Le PJD sans voile
Les islamistes appellent au boycottage de « Marock », le film de Laïla Marrakchi sorti en salles le 10 mai. Sans grand succès.
Le distributeur de Marock est un homme heureux. La sortie dans le royaume du film de Laïla Marrakchi, le 10 mai, rencontre un succès franc et massif. Au Megarama, sur la corniche de Casablanca, la salle, qui compte 800 places, ne désemplit pas. En quatre séances, 2 043 entrées sont recensées. La recette s’élevant à 82 433 dirhams (7 500 euros), le record détenu par Chouchou, de Gad Elmaleh (120 millions de DH en un mois), risque fort d’être battu. Pour répondre à la demande, une projection est improvisée dans une deuxième salle du complexe. Majoritairement jeune dans l’après-midi, le public est plus mûr dans la soirée, avec beaucoup de femmes voilées. Mais d’une séance à l’autre, l’enthousiasme ne faiblit pas et de longs applaudissements retentissent pendant que défile le générique de fin. On entend même des « Vive Laïla ! » et « Vive le Maroc ! ». La veille, 2M, la deuxième chaîne de télévision, avait consacré un sujet au film, à une heure de grande écoute. Pour leur part, les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD) avaient réclamé son interdiction, puis, ne l’ayant pas obtenue, son boycottage. Un reporter de 2M est devant le Megarama. « C’est un film qui parle de nous », commente un spectateur. Certaines scènes en ont choqué un autre, mais nul n’approuve le mot d’ordre islamiste.
Partout, Marock est réclamé. Dès le lendemain, le film est projeté au Colisée, à Marrakech, au Rex, à Fès, à l’Avenida, à Tétouan Le patron du Lynx, dans le quartier Mers Sultan, à Casablanca, se mord amèrement les doigts de l’avoir déprogrammé après la « fatwa » du PJD…
Sélectionné pour le Festival de Cannes (dans la section « Un Certain regard »), puis pour ceux de Casablanca et de Tanger, Marock, qui évoque les amours de deux adolescents marocains (elle musulmane, lui juif), a donc suscité l’anathème des islamistes. Interrogé par J.A. (n° 2360, 2-8 avril 2006), le Dr Saad Eddine el-Othmani, secrétaire général du PJD, avait pourtant juré qu’il n’était pas question de recourir à la censure. Sa profession de foi libérale avait provoqué des « remous » au sein de son parti. At-Tajdid, que dirige Abdelilah Benkirane, l’un des dirigeants islamistes, a ouvert les hostilités, le 3 mai. Pas moins de quatre pages sont consacrées à Marock. À la une, en manchette, affiche du film à l’appui, on proteste contre l’autorisation accordée à un film qui « méprise les Marocains et leur religion ». L’un des articles s’efforce de cerner les « arrière-pensées de la jeune réalisatrice ». Il est également question d’un « discours israélien hostile à la nation » face auquel « le silence est un crime ». Le flot d’insanités que répand cette rhétorique bête et méchante ne recule devant rien. Même le jeu de mots du film, pourtant limpide, devient « une expression de mépris » pour le royaume !
En déclenchant cette polémique, le PJD fait certainement une mauvaise affaire. Depuis quelque temps, il s’évertue à se présenter comme une formation démocratique, tolérante et, pour tout dire, normale. Non sans succès, d’ailleurs, au Maroc et au-delà. Mais il a suffi d’un film pour que son idéologie inavouable, faite d’intolérance et de bêtise, se manifeste sans retenue. Aux dernières nouvelles, il aurait pris la mesure de son erreur. Des manifestations prévues pour la sortie de Marock ont été décommandées. Le seront-elles encore dans les prochains jours ?
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