Sortir de la dépendance

L’importance de l’agriculture dans la production de richesses reste un handicap.

Publié le 15 mai 2006 Lecture : 5 minutes.

Redécollage timide. Après une année 2004 marquée par une chute vertigineuse de ses principaux indicateurs économiques, le Burkina a retrouvé, en 2005, une partie de son dynamisme. Avec un taux de croissance de 4,4 % (selon le FMI), il espère avoir définitivement tourné la page de la grave sécheresse qui avait touché l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest il y a deux ans. Dans un pays dont la richesse est encore largement dépendante de la production agricole, le manque d’eau avait alors fait des ravages
Du côté des autorités en tout cas, le retour d’une conjoncture favorable à la réalisation de leurs ambitions ne fait plus aucun doute. Dans sa déclaration de politique générale du 30 mars dernier, le Premier ministre Ernest Paramanga Yonli a annoncé vouloir atteindre un taux de croissance de 10 % à l’horizon 2010. Une performance qu’il espère, évidemment, réaliser en s’appuyant sur le fleuron de l’économie nationale, l’activité cotonnière. Mais pas seulement.
Depuis sa privatisation en 1999, puis sa libéralisation en 2004, la filière a, certes, multiplié sa production par cinq en dix ans et réalise chaque année 60 % environ des recettes d’exportation. Bien sûr, elle est devenue la première du continent africain en 2005, grâce à 634 000 tonnes de coton égrenées. Mais ce « beau succès », dixit Pierre Berger, le chef de la mission économique française à Ouagadougou, ne parviendra pas à enrayer seul la détérioration de la balance commerciale nationale, très déficitaire. Et reste, par ailleurs, très fragile, du fait des subventions qu’accordent à leurs cotonculteurs les pays industrialisés.
C’est pourquoi les autorités cherchent à diversifier leur principale source de revenus. Le ministère de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques travaille, notamment, à la promotion des cultures maraîchères de contre-saison. Conscient des avantages comparatifs dont jouit le Burkina sur ce créneau, il aimerait en refaire le spécialiste des mangues et des haricots verts qu’il était devenu à la fin des années 1980. Dans cette perspective, le développement des infrastructures d’exportation de la filière fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions. Après la création, en 2004, d’une Société burkinabè des fruits et légumes (Sobfel) chargée de lui servir de locomotive, trois chambres froides ont été réhabilitées l’année dernière à l’aéroport international de Ouagadougou et un terminal fruitier vient d’entrer en service à Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays. Grâce au soutien des bailleurs, un vaste programme d’extension des terres irriguées a par ailleurs été lancé. Mais d’ici à ce que le Burkina redevienne le potager de l’Afrique de l’Ouest et des marchés européens, le chemin est encore long. Si les exportations de mangues ont retrouvé l’an dernier leur niveau d’il y a quinze ans, celles de haricots verts n’ont atteint que 700 tonnes, contre 5 000 à la fin de la décennie 1980
Dans une moindre mesure, les autorités devraient également compter sur les services pour accélérer la croissance du PIB dans les mois à venir. Depuis que les entreprises ont été obligées de se tourner vers les ports de Lomé, Tema et Cotonou en lieu et place d’Abidjan pour leurs exportations, suite à la crise ivoirienne, le secteur du transport est en pleine forme. Si l’acheminement par camions vers le Ghana, le Togo et le Bénin coûte plus cher que l’utilisation de la voie ferrée à destination de la capitale économique ivoirienne, il n’en fait pas moins les affaires des spécialistes du fret et de la manutention.
« Les télécoms s’en sortent bien également, ajoute Siaka Coulibaly, économiste à la Banque mondiale. En quatre ans seulement, le taux de télédensité du Burkina est passé de 1 % à 5,6 % ! Sachant que l’équipement de la population en téléphone fixe et mobile est encore faible, le secteur dispose d’une bonne marge de progression » « Dans la banque comme dans l’assurance aussi, le potentiel est énorme, renchérit Pierre Berger. La faiblesse du taux de bancarisation dans le pays laisse entrevoir de belles perspectives », affirme ce dernier.
Il ne faudra pas compter, en revanche, sur l’industrie, qui reste le parent pauvre de l’économie burkinabè. Dans ce secteur, seules les brasseries Brakina et les sociétés du bâtiment et des travaux publics (BTP) parviennent à tirer leur épingle du jeu. Les premières ont l’avantage d’être seules sur leur créneau. Les secondes voient leurs carnets de commandes se remplir grâce aux multiples projets de restructuration de la capitale et à la politique de viabilisation des grands axes de circulation nationaux. Pour le reste, le Burkina éprouve les plus grandes difficultés à développer un tissu local de petites unités de production, notamment à cause des tarifs très élevés de l’énergie. L’eau est facturée aux entreprises à un prix unique qui dépasse les 1 000 F CFA le m3. Produite par des centrales thermiques, l’électricité est, elle aussi, très onéreuse. Quant à la flambée des cours de l’or noir, qui se maintiennent depuis plusieurs mois autour de 60 dollars le baril, elle alourdit considérablement les frais de fonctionnement. L’an dernier encore, les produits pétroliers ont constitué la principale source de dépenses du Burkina, avec 34,4 % du total de ses importations
L’État table sur la privatisation des dernières grandes entreprises de service public pour faire baisser les prix de l’énergie. Après l’Office national des télécommunications (Onatel), en 2006, ce sera, entre autres, au tour de la Société nationale burkinabè d’électricité (Sonabel), de la Société nationale burkinabè des hydrocarbures (Sonabhy) et de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (Onea) de passer sous le contrôle du secteur privé. À l’instar de Placide Somé, le président de la Commission de privatisation, le gouvernement espère ainsi renforcer l’assise financière de ses anciennes sociétés, pour qu’elles puissent se lancer dans de vastes programmes d’investissement. Reste que la stratégie est loin de faire l’unanimité. « L’expérience montre que les grands groupes privés internationaux ne sont plus intéressés ni par la gestion de l’eau ni par celle de l’électricité, qui sont des secteurs peu rentables, explique Siaka Coulibaly. À la place, le Burkina devrait privilégier le projet WAPP (West African Power Pool), qui vise à promouvoir un commerce accru de l’électricité parmi les quinze États membres de la Cedeao, via le développement d’un important réseau d’interconnexions de lignes haute tension du Nigeria à la Guinée. »
Comme si l’importance des coûts de production ne suffisait pas, la contrefaçon et la concurrence déloyale des produits asiatiques (motos, électronique et textile), souvent importés frauduleusement, achèvent de détourner les capitaux du secteur secondaire. Huileries, manufactures de production de cigarettes, fabricants de cycles : les petits patrons ne cessent de demander aux autorités un plan de lutte contre le non-paiement des tarifs douaniers et la porosité des frontières. À la suite des 5es rencontres annuelles entre le gouvernement et le secteur privé, dominées par ces questions en juillet 2005, et d’un séminaire international sur la lutte contre la fraude et la contrefaçon dans la zone UEMOA, organisé du 28 au 30 novembre dernier à Ouagadougou, le pouvoir semble, enfin, avoir pris la dimension du problème. Reste à passer à l’action.

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