Une « industrie » en devenir

400 000 femmes vivent de sa production. Mais il faut passer à la vitesse supérieure.

Publié le 15 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

A 25 km à l’ouest de Ouagadougou, Ragussi est un village de la province du Kadiogo, posé sur le bord de la Nationale 1 qui file vers Bobo-Dioulasso. Un peu à l’écart, une sorte de corps de ferme attire l’attention. Association Ragussi. Centre de production de beurre de karité biologique, indique un écriteau. L’ensemble, isolé au centre d’une vaste place, est composé de quatre bâtiments dont l’un, sur la gauche, est encore en chantier. Il s’agit d’un futur entrepôt, dont la construction a été financée par Helvetas, une ONG suisse.
La marchandise qui y sera stockée attend dans un hangar de fortune contigu au petit bureau d’Henriette Ouédraogo, qui dirige les lieux. Des dizaines de fûts en plastique, ainsi qu’une centaine de sacs recouverts d’une bâche sombre, y sont alignés. Ils contiennent plus de 10 tonnes d’une pâte jaune et granuleuse : le beurre de karité. « Nous avons dû acheter ces grands récipients pour l’entreposer, explique Henriette Ouédraogo. Avec la chaleur, le beurre s’écoule des sacs. »
Fabriqué d’octobre à juin, le beurre de karité est issu de la transformation d’une noix qui pousse sur l’arbre du même nom. Traditionnellement utilisée dans la cuisine et la préparation du savon, cette graisse végétale est également très prisée par l’industrie chocolatière et les fabricants de produits cosmétiques européens, japonais et américains. La première y trouve un substitut bon marché au beurre de cacao. Les seconds en apprécient l’onctuosité pour la confection de pommades aux vertus régénératrices et hydratantes.
En l’absence de statistiques fiables, on estime que près de 1 400 groupements féminins semblables à celui de Ragussi existeraient aujourd’hui au Burkina. Fondés, pour la plupart, dans le cadre du Projet national karité (PNK) lancé par l’État en 1994, ils permettraient à quelque 400 000 femmes d’avoir un revenu. « Les autorités ont créé ce programme au lendemain de la ?dévaluation du franc CFA, en partenariat avec les Canadiens. Il était destiné à éviter la paupérisation des familles de paysans en favorisant le travail des femmes et en valorisant la production des richesses locales », mentionne Faty Bougouma, la présidente du projet.
Actuellement, à Ragussi, 27 femmes participent à la préparation du beurre de karité. « Depuis que nous sommes passées à la production de beurre biologique en 2003, nous n’avons ni assez d’équipement ni assez d’espace pour accueillir 50 personnes, constate Henriette Ouédraogo. Le bio, qui doit répondre à des critères de qualité très stricts, nous oblige à travailler en site fermé », poursuit-elle. Le prix de vente du beurre bio n’en présente pas moins une intéressante contrepartie.
En 2006, seulement 6,6 tonnes de beurre ont été vendues par l’association à l’étranger, contre 4 en 2005 et un peu plus de 10 l’année précédente. Une grosse déception, compte tenu des espoirs placés dès l’entrée en vigueur, en août 2003, de la directive européenne 2000/36 autorisant une augmentation de l’utilisation du beurre de karité dans la fabrication des produits chocolatiers. Tout le monde, ici, s’attendait à ce que le texte profite à la filière, dont le produit est unanimement reconnu pour son exceptionnelle qualité Mais, avec une production nationale annuelle stagnant autour de 80 000 tonnes, le ?secteur n’a, malheureusement pas encore décollé.
« L’un des gros problèmes, c’est le prix de nos produits. Il est élevé, car il y a beaucoup d’intermédiaires au Burkina, affirme Henriette Ouédraogo. Sans transport ni emballage, le kilo de beurre bio coûte entre 1 500 et 2 500 F CFA. Du coup, les acheteurs potentiels vont voir ailleurs. Les femmes souffrent, en outre, d’une concurrence déloyale depuis que les hommes se sont lancés dans l’exportation de l’amande de karité non transformée », ajoute-t-elle. Reste aussi les problèmes inhérents à une filière peu structurée qui n’a pas la maîtrise de son marché.
Pour les 27 productrices, les 750 000 F CFA qu’elles se sont partagés l’an dernier représentent pourtant un ?indispensable apport financier. Grâce à cette somme, certaines ont pu s’acheter un vélo, un pousse-pousse ou renouveler leur garde-robe. D’autres espèrent avoir donné un avenir à leurs enfants. Elles ont eu les moyens de payer leur scolarité.

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