[Tribune] « Maître » Abdoulaye Wade, quand l’histoire oublie l’avocat

Opposant, puis président de la République du Sénégal, il est aussi le plus ancien avocat ayant exercé dans son pays avant l’indépendance. Retour sur une part oubliée de l’histoire d’Abdoulaye Wade.

Abdoulaye Wade à Dakar, le 13 février 2019. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Abdoulaye Wade à Dakar, le 13 février 2019. © Sylvain Cherkaoui pour JA

cecile sow
  • Cécile Sow

    Journaliste et réalisatrice, elle est notamment l’auteure du documentaire « Histoire du Barreau du Sénégal ».

Publié le 4 septembre 2020 Lecture : 2 minutes.

Si Abdoulaye Wade ne s’est jamais départi de son titre de « Maître », il y a toutefois bien longtemps qu’il a quitté les prétoires au profit de la scène politique. Ainsi, il n’est guère surprenant que les souvenirs de l’opposant puis du président de la République aient estompé celui de l’avocat.

8 mai 1958

Au moment où le barreau du Sénégal, créé par ordonnance le 3 septembre 1960, souffle ses 60 bougies, rares sont ceux qui savent que l’ex-chef de l’État est le plus ancien avocat sénégalais ayant exercé dans son métier dans le pays avant l’indépendance. Nommé avocat-défenseur près la cour d’appel et les tribunaux de l’A.O.F. (Afrique occidentale française) par arrêté n°3856/JA du 8 mai 1958, Abdoulaye Wade devance de quelques mois la doyenne du barreau, Me Eugénie Issa-Sayegh, toujours membre du Conseil de l’Ordre…

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Avant de pratiquer au Sénégal, Abdoulaye Wade est établi à Besançon, dans l’est de la France. Il a prêté serment devant la cour d’appel de la ville au mois de décembre 1955, suite à l’obtention de son Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (Capa), délivré par la faculté de droit de l’Université de Dijon, le 25 novembre de la même année.

Après un stage de deux ans, il décide de rentrer au Sénégal, où il entame les démarches pour s’inscrire au barreau Dakar.

Mais à cette période, être nommé avocat est compliqué. La connaissance du droit n’étant pas la seule exigence, tous les candidats sont soumis à des enquêtes rigoureuses. Et Abdoulaye Wade n’y échappe pas.

Le courrier du commissaire de police au procureur de Besançon sur les "activités" d'Abdoulaye Wade en 1958 (archives). © DR

Le courrier du commissaire de police au procureur de Besançon sur les "activités" d'Abdoulaye Wade en 1958 (archives). © DR

A Besançon, il défend des Algériens poursuivis pour « activités anti-nationales »

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Dès qu’il fait sa demande, le procureur général, chef du service judiciaire à Dakar, contacte le commissaire central de police de Besançon pour obtenir des renseignements. Dans un rapport estampillé « confidentiel » et « urgent » daté du 28 janvier 1958, celui-ci affirme qu’Abdoulaye Wade a des accointances avec des communistes, souligne qu’il a été président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire (section Besançon), qu’il est en faveur de l’indépendance et, surtout, qu’il défend des Algériens poursuivis pour « activités anti-nationales » dans des procédures de droit commun et des « affaires liées à l’intégrité du territoire ».

La défense de Mamadou Dia

Le dossier d'Abdoulaye Wade, nommé avocat près les tribunaux de l'AOF le 8 mai 1958. © DR

Le dossier d'Abdoulaye Wade, nommé avocat près les tribunaux de l'AOF le 8 mai 1958. © DR

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Malgré ce tableau peut-être alarmant pour les autorités de l’époque, Abdoulaye Wade, âgé de 31 ans, présente des qualités certaines. Selon le procureur général de Besançon, il a toujours plaidé « avec beaucoup de correction (…) en restant sur le terrain du droit et des faits, sans faire de digression sur le plan politique ». Cette appréciation plutôt favorable lui a sans doute servi.

Ironie de l’histoire, quelques années après sa nomination comme avocat-défenseur à Dakar, Me Abdoulaye Wade plaide en faveur de Mamadou Dia, le président du Conseil accusé, entre autres, d’atteinte à la sûreté de l’État lors de la crise politique de 1962.

Plus d’un demi-siècle plus tard, il affirme avoir été « très malheureux » de n’avoir pas pu lui éviter la perpétuité, une condamnation « injuste et très sévère ». Pour lui, Mamadou Dia n’avait en effet jamais voulu faire un coup d’État.

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