Quel avenir en Afrique ?
Elles ont disparu ou sont en crise dans presque tous les pays. Des groupes régionaux, ou à l’échelle d’un continent, leur succèdent. Ils s’affirment aujourd’hui.
Le mois de mai est celui des assemblées générales. Cette année encore, celles de la Banque africaine de développement (BAD), les 17 et 18 mai à Ouagadougou, seront une réussite. Entre congratulations, cocktails, conférenciers prestigieux et quelques pointes d’autocritique, rien ne manquera à cet événement incontournable pour les banquiers et autres experts en développement. Et, d’une certaine manière, tout cela ne sera que justice. Dotée d’un nouveau président, le Rwandais Donald Kaberuka, dont ce sera la première assemblée annuelle, et fière des dix années d’une présidence – celle du Marocain Omar Kabbaj – qui a permis à l’institution d’être reconnue à l’international, la BAD ne s’est jamais aussi bien portée. Et l’Afrique, jamais aussi mal
C’est bien là le dilemme du développement africain, et de ses premiers acteurs, les banques de développement, que d’avoir vu s’investir des milliards de dollars sans empêcher la pauvreté de se généraliser. En quarante ans, la Banque mondiale a prêté 110 milliards de dollars à l’Afrique. Depuis sa création, en 1964, la BAD a financé près de trois mille projets, pour un total de 55,2 milliards de dollars. Coincées entre des banques commerciales qui ont conquis la clientèle des grandes entreprises, les banques d’affaires qui se sont spécialisées sur les marchés financiers et, désormais, les institutions de microfinance, les banques de développement ont-elles un rôle à jouer ? Malgré l’importance de leurs moyens financiers, elles traversent en tout cas une crise profonde. De nombreuses banques de développement ont disparu. Toutes ont été, à un moment ou à un autre, à deux doigts du dépôt de bilan. Qui a oublié les années catastrophiques de la BAD, en pleine asphyxie financière au début des années 1990 ? Et, à la même époque, la crise à la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC), dont elle commence seulement à se relever (voir p. 110) ?
L’idée des banques nationales de développement naît avec les indépendances, du besoin de financer des économies africaines alors en plein décollage. Avec le départ des colons, les banques coloniales disparaissent du paysage. Les nouveaux établissements vont donc devoir, désormais, assurer le financement de l’économie, via les entreprises publiques, et surtout investir dans des infrastructures qui font cruellement défaut. « Le besoin était réel, souligne Alain Lenoir, secrétaire exécutif du Club des dirigeants des banques d’Afrique francophone. Et cela a fonctionné pendant les dix premières années. » Incurie dans la gestion, manuvres politiques, corruption : les maux du continent frappent alors les institutions de développement qui disparaissent une à une. Dans les années 1980, la plupart d’entre elles sont mises en faillite. C’est notamment le cas au Bénin, au Burkina, au Cameroun, au Niger et au Sénégal. Une vingtaine de pays en Afrique, la plupart anglophones, comptent encore aujourd’hui une banque nationale de développement. Parmi celles qui survivent, certaines sont proches de la faillite, comme la Banque du développement d’Éthiopie, tandis que les autres ont dû être restructurées en profondeur, comme la Banque de développement du Mali ou la Banque nationale de développement du Botswana. Mais ces dernières perdent leur spécificité, à savoir utiliser des lignes de crédit sans collecter de dépôts. Les banques nationales de développement se font banques universelles et deviennent des établissements comme les autres. D’autres prennent le relais : les banques de développement régionales. À leurs côtés, des institutions internationales interviennent régulièrement en Afrique comme la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement, la Banque islamique de développement, le Fonds de l’Opep pour le développement international ou encore la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea).
Veiller à l’efficacité de l’aide
Institutions puissantes, financièrement bien dotées, la plupart de ces banques se sont désormais pliées aux règles de bonne gestion. La BAD, ainsi, aime à répéter son excellente évaluation par les agences de notation internationales. Pour autant, à quoi serviraient des banques qui ne feraient qu’aligner des chiffres plaisants sans assister le continent dans son développement ? Cette question centrale, les grandes institutions de développement se la posent. Fin avril, les cinq grandes banques de développement multilatérales (la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement, la Banque interaméricaine de développement, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, et la BAD) ont publié leur premier rapport conjoint portant sur l’évaluation de la performance, une étude qui revient sur la mise en uvre de méthodes baptisées « gestion axée sur les résultats du développement ». En 2005, les mêmes établissements, ainsi que les principales agences de développement, ont par ailleurs adopté à Paris une stratégie commune sur l’efficacité de l’aide, baptisée « Déclaration de Paris ».
Si les intentions sont bonnes, la tâche reste extrêmement complexe, comme le rappelle Philbert Afrika, directeur des politiques opérationnelles et de la revue des opérations à la BAD : « Il est difficile d’évaluer l’impact en matière de développement d’un financement donné, mais il est possible de contrôler qu’un projet est parvenu à atteindre ses objectifs. » Selon lui, la méthode reste le fondement du succès. « Il faut identifier les opérations qui s’insèrent dans la stratégie de développement du pays, puis définir le financement et la capacité du pays à mettre en uvre le projet, veiller à une exécution rapide et efficace », poursuit-il. Pour accroître l’efficacité des projets et améliorer les contrôles, la BAD a décidé d’être à nouveau présente sur le terrain. « L’objectif est d’avoir vingt-cinq bureaux de représentation d’ici à la fin de l’année », souligne Philbert Afrika.
