[Tribune] Au Sénégal, le tabou du troisième mandat
En Afrique de l’Ouest, la question du nombre de mandats présidentiels est le sujet du moment. Mais entre ceux qui estiment que deux suffisent et ceux qui assurent que leur Constitution leur permet de rempiler, le Sénégal de Macky Sall tente une troisième voie : celle du « ni oui ni non ».
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Ousseynou Nar Guèye
Éditorialiste sénégalais, fondateur du média numérique Tract.sn
Publié le 8 septembre 2020 Lecture : 5 minutes.
Il y a deux grandes écoles en Afrique de l’Ouest, en ce qui concerne le totem des deux mandats présidentiels, et toutes deux s’appuient sur des lectures différentes de ce que la Constitution de tel ou tel pays permet ou non. La première, celle du front qui dit « quand on refuse, on dit non », pour reprendre l’écrivain Ahmadou Kourouma, est celle des pays où les présidents de la République ont tenu mordicus à ne faire que deux mandats successifs. Le Niger et la Mauritanie sont dans ce cas.
Malgré les appels de ses partisans à se représenter pour une troisième fois consécutive, le Nigérien Mahamadou Issoufou a déclaré qu’il ne le ferait pas, faisant désigner un candidat au dauphinat par son parti en la personne de Mohamed Bazoum, ex-ministre de l’Intérieur qui s’est dégagé de son maroquin pour mieux se consacrer à la pré-campagne. En Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz a fait de même : il a tenu bon face à la tentation et poussé un successeur, l’actuel président Ghazouani. Il n’est d’ailleurs pas sûr que, si c’était à refaire, on l’y reprendrait, puisque Aziz est actuellement inquiété par la justice mauritanienne en raison d’une procédure pour présomption de crimes économiques et de haute trahison, dans laquelle son gendre est également cité.
Une « Der des Ter »
La deuxième grande école est celle qui refuse de faire de ce totem un tabou : celle des pays où les présidents soutiennent haut et fort que la Constitution, d’ailleurs souvent récemment révisée, leur permet de briguer une « Der des Ter ». Les deux cas emblématiques en Afrique de l’Ouest sont la Côte d’Ivoire et la Guinée. Dans ces deux pays, la révision constitutionnelle (respectivement en 2016 et en mars 2020) est supposée avoir « remis les compteurs à zéro ».
Le président guinéen Alpha Condé, malgré les violentes manifestations qui ont accompagné la révision de la Constitution, est plus à l’aise pour tenter de faire prévaloir cet argument. À Abidjan, où l’on compte déjà une dizaine de morts lors des violences pré-électorales depuis l’annonce de la candidature à un troisième mandat du président Alassane Ouattara, ce dernier est plus en peine de prouver qu’il est dans son bon droit, étant donné son revirement à 180 degrés entre mars et août, le tout agrémenté d’interprétations variantes de la Constitution. Après avoir dit qu’il se présenterait si les mammouths de sa génération (Bédié et Gbagbo) en faisaient autant, Ouattara avait décidé de passer le flambeau à « la jeune génération » en la personne de son Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly. Avant de se rétracter pour mieux se représenter, après le décès inopiné de ce dernier.
Le président Sall a décrété qu’il interdisait à tous ses partisans de commenter cette affaire de troisième mandat.
Quid du Sénégal ? Le pays de la Teranga semble tenter une troisième voie, accoté au « ni oui, ni non ». Une nouvelle Constitution y a bien été votée en 2016, dans laquelle il est écrit que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». En octobre 2017, avant la présidentielle de février 2019, interrogé par les journalistes, c’est à cet alinéa que Macky Sall avait recouru pour s’étonner que le débat sur l’éventualité d’un troisième mandat de sa part puisse même avoir lieu : « C’est moi qui ai fait rédiger la Constitution. C’est réglé. Je ne peux pas me représenter à un troisième mandat. Mais pour le moment, c’est le deuxième mandat qui est en ligne de mire, n’est-ce pas ? » avait-il déclaré en wolof.
La jurisprudence du « taire-le-ter »
Sauf que dès sa réélection pour un nouveau quinquennat en février 2019, Macky Sall a vu surgir un concours d’exégèse de la Constitution sur son droit (ou non) à solliciter un troisième mandat en 2024. Pour tenter d’y mettre un terme, le président a affirmé, en septembre 2019, qu’il interdisait à tous ses partisans, notamment ceux nommés par décret présidentiel, de faire tout commentaire sur le sujet.
Depuis lors, trois tenants de la majorité présidentielle ont transgressé cette règle. Et tous ont été limogés. Le dernier en date, remercié de son poste de directeur de la société de transports publics, Dakar Dem Dikk, et remplacé en Conseil des ministres le 2 septembre, est l’ex-avocat Moussa Diop, par ailleurs président d’un parti allié de la majorité présidentielle BBY et membre de la coalition historique « Macky 2012 ». À la question « un troisième mandat est-il un coup d’État constitutionnel ? » posée sur un plateau télé deux jours auparavant, Diop avait répondu avec un large sourire : « Je confirme ! »
Avant lui, c’est Sory Kaba, militant du parti présidentiel et directeur des Sénégalais de l’étranger au ministère des Affaires étrangères, qui avait été remercié, en octobre 2019. La veille, intervenant dans une émission radiophonique dominicale, il avait assuré que Macky Sall ne briguerait pas de troisième mandat. Moustapha Diakhaté, ex-ministre-conseiller du chef de l’État, avait été limogé pour la même raison, quelques jours après avoir dénié à Macky Sall le droit de se représenter.
L’explication de texte de cette jurisprudence du « taire-le-ter », Macky Sall l’a livrée le 31 décembre 2019, devant un parterre de journalistes invités au palais présidentiel : « Je ne dis pas que serai candidat [en 2024] ni que je ne serai pas candidat. Car si je le fais, mes ministres et directeurs généraux ne travailleront plus ». Plus on s’approchera des élections majeures (les législatives de juin 2022 et la présidentielle de 2024), plus il sera difficile pour le président de tenir cette ligne de crête, qu’il parvient pour l’heure à maintenir avec le sabre de son décret comme une épée de Damoclès au-dessus de ses militants et alliés.
Reste que la question semble davantage agiter le camp présidentiel que l’opposition sénégalaise. Cette dernière est en discussion sur le statut du chef de l’opposition au sein du dialogue national (instance mise en place au lendemain de la dernière présidentielle), et s’affaire à déterminer qui occupera cette fonction, entre Idrissa Seck, arrivé deuxième à la dernière présidentielle, et Abdoulaye Wade, le chef du parti d’opposition le mieux représenté à l’Assemblée nationale. Un débat éminemment politique, dans lequel l’arbitrage régalien de Macky Sall est sollicité. Il ne pourra y apporter une réponse de Normand.
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