Passions sahariennes

En racontant le destin tragique de Lolla, fille d’affranchis éprise de liberté, Mbarek Ould Beyrouk a construit une très belle histoire tout en mettant au jour les tensions qui traversent la société mauritanienne.

Publié le 15 mai 2006 Lecture : 5 minutes.

Le journaliste Mbarek Ould Beyrouk a remplacé son boubou blanc par un costume sombre, il porte un pardessus épais et tient une sacoche à la main. Avec cette allure austère, il pourrait être cadre dans l’une des nombreuses banques du quartier parisien où nous le rencontrons. Nous sommes à la mi-avril, la fin de son séjour en France approche. Nouakchott, sa famille, le temps qui s’égrène au ralenti et les conversations à rallonge commencent à lui manquer. Depuis près de trois semaines, il sillonne l’Hexagone. Aujourd’hui, il fait une pause à Paris. Hier, il était à La Rochelle, demain, il sera à Toulouse. Sa tournée l’a conduit dans des salles municipales, quelques écoles primaires, et à l’incontournable Salon du livre, où il a porté le boubou. Les organisateurs ont tenu à cette touche de folklore dont raffolent les visiteurs.
Les pérégrinations de ce petit homme énergique à la peau brune et à la moustache finement taillée ont un seul but : présenter son premier roman, Et le ciel a oublié de pleuvoir, paru aux éditions Dapper en février. Son public est aussi varié que possible. Jeunes, vieux, lettrés, néophytes À tous, Beyrouk (nom sous lequel il signe son livre) raconte l’histoire de Lolla, son héroïne.
Lolla vit à Leguelb, quelque part dans le désert mauritanien. Elle aime ses parents, qui le lui rendent bien. Son père déborde d’affection pour elle : sa « Lollati » est « le grand pieu de la tente de sa vie ». Bienveillant, il trace du doigt « la bismillah divine » sur la tête de son enfant et lui caresse les joues. Qu’importe que les habitants de cette oasis qui exhale « le parfum nacré de la petite enfance » soient d’anciens esclaves, seuls comptent « le bruissement des tentes que dorlote le vent », « les seaux d’eau qui frappent les rebords du puits », « l’âpre odeur des chameliers » Cette vie simple guidée par le rythme de la nature suffit à la jeune fille. Mais, un jour, la société reprend ses droits et vient briser la douce harmonie du campement : Béchir, le chef d’une tribu riche et respectée, les Oulad Ayatt, demande sa main à son père. « Il s’est imaginé adoubé par les grandes familles du désert, il a cru voir les honneurs pleuvoir sur sa tête », assure sa fille. Et, bien sûr, il a accepté sans consulter l’intéressée.
Mais la promise aime Ahmed, un jeune berger. Pour elle, Béchir n’est que l’incarnation d’un orgueil guerrier archaïque, « le sabre et le fusil et la tente et la couronne des Oulad Ayatt ». Lolla, elle, donne la primauté à ses désirs : « Je me baignerai, seule et libre dans mes propres eaux, et je n’arroserai plus jamais que les oueds de mes sens, de mes goûts, de mes appétits fantasques », rêve-t-elle. Son ami Ahmed, cependant, s’incline sous « la loi de Dieu et celle des Oulad Ayatt », « les sentences de la tribu et celles de Béchir ». Il abandonne sa mie aux griffes du seigneur.
Un amour sacrifié sur l’autel des traditions Le thème est banal, mais le déroulement de l’intrigue ne l’est pas. L’héroïne ne se résigne pas. « Moi, Lolla, je refuse le destin que m’assignent les Tablettes sacrées et l’Ordre écrit dans les Livres », assène-t-elle. Son goût pour la liberté balaie toutes les valeurs sur son passage : religion, appartenance tribale, prestige social, tabous. « Je suis Lolla et je n’appartiendrai ni aux tentes blanches des seigneurs des sables ni au mobilier cossu des citadins parvenus. » Elle s’enfuit le soir de la noce, avant de se livrer à un autre prétendant, Mahmoud l’affranchi, un cur sec à qui l’esclavage a volé l’humanité.
Pour les Oulad Ayatt, l’insulte souille à jamais l’honneur de la tribu, et seule la mort peut l’effacer. Mahmoud, revenu sur les lieux du « crime », et ceux qui l’accompagnent sont massacrés sans autre forme de procès : « Leurs poignards ont achevé les mourants et ils se sont désaltérés de sang et baignés dans la mort et ils n’ont épargné nuls yeux qui demandent pitié, nulle main qui s’élève pour se rendre. » Puis c’est au tour de Lolla, la révoltée qui se croyait invincible, d’être la victime du carnage. « Ils l’ont égorgée comme une bête », rapporte dans l’épilogue Moulay le Fou, le seul survivant qui n’avait fait jusqu’alors que quelques discrètes apparitions.
Une dénonciation en bonne et due forme des pesanteurs de la société mauritanienne ? « J’ai voulu décrire un état de fait, explique Beyrouk. C’est la réalité culturelle de mon pays. » Une description, ni plus ni moins. La politique est bien présente dans la bouche de Béchir, figure de l’ordre traditionnel qui refuse l’emprise de l’État encore neuf dans ce pays né avec l’indépendance : « Nous jouons cette pièce ridicule, que d’autres ont imaginée et qui s’appelle démocratie », raille-t-il.
Beyrouk aurait aimé que son livre s’intitule Lolla. Mais l’éditeur a préféré Et le ciel a oublié de pleuvoir, arguant que « Lolla » était le titre d’un film pornographique en France et, plus accessoirement, le nom d’une marque de vêtements ! Heureuse intuition, les Mauritaniens trouvant déjà quelque « libertinage » au travail de Beyrouk. Les Français, de leur côté, apprécient le souffle frais qui traverse le roman. « Il n’est pas dans la même veine que la production française d’aujourd’hui. Moi, je ne me demande pas si je suis moderne, je ne cherche pas le succès de librairie », explique l’auteur, non sans fierté. Il y a de quoi, car ce livre est une vraie réussite. Il mérite d’autant plus d’être salué que les romanciers mauritaniens francophones – parmi lesquels se dégagent les noms de Moussa Ould Ebnou et Ghassem Ould Ahmedou – se comptent sur les doigts d’une main.
Amoureux de Victor Hugo, qu’il a découvert par la lecture des Misérables sous la contrainte d’un père instituteur, Beyrouk s’est inspiré du lyrisme du « premier en tout », exaltant volontiers les grands sentiments avec, en toile de fond, une nature – l’eau, le désert, le vent -, dont le rôle est aussi important que celui d’un personnage. « J’ai voulu faire un livre où on sent la passion, la révolte, l’injustice, et aussi l’espoir », raconte-t-il. Tous les thèmes de prédilection du roman, en somme, en un seul. Ce qui ne l’empêchera pas d’en faire un deuxième.

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