Le principe de précaution
Le fameux principe de précaution a été inventé pour prévenir les dégâts écologiques à court et à long terme. Est-il transposable dans le domaine de la santé ?
Il ne faut pas confondre avec la prévention, qui a pour bases : un risque scientifiquement connu (même s’il est faiblement probable) et des moyens efficaces (vaccination, chimioprophylaxie, isolement, etc.). À l’inverse, le principe de précaution concerne un risque éventuel, non démontré scientifiquement, souvent subjectif, parfois irrationnel. Il n’y a plus nécessité de savoir pour agir, il suffit d’avoir peur.
Dans le cadre de la santé publique, lorsqu’une menace grave pèse sur toute une population, on peut envisager d’agir avant confirmation scientifique. C’est le cas par exemple de la pollution atmosphérique, voire de thérapies géniques, etc. À condition que la « politique du parapluie » ne conduise pas à des mesures excessives comme le sacrifice de 300 000 vaches au prion de la vache folle. La pression sociale peut pousser à des excès, mais elle peut aussi conduire à négliger de véritables menaces comme l’alcoolisme.
Dans le cadre de la recherche médicale, le principe de précaution peut intervenir puisqu’on est dans le domaine de l’inconnu ou du mal connu. D’où les précautions strictes imposées à l’expérimentation chez l’homme de nouveaux médicaments. La pression sociale veille à la prudence en ce domaine. Elle intervient parfois, cependant, en sens inverse en demandant que soient rendus disponibles des médicaments insuffisamment connus mais possiblement favorables, en cas de sida ou de cancer par exemple. C’est la « médecine compassionnelle », qui contredit le principe de précaution.
Vouloir supprimer tout risque dans la recherche, c’est interdire toute innovation. Pasteur n’aurait pu vacciner un enfant contre la rage, la chirurgie cardiaque ou les greffes d’organes n’auraient pu se développer.
Peut-on appliquer le principe de précaution à la médecine de soins, c’est-à-dire à la pratique médicale quotidienne ? Rappelons que le médecin recevant un malade a une « obligation de soins », qu’il doit donner avec prudence. Mais il ne peut supprimer tous les risques, y compris imprévisibles, d’autant qu’il y a toujours risque même en prescrivant de l’aspirine. Le principe de précaution peut conduire à un immobilisme fâcheux pour le malade.
Autre difficulté : le médecin doit fonder son action sur les « données acquises de la science ». Mais la médecine la plus rigoureuse n’est pas une science exacte : la certitude est l’exception, l’incertitude est la règle. Cette incertitude peut concerner le malade oublieux, dissimulateur ou inconscient. Elle peut résulter de l’impossibilité de faire certains examens biologiques ou radiologiques (c’est souvent le cas en Afrique). S’il ouvrait tout grand le parapluie du principe de précaution, le médecin praticien soignerait rarement.
On peut retenir du principe de précaution l’importance d’une information « loyale, claire et appropriée » due au patient et/ou, s’il le souhaite, à la personne de son choix. Cette exigence nous ramène en réalité au dialogue médecin-malade, dialogue « singulier », intime et couvert par le secret médical qui conduit à la confiance du malade envers son médecin, mais aussi du médecin envers le malade. Ainsi, l’information sera faite avec discernement et prudence, tant sont difficiles à prévoir les réactions d’une femme ou d’un homme confronté à une maladie grave.
Pour conclure, le principe de précaution doit s’appliquer dans les domaines où il n’interdit pas l’innovation et permet des soins adaptés à chaque malade. Mais pourquoi avoir introduit dans la Constitution française un principe dont l’application sera le plus souvent discutable ?
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