« Ils » ne pensent qu’à ça
En Afrique comme ailleurs, la politique est un puissant aphrodisiaque. Coup de projecteur sur la face cachée de nos chefs.
Vue de la rive gauche du fleuve Limpopo, qui sert de frontière symbolique entre le pays de Mandela et le reste du continent, l’Afrique du Sud est un autre monde. L’extraordinaire procès pour viol dont vient de faire l’objet, à Johannesburg, l’un des personnages les plus puissants de la République, l’ex-vice-président Jacob Zuma, a quelque chose d’inimaginable dans les capitales d’Afrique subsaharienne, même si les frasques des chefs y font depuis toujours les délices des salons et de radio-trottoir. Différence fondamentale : nul n’en fait un drame et les médias n’en soufflent mot. Non pas que l’opinion y soit plus pudibonde qu’ailleurs, mais en ces temps de mondialisation des paramètres du désir et des délits sexuels, la quasi-totalité des pays africains ne possède encore ni « majorité morale », ni procureurs indépendants, ni chaînes de télévision suffisamment libres pour reprocher aux responsables politiques leurs dérapages et leurs vagabondages. L’étalage exhibitionniste auquel a donné lieu l’affaire Zuma est donc une singularité propre à un pays, il est vrai, très affranchi en la matière. Où, ailleurs qu’en Afrique du Sud, une campagne officielle contre le viol aurait-elle osé afficher ce slogan : « Masturbate, Don’t Rape ! » ?
En imaginant que la contagion sud-africaine ait fini par déniaiser ses voisins du Nord, force est de constater que le vrai-faux scandale Zuma aurait pu éclater n’importe où sur le continent et à la puissance dix. Pour la très grande majorité des chefs d’État et des hauts responsables, l’activité sexuelle est un attribut essentiel de l’exercice du pouvoir et un vecteur aussi indispensable que l’enrichissement personnel à l’affermissement de son autorité. Outre qu’il se doit d’être financièrement aisé et de redistribuer une partie de ses richesses, le vrai chef ne peut qu’exercer une sexualité active, sûre d’elle-même et dominatrice. En Afrique, mais pas seulement, la puissance sexuelle est dans l’imaginaire collectif perçue comme indissociable de la prospérité. Elle est aussi une façon de valoriser – ou de disqualifier, si le chef est perçu comme passif ou dominé par les femmes – le détenteur d’autorité. L’exercice de la virilité sert également, dans la sphère des pratiques magiques et rituelles, à protéger et à renforcer celui qui, tel un vampire symbolique, aspire la substance la plus intime de ses victimes. Bref, on l’aura compris : les leaders suprêmes fidèles à leur première dame d’épouse se comptent sur les doigts d’une main – et encore.
Très souvent, l’accession au pouvoir est synonyme d’une véritable explosion des relations sexuelles chez le nouveau chef. Un vertige quotidien qui voit des dizaines de jeunes femmes soucieuses d’enclencher le processus d’accumulation financière, ou tout simplement ambitieuses, défiler dans l’alcôve qui jouxte le bureau présidentiel, en général en fin d’après-midi. Au loin scintille la lagune, le fleuve ou la mer et les coups secs et répétés se succèdent ainsi pendant des mois à la manière d’un mapouka ou d’un ndombolo frénétiques. Quand le président voyage, certaines de ces Monica Lewinsky le suivent ou le précèdent à moins que ses collaborateurs, prévenants, ne lui en louent d’autres sur place. À Paris, les suites du Crillon, du Bristol ou du Plazza-Athénée sont familières de ces superbes Russes venues distraire les soirées des chefs d’État en visite. Puis, avec l’expérience et l’habitude du pouvoir, vient le temps de la régulation. La politique est affaire de passions et de pulsions, soit, mais contrôlées – et surtout utiles. Fini le désordre, de la méthode. De son regard de lynx, le chef repère, lors des meetings ou des cérémonies, les proies putatives. Il glisse un mot à l’oreille de l’un de ses « porte-sacs », officier d’ordonnance ou chef du protocole, lequel, à son tour, murmure à celle de l’élue : « Le président t’attend. » Le plus souvent, cette technique s’accompagne d’une stratégie de conservation du pouvoir parfaitement rodée. Nombre de ministres femmes ont ainsi dû, en guise d’adoubement et de rituel de passage, transiter par le lit du chef avant de se voir confirmer. Les épouses des collaborateurs constituent également des cibles privilégiées et doublement tenues : tenues par la crainte du scandale et tenues de délivrer sur l’oreiller les petits secrets de leur époux. Autrefois, à l’époque du monopartisme et de l’autocratie absolue, les chefs ne prenaient guère de gants. Telle capitale d’Afrique francophone a ri pendant des mois de la mésaventure de ce ministre qui dut attendre devant la grille de sa propre demeure, sous le regard égrillard des gardes, que le président eût achevé ses ébats et ressorte par la porte de derrière. Le tout dans l’obscurité la plus complète, car, par souci de discrétion, le chef avait pour habitude de faire couper l’électricité dans les quartiers où s’épanchait sa libido. Démocratisation oblige, la pratique du droit de cuissage s’est atténuée. Surtout, qu’ils le veuillent ou non, les chefs ont dû eux aussi tenir compte de « la » maladie – le sida -, laquelle façonne du haut en bas de l’échelle sociale une expérience globale de la sexualité que dominent désormais le spectre de la mort et l’exigence de la protection.
