » Ce qui ne signifie pas pour autant que les problèmes n’existent pas. « La société civile est prolifique, mais encore très inhibée, poursuit-elle. C’est peut-être le revers du système politique… D’autre part, la coopération en général, et surtout celle des associations, souffre d’éparpillement et d’émiettement. Les ONG ont besoin de se spécialiser et de se professionnaliser davantage. La bonne volonté, c’est bien, mais ça ne suffit pas. » De fait, on peut s’interroger sur l’impact réel et pérenne de la multitude de petits projets portés par les ONG et les collectivités locales étrangères et dont le volume financier global reste, somme toute, assez modeste. Les partenariats noués par la société civile ont le mérite de s’appuyer avant tout sur les liens humains indispensables à toute coopération. Cela étant, le développement est aussi affaire de cohérence et de durabilité. Les ONG et les collectivités locales sont-elles prêtes – elles aussi ayant leur propre agenda – à soutenir leurs actions dans la durée ?
Une question qui sera encore plus d’actualité en 2006 avec l’achèvement du processus de décentralisation. Lancé en 1995, il a déjà permis la création de 49 communes urbaines et devrait aboutir à la naissance de plus de 300 autres en février 2006. Dans le domaine de la coopération décentralisée, « cela va tout changer, explique Issa Sorgho. Les liens existants avec les collectivités locales françaises vont faciliter le démarrage des communes burkinabè. Les actions d’appui institutionnel vont se développer : soutien à la structuration des services municipaux, formation des élus… » Certaines villes le font déjà, comme Lyon qui participe à la formation des services techniques de Ouagadougou, notamment dans le domaine de la collecte des déchets urbains. « Jusqu’à présent, le seul mode de commandement, c’était le chef de village ou le préfet. Désormais, il va falloir composer avec des maires élus et leurs conseillers », conclut Nelly. L’apparition de ces nouveaux acteurs révolutionnera, sans aucun doute, la façon de gérer le développement local. Et renforcera l’exigence de durabilité de toute action de coopération. C’est bien là le véritable défi de l’aide au développement.

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