Harare sous la flambée des prix

L’inflation court à un rythme de tous les diables. Et appauvrit, chaque jour un peu plus, les habitants. Que faire ?

Publié le 15 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

Quelle est la meilleure manière de dépenser 500 dollars zimbabwéens, la plus petite coupure de la monnaie locale ? C’est d’acheter du papier toilette. Pas un rouleau, une feuille ! Un rouleau coûte 145 750 dollars, ou 1,45 dollar américain au taux de change officiel. La blague est à la mode à Harare, mais la réalité n’est pas drôle. Le pain, la margarine, la viande et même la tasse de thé du matin, héritage ambigu de la colonisation britannique, sont devenus un luxe pour beaucoup de Zimbabwéens, conséquence d’une hyperinflation qui atteint 1 000 % par an, un taux digne d’un pays en guerre.
Le Zimbabwe est en proie à la récession et à l’inflation depuis dix ans, mais, ces derniers mois, l’économie a largué les amarres. Le budget national 2006 est déjà entièrement dépensé. Les services publics se désagrègent : l’eau, pompée dans un lac en contrebas du déversoir des égouts d’Harare, n’est plus épurée depuis des mois et la dysenterie et le choléra touchent la ville depuis décembre 2005. Les coupures d’électricité sont quotidiennes, des montagnes d’ordures s’empilent dans les rues des quartiers pauvres. Les frais de scolarité et autres taxes dépassent le revenu moyen. Les chômeurs – officiellement 70 % des 4,2 millions de Zimbabwéens, mais 80 % si l’on inclut les paysans – vendent des tomates ou du maïs à la sauvette, une activité réprimée depuis mai 2005. Les épargnants délaissent les banques, qui rémunèrent l’argent entre 4 % et 10 %, préférant acheter des sacs de maïs ou de sucre qui ne seront jamais dévalués. « Si vous avez de l’argent, dépensez-le aujourd’hui, conseille le responsable d’une association de consommateurs. Sinon, demain, il vaudra 5 % de moins. »
L’opposition politique a appelé à manifester. Le président Robert Mugabe a alors confié le sort de l’économie à un Conseil national de sécurité, composé de fidèles de son régime. Les postes clés, de la sécurité alimentaire à la collecte des impôts, ont été confiés à des amis sûrs, officiers de l’armée ou des services de renseignements. Parallèlement, le gouvernement a fait imprimer des centaines de milliards de dollars pour couvrir les traitements des fonctionnaires, pour éviter de transformer ces partisans naturels en opposants potentiels. Le 28 avril dernier, les salaires de 190 000 militaires et enseignants ont été triplés. Mais même avec 33 millions de dollars par mois, un revenu considéré comme « confortable », une famille de cinq personnes est en dessous du seuil de pauvreté.
L’impression de dollars sans valeur est l’une des raisons de l’hyperinflation. L’expulsion des Blancs des fermes commerciales en est une autre. Les expulsions du début des années 2000 ont fait fuir les investisseurs étrangers. Les manufactures se sont mises à tourner au ralenti, les biens de consommation courante ont manqué et les devises étrangères sont devenues indispensables pour régler les importations. Conséquence : l’envol des prix. L’inflation, à 400 % en novembre 2005, a atteint 600 % en janvier 2006 et s’est amplifiée après le paiement d’un arriéré de dette de 221 millions de dollars américains au Fonds monétaire international. Le gouvernement a dû imprimer 21 000 milliards de dollars – voire davantage – pour effectuer ce règlement. En mars, l’inflation atteignait 914 %, soit des prix multipliés par dix en douze mois.
Au milieu de la tourmente, quelques enclaves d’Harare semblent paradoxalement épargnées. Dans le quartier des diplomates et des humanitaires, payés en dollars américains, les groupes électrogènes et l’eau en bouteille sont la norme, les cafés servent des cappuccinos, et on trouve, sur les marchés, des poulets à 1 million de dollars. Les trois millions de Zimbabwéens de la diaspora, pour la plupart installés en Grande-Bretagne, en Afrique du Sud ou aux États-Unis, reversent, selon l’économiste zimbabwéen John Robertson, 50 millions de dollars américains par mois au pays, soit un sixième du produit intérieur brut.
Dans les zones rurales appauvries, où persiste l’agriculture de subsistance, des millions de gens dépendent des rations alimentaires distribuées par les Nations unies ou les ONG. La responsable d’une organisation humanitaire, qui préfère taire son nom de