Shirin Ebadi dixit

Dans une interview à l’hebdomadaire français L’Express, le Prix Nobel de la paix 2003 brosse un portrait pour le moins inattendu de son pays.

Publié le 15 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix 2003, relate, dans un récit autobiographique, Iranienne et libre (éditions La Découverte), son long et dangereux combat pour la liberté et la justice. Un combat qu’elle a le courage de mener depuis son pays, même si elle doit parcourir le monde pour faire entendre sa voix. Dans une interview accordée, au début du mois de mai, à l’hebdomadaire français L’Express, cette avocate de 58 ans – elle fut la première femme, en 1974, à devenir juge dans son pays, avant de devoir quitter son poste avec la Révolution islamique de 1979 -, infatigable militante des droits de l’homme, brosse le portrait de l’Iran d’Ahmadinejad. On y apprend, par exemple, que plus de 65 % de la population universitaire est féminine, que les Iraniennes ont obtenu le droit de vote avant les Suissesses (en 1963, contre 1971), que le Parlement compte treize députées et qu’une femme a rang de vice-présidente Une situation paradoxale puisque des « lois discriminatoires entravent toujours l’accès des femmes à l’instruction ».
Ebadi aborde également le cas de la charia (loi islamique), fondement et source du droit en Iran comme dans d’autres pays musulmans. L’avocate ne la rejette pas, loin s’en faut : « Une lecture correcte [] permet de mettre fin aux discriminations hommes-femmes, explique-t-elle. Pour preuve, les disparités quant au statut de la femme selon les pays. » Et de citer, d’une part, l’Arabie saoudite, où « une femme n’a pas le droit de conduire, et moins encore de s’engager dans la vie publique », et, d’autre part, l’Indonésie, le Bangladesh ou le Pakistan, qui l’autorisent à « accéder à la fonction de président ou de Premier ministre ». Selon elle, « comme toute autre religion, l’islam peut faire l’objet d’interprétations différentes ». Exemple : « La Tunisie interdit la polygamie. L’Iran l’autorise »
Concernant le bras de fer qui oppose son pays à la communauté internationale sur le dossier du nucléaire, Shirin Ebadi appelle de ses vux « l’instauration d’une authentique démocratie en Iran » qui inciterait l’opinion mondiale à accorder du crédit à la parole de Téhéran. Car c’est bien là que le bât blesse : « Le gouvernement iranien prétend recourir à l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. Le monde ne le croit pas. [] Dans une nation démocratique, les gouvernants ne peuvent abuser de leur pouvoir. La première étape, j’insiste, c’est d’accorder au peuple le libre choix de ses dirigeants. La France détient la bombe. Effraie-t-elle pour autant ? Non, car les Français ne permettraient pas à leur exécutif d’outrepasser ses prérogatives. »
Croit-elle à un changement de régime par la force, scénario parfois prôné à Washington ? Une chose est sûre, ce choix, selon elle, ne serait pas très pertinent : « Dans un tel cas, l’Iran deviendrait un autre Irak. Quoi qu’ils pensent de leurs gouvernants, les Iraniens n’accepteront ni ne permettront jamais une agression militaire. »
Enfin, Ebadi revient sur son parcours, et plus particulièrement sur les deux événements majeurs à l’origine de son engagement. Le premier, c’est la lecture des lois ratifiées après la Révolution de 1979, « notamment celles qui bafouent les droits des femmes ». Le second est plus personnel. Il s’agit de l’arrestation puis de l’exécution de son jeune beau-frère, Fouad, accusé d’appartenance au mouvement des Moudjahidine du peuple.
Si le prix Nobel de la paix n’a rien changé à sa vie quotidienne, il lui permet de « se faire entendre plus facilement qu’auparavant » et lui apporte une relative protection, même si elle avoue ne pas en avoir la certitude puisque « nul ne peut comprendre le mode de raisonnement de ce pouvoir ». En tout cas, elle refuse d’endosser le statut de modèle et s’en explique : « Pour susciter des changements, [] un individu ne suffit pas. On ne peut [] tout déléguer à ce sauveur présumé omnipotent [] et s’affranchir de ses responsabilités. Tant que vous les fuyez, tant que vous rechignez à payer le prix de la liberté, le statu quo perdure. » Tout est dit !

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