[Analyse] Pourquoi la France ne peut pas sauver le Liban
À Beyrouth, Emmanuel Macron a pointé à juste titre le confessionnalisme du système libanais. Un mode de gouvernance que Paris a pourtant largement contribué à mettre en place et à maintenir.
-
Jihâd Gillon
Responsable du pôle Maghreb/Moyen-Orient à Jeune Afrique
Publié le 3 septembre 2020 Lecture : 5 minutes.
C’est une affaire entendue : la France prend le destin du Liban entre ses mains, après l’explosion du 4 août dans le port de Beyrouth, laquelle a exposé – mais ce n’était pas franchement une nouvelle – la corruption et l’incompétence d’une grande partie de la classe dirigeante libanaise.
Et de désespoir de voir enfin le pays dirigé par l’intérêt général, une partie des Libanais ne serait d’ailleurs pas contre ce retour fracassant de la France dans les affaires libanaises.
Le président français Emmanuel Macron, toujours soucieux de se montrer sur le terrain, s’est ainsi rendu au Liban ce 1er septembre pour la deuxième fois en moins d’un mois. Il en aurait fait autant si la catastrophe eût lieu sur le territoire français.
Malaise
L’approche du président français se veut simple et pragmatique : la France veut centraliser l’aide internationale envoyée au Liban et conditionne son propre soutien à une profonde réforme du système de gouvernance libanais. En somme, aide-toi, la France t’aidera.
Une intervention, on l’a dit, saluée par une partie des Libanais. Mais la seconde visite provoque le malaise chez beaucoup d’autres. Car nous ne sommes pas loin, au fond, du rôle de parrain international, voire d’un retour d’un mandat français qui ne dit pas son nom.
Certains dénoncent une vision néo-colonialiste de la France au Liban
Certains dénoncent ainsi une vision néo-colonialiste de la France au Liban. C’est que l’existence même du Liban doit tout à la volonté de la France, qui, dans en 1920, a conçu ce territoire comme un sanctuaire pour les chrétiens de la région.
À la demande du patriarche maronite de l’époque, la France avait même adjoint des territoires non-maronites au nouvel État, de manière à assurer son avenir alimentaire et économique. Paris avait eu la même approche avec la minorité alaouite, à qui elle avait offert un éphémère État.
Le Liban constitue la marque indélébile de la politique confessionnelle de la France dans la région après la Première Guerre mondiale, alors que les puissances victorieuses se partageaient les dépouilles de l’Empire ottoman. Et la communauté maronite s’est habituée à voir en Paris davantage qu’un parrain : un protecteur.
Bien des Libanais maronites connaissent ainsi mieux les rues de Paris que celles de Tripoli, la grande ville sunnite du Nord, seconde cité du pays.
Succession de micro-territoires communautaires
C’est donc cette genèse confessionnelle qui a fait du Liban un pays étrange, plutôt une succession de micro-territoires communautaires – transformés souvent en cantons électoraux taillés sur meure – qu’un véritable État-nation. Le cosmopolitisme de Beyrouth permet, il est vrai, à ces communautés de se rencontrer et d’échanger.
Bon an mal an pourtant, un modus vivendi s’est mis en place entre ces communautés : le président est chrétien, le Premier ministre sunnite et le président de l’Assemblée – aujourd’hui l’inamovible Nabih Berry – chiite.
Chaque communauté est avant tout tournée vers la préservation de ses intérêts
Conséquence de cette répartition des pouvoirs : le nombre réel des membres de chacune des communautés libanaises constitue un tabou inviolable. Bien que probablement minoritaires aujourd’hui dans un pays qui a été créé pour eux, les chrétiens ne veulent pas entendre parler d’un recensement dont le résultat serait nécessairement une réduction de leur pouvoir politique.
Tout l’ordre politique du Liban tient donc sur une fiction. Qu’elle vacille, comme avec l’arrivée massive de réfugiés palestiniens sunnites dans les années 1970 et 1980 (qu’on se gardera bien de naturaliser et d’intégrer à la vie politique libanaise), et c’est la guerre civile.
Officiellement république parlementaire, les élections législatives sont au Liban, davantage qu’une lutte politique loyale entre citoyens, un ballet soigneusement ordonné où chaque communauté veut avoir la garantie d’être représentée à l’Assemblée par un certain nombre de ses barons, lesquels appartiennent pour la plupart à de véritables dynasties familiales.
Ce fonctionnement implicite a certes préservé le pays de la guerre civile depuis trente ans, mais il a, à l’évidence, échoué à faire émerger un véritable sentiment national. Chaque communauté défend ainsi sa définition du Liban. Dans cette perspective, chaque communauté est avant tout tournée vers la préservation de ses intérêts, la domination de l’une d’entre elles étant perçue comme une menace existentielle par les autres.
De cette perspective profondément confessionnelle découle le communautarisme et son cortège de malheurs : népotisme, corruption, incompétence à tous les étages. Certes l’explosion du 4 août n’a en elle-même pas de lien direct avec cet état des choses.
Relation confessionnelle
Mais le confessionnalisme et l’idée qu’on ne doit quelque chose qu’aux siens (au mieux) a favorisé la généralisation d’une attitude peu soucieuse de l’intérêt général que l’on pourrait résumer par la formule « après moi, le déluge » : de la gestion cataclysmique des déchets à la prospection immobilière qui a défiguré la côte, en passant par ces tonnes de nitrate entreposés dont personne ne s’est senti responsable.
Quand en octobre 2019, les jeunes Libanais sont descendus dans la rue pour réclamer la fin du système confessionnel, cause de tous les maux ou presque du pays, ils ont trouvé face à eux les nervis des partis farouchement confessionnels.
Seul le patriarche maronite a eu le privilège d’échanger avec le président français
À l’époque, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian n’avait rien trouvé de mieux, pour saluer le mouvement, qu’un anxieux appel à la stabilité des institutions libanaises. Institutions dont on a dramatiquement constaté, plusieurs mois plus tard, la profonde incurie.
Comme un symbole, la répression du mouvement d’octobre par les forces de sécurité intérieure a été en partie menée avec du matériel de fabrication française, comme l’a révélé le journaliste Antoine Sarradin.
De son côté, Emmanuel Macron a beau conditionner le soutien de la France à une réforme de la gouvernance, il sait que le seul changement significatif au Liban serait la fin du confessionnalisme et la mise en place d’un État unitaire au service de ses citoyens.
Mais ce serait renier en creux l’action passée de la France dans la région, et son tropisme pour la communauté maronite. À Beyrouth, parmi les leaders confessionnels, seul le patriarche maronite, le cardinal Rahi, a ainsi eu le privilège d’échanger avec le président français. Il aurait fallu les voir tous. Ou n’en voir aucun.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?
- Législatives au Sénégal : Pastef donné vainqueur
- Au Bénin, arrestation de l’ancien directeur de la police
- L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État améric...
- Mali : les soutiens de la junte ripostent après les propos incendiaires de Choguel...