Le fait qu’un Jacob Zuma, potentiel successeur de Thabo Mbeki à la tête de l’État sud-africain, ait eu un rapport hors mariage non protégé avec une femme séropositive a fait scandale : quelle vertu d’exemple pouvait revendiquer un tel homme, quand on sait que son pays est l’un des plus atteints au monde par la pandémie ? Son cas est pourtant loin d’être isolé, et le sida est aujourd’hui consubstantiel à la relation entre sexe et pouvoir en Afrique. Il y a quelques années, après avoir entendu la rumeur – fausse, mais relayée par une radio étrangère – de la contamination supposée d’un chef d’État, une centaine de ses anciennes amours vénales vinrent s’agglutiner devant le portail de son palais, en exigeant d’être indemnisées ! Toutes savaient parfaitement pourquoi elles étaient là : à l’instar, hélas ! de la majorité de ses concitoyens, le chef en question n’utilisait pas de préservatifs. Vertigo de puissance, qui vous donne l’illusion de l’invulnérabilité ? Inconscience ? Irresponsabilité ? Sans doute. Sur un continent où l’on n’existe guère, socialement et même physiquement, sans oser et sans risquer, il en va de l’amour comme de l’émigration clandestine ou de la ruée vers le diamant. Ni le sida ni les Églises du Réveil acharnées à combattre « les démons de la convoitise charnelle » n’empêchent la débauche de s’étendre et la « bureaugamie » de prospérer. Certes, les dirigeants africains ne sont en rien différents des autres en ce domaine. Depuis ce chef d’État français ébaubi devant la cambrure d’une impératrice de circonstance jusqu’à ces ministres venus d’Europe et que leurs collaborateurs ont bien du mal à calmer lorsque s’agitent sous leurs yeux des grappes de jeunes filles légèrement vêtues, en passant par ce rejeton présidentiel dont se souviennent avec émotion nombre de professionnelles camerounaises aux bouches rouges et aux yeux relevés d’un mauve violent, combien de Blancs se laissent aller, déboutonnant leur col et s’abandonnant à leurs pulsions d’hommes dès que, surgis du Nord compassé, ils atterrissent dans la moiteur tropicale ?
Premières dames ou épouses légitimes, les femmes sont les grandes absentes de ce banquet aphrodisiaque qu’est le pouvoir. Pour une madame Zuma, qui a réglé le problème en divorçant de son mari volage – il est vrai que, ministre des Affaires étrangères, elle a sa propre carrière et ne dépend pas de lui -, combien de Hillary, de Danièle ou de Bernadette africaines contraintes, par stoïcisme, sens du devoir ou de leur propre intérêt, d’avaler leur chapeau ? Comblées de villas et de cadeaux, il leur arrive parfois de prendre amant, voire de disjoncter. L’une s’est rendue au quartier pour rosser sa rivale. Une autre a voulu faire raser l’hôtel où son époux avait ses habitudes. Une troisième fit diffuser dans la ville des photos de la tigresse dont s’était épris son homme, en tenue d’Ève. Toutes se battent à coups de fétiches et de poudres magiques, mais toutes ou presque se résignent. Elles savent que l’infidélité conjugale est inévitable, et elles veillent simplement à ce qu’aucune des maîtresses de leur mari ne s’impose et vienne brouter sur leur pré carré. Quant au sida, ces dames ont depuis longtemps appris à vivre avec les rumeurs récurrentes, malsaines et forcément invérifiables qui font de chaque chef d’État, ou presque, un contaminé – et un propagateur – en puissance. Sage à ses propres yeux, mais effarant au regard de tous les critères moraux connus, un président en exercice dont il est impossible de citer le nom, mais qui sans doute se reconnaîtra, a trouvé la solution : il ne consomme, pour l’essentiel, que des jeunes filles vierges. Crime, pouvoir et « safe sex »
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