Sarkozy, le caméléon
S’il conserve toutes ses chances d’être élu, en 2007, président de la République, le chef de l’UMP n’en a pas moins tempéré son ardeur réformiste. Et n’incarne déjà plus la « rupture » avec l’immobilisme.
Nicolas Sarkozy est particulièrement malin. C’est un battant qui ne recule devant rien, et le seul homme politique français dont les ambitions ont été confortées par les terribles émeutes des quartiers difficiles et les manifestations antichangement. Parfois, mais pas toujours, il est apparu comme le vainqueur tout désigné de la course à l’Élysée.
Des sondages récents indiquent pour la première fois que, quel que soit l’adversaire que la gauche lui oppose, Sarkozy l’emportera. Les répartitions par âge montrent même qu’il obtient ses meilleurs résultats auprès des jeunes électeurs, dont on aurait pu supposer qu’ils considèrent le ministre de l’Intérieur comme un superflic autoritaire.
Bien que presque tous les hommes politiques en aient pris pour leur grade, la responsabilité des malheurs de la France lui a été épargnée. Ce n’est pas une mince réussite pour un homme qui se bat à la fois contre Jacques Chirac et Dominique de Villepin à l’intérieur de son propre camp gaulliste, majoritaire, contre la gauche tout entière et contre la droite infréquentable de Jean-Marie Le Pen. En outre, avec Villepin et Chirac qui se débattent pour tenter de se laver des accusations selon lesquelles ils seraient derrière une machination visant à le salir – l’affaire Clearstream (voir J.A. n° 2364) -, Sarkozy s’efforce d’ajouter aux résultats exceptionnels des sondages un statut d’innocente victime.
La tâche n’est pas simple dans une mer de ragots et de calomnies. Il doit continuer à se dissocier dans l’esprit de l’opinion du président et du Premier ministre d’un pays qui a oublié ce que pouvaient être la confiance et la sérénité. En un mot, Sarkozy doit chercher à se présenter aux Français comme une bouée de sauvetage et une dernière chance de stabilité. Ce serait un exploit, si l’on considère qu’il n’a cessé jusqu’ici de jouer l’hypermédiatisation, épuisant ses adversaires et lassant peut-être, selon certains, l’électorat français. Sans parler des différentes postures qu’il adopte : ici, le sérieux et la réserve, comme dans une récente interview à la télévision ; là, quelques jours plus tôt, la grande parade des gestes et des mimiques pour défendre son projet de loi sur l’immigration à une réunion de son parti.
Tout au long de son parcours, l’intérêt essentiel de Sarkozy pour le monde extérieur a été son choix d’incarner la réforme, de promettre une France différente, un pays capable d’accepter le changement. En rencontrant Angela Merkel et Tony Blair, en se rendant aux États-Unis, Sarkozy s’est donné l’image du Français décidé à rompre avec l’immobilisme maussade qui a caractérisé les deux septennats de François Mitterrand et les onze années de Chirac. La discrimination positive, l’élagage de la bureaucratie, le droit de vote des étrangers aux élections locales, l’assouplissement du marché du travail, la remise en question du modèle social français tenu pour un obstacle au progrès, ou l’ironie sur l’oppositionnisme de la politique étrangère chiraquienne : dans les marges étroites de la réalité française, on pouvait dire, en effet, que Sarkozy, c’était, comme lui-même le proclamait, la « rupture ».
Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, touché de plein fouet par la nouvelle crise politique, après les émeutes, après les défilés de millions de jeunes manifestants contre une anodine réforme des conditions d’embauche (et voilà Sarkozy le dur transmuté en conciliateur instantané), il fait profil bas et met un bémol à ses déclarations sur les changements à venir.
Sarkozy ne peut pas renoncer à utiliser le mot « rupture » pour décrire les effets sur la France des profondes réformes qu’il propose. Ce serait faire un cadeau aux sociaux-conservateurs de la gauche et à leur porte-parole, Ségolène Royal, qui refuse que la flexibilité sur le marché du travail soit une alternative raisonnable aux revendications d’un avenir sans risques. Mais, quelles que soient ses chances d’être élu, les déclarations de Sarkozy sur les questions qui comptent le plus sont aussi vagues que tout ce qui se dit en France. Sarko affirme aujourd’hui : « Je veux mettre le changement et la réforme au service d’une nouvelle sécurité pour les Français. » Ou bien : « Le changement est un facteur de protection pour les Français. » Ou encore : « La flexibilité n’est pas un mot honteux si cela s’accompagne de la sécurité. »
Le flou qu’introduisent ces propos a tout l’air d’un rectificatif destiné à faire savoir que sa candidature risque moins qu’on ne l’imaginait de déranger les habitudes des Français ou de leur demander du courage pour l’avenir. Ses conseillers appellent cela un recentrage de son image. Pratiquement, cela veut dire que Sarkozy promet que la réduction du nombre des fonctionnaires (grâce aux retraités, bien sûr) signifierait des augmentations de salaire et « plus de considération » pour les nouvelles embauches. Le tout, de la part d’un homme qui affirmait que la France était étouffée par un secteur public trop important et par ses réflexes autoprotecteurs.
La discrimination positive, que refuse la gauche française, a été mise de côté. Et alors que des gens qui ont aux États-Unis des ambitions présidentielles comme Hillary Clinton et John McCain prennent des positions sur l’Iran ou sur l’Irak, Sarkozy a choisi de ne pas parler des grands problèmes internationaux. En d’autres temps, il n’avait pas caché son mépris pour la vision chiraquienne d’un monde divisé en pôles rivaux (autrement dit, une Europe dirigée par la France contre l’Amérique). Pour le nouveau Sarkozy, l’engagement paraît n’être qu’une source d’ennuis, une clarté inutile sans bénéfice politique. On ne reverra peut-être pas de sitôt l’ardent réformateur.
Il est désormais plus facile pour Sarkozy, président du parti gaulliste, de partir en quête de voix de la droite dure avec la reprise de la détestable formule « Si vous n’aimez pas la France, quittez-la ! » que de renouveler son appel de l’an dernier, quand il demandait des quotas de formation et d’emplois pour aider les millions d’immigrés légaux qu’héberge la France. De fait, tout en attendant que les accusations portées contre Villepin et Chirac aboutissent à une démission ou même à une inculpation, jouer le rempart de la stabilité exige de Sarkozy qu’il reste quasi silencieux et affiche la sagesse de l’imperturbabilité.
Le problème de Sarkozy, qui a toujours autant milité contre Chirac que pour la stabilité, est qu’il sera probablement obligé de répondre aux accusations de la gauche et de l’extrême droite selon lesquelles toute l’affaire n’est qu’un minable règlement de comptes entre gaullistes rivaux.
Pour protéger son parti, Sarkozy, la victime désignée, pourrait être amené à défendre Chirac, ce qui serait un comble, compte tenu de la nature de leurs relations. Ou bien, si Villepin s’en va, on pourrait lui demander de réparer les dégâts en tant que Premier ministre intérimaire, poste fort exposé que Sarkozy ne peut pas accepter.
La situation et les sondages sont tels que Sarkozy a toujours de fortes chances d’être élu, l’an prochain, président de la République. Mais il ne sera plus le champion de la réforme qu’il était naguère sur un fond de fascination et d’admiration dans les pays étrangers, et de peurs et de réalités incompatibles en France même.
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