Priorité aux infrastructures et à l’agriculture
La spécialité des banques de développement a toujours été et reste le financement des infrastructures. Les secteurs du transport, de l’eau et de l’énergie ont ainsi mobilisé plus d’un tiers des financements accordés par la BAD depuis sa création. Les prêts en faveur des infrastructures accordés par la Badea ont représenté plus de la moitié de ses financements. L’agriculture figure également parmi les priorités. Mais, là encore, l’histoire n’a pas été glorieuse, un grand nombre des banques de développement agricoles ayant disparu. Celles qui subsistent, comme la Caisse nationale agricole du Sénégal ou la Banque malienne du développement agricole, n’ont guère pu garantir la sécurité alimentaire de leurs pays. Elles sont aujourd’hui largement concurrencées par des institutions de microfinance en plein essor, et leurs activités ont largement été reprises soit par les banques commerciales ou des sociétés privées, pour le financement du négoce de matières premières, soit par les banques ?de développement régionales pour les prêts au développement agricole. Le fonds Opep a consacré ainsi depuis trente ans plus de 20 % des crédits alloués à l’agriculture et à l’agro-industrie. Pourtant, « malgré les difficultés qui ont affecté les banques de développement agricoles dans la plupart des pays, celles-ci ont continué à fournir des services financiers à travers leurs réseaux d’agences. Dans les pays où ces banques ont été fermées, leurs parts de marché n’ont généralement pas été reprises par d’autres institutions financières », estime ainsi Hans Dieter Seibel, conseiller technique pour le financement rural au Fonds international des Nations unies pour le développement agricole.
Les entreprises oubliées
Les banques commerciales, disposant pour l’essentiel de ressources à court terme, accordent très peu de crédits à l’économie à long terme. La priorité est généralement donnée au financement de l’import-export de matières premières. Ainsi, au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), les banques des huit pays membres affichaient à la fin de 2005 des crédits à court terme deux fois supérieurs aux crédits à moyen et long terme, qui s’établissaient à 1,8 milliard d’euros seulement. Pris isolément, les crédits à long terme ne représentaient que 4 % des crédits à l’économie En matière de financements privés, les banques de développement se devaient donc d’être particulièrement actives. Les banques nationales l’ont été, souvent à mauvais escient, en finançant les grandes entreprises publiques, avant de disparaître. Suivant la tendance engagée par la Banque mondiale, notamment avec la SFI, les banques sous-régionales et régionales placent désormais le secteur privé parmi leurs priorités. La Banque ouest-africaine de développement (BOAD) a ainsi consacré depuis sa création environ 30 % de ses financements au secteur privé et impulsé la création de la société de capital-investissement Cauris, qui prend des participations dans des entreprises privées. Elle a aussi lancé le Fonds de garantie des investissements privés en Afrique de l’Ouest (Fonds Gari), qui offre des garanties pour les entreprises souhaitant emprunter auprès des banques. En 2003, elle a également participé à la création du Fonds ouest-africain d’investissement, dont l’objet est d’investir dans des sociétés privées. La BAD a également mis sur pied une structure dédiée au secteur privé. Pourtant, malgré la prise de conscience de leur rôle stratégique en matière de financement des entreprises, les banques de développement sont encore largement absentes de ce créneau. Depuis leur création, la BAD n’a donné au secteur privé que 1,43 milliard de dollars, soit 2,6 % du total des financements, et la Badea ne lui a accordé qu’un peu plus de 3 % de ses financements.
Et la région dans tout ça ? Ultime enjeu : les investissements multilatéraux. Un des grands problèmes de l’Afrique est l’étroitesse de ses marchés nationaux, qui rend économiquement judicieux l’intégration sous-régionale et donc, les projets de développement sous-régionaux. Pourtant, depuis 1967, la BAD n’a octroyé qu’à peine 3 % de ses prêts à des projets impliquant plusieurs pays. C’est peu, pour une banque qui travaille sur l’ensemble du continent. Mais les autres institutions ne font guère mieux, contraintes par la rareté des projets régionaux et la difficulté de mettre en place des circuits de financement réunissant plusieurs pays.
Preuve que, peut-être, les banques de développement ont un avenir en Afrique, le gouvernement angolais a annoncé en mars dernier la création de la Banque de développement d’Angola. D’autres établissements ont survécu jusqu’à présent. Citons, notamment, la Banque algérienne de développement, ou encore la Banque nationale pour le développement économique du Maroc. Mais celle-ci est en cours de liquidation. Ultime nouveauté, la création de la Banque régionale de solidarité. Sous l’égide de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest et avec le soutien de la BOAD, elle a pour objectif de satisfaire les besoins en matière d’aide à la création d’entreprise et de développement des PME.
Un espoir qui vient aussi rappeler que l’expérience des banques de développement n’a pas toujours été un échec : la contribution essentielle de la Banque nationale de développement touristique au succès du secteur en Tunisie (voir encadré ci-dessus) ou la participation active de la Banque de développement de Maurice, toujours en activité, à la croissance du pays en général et au développement des petites et moyennes entreprises en particulier en sont la preuve.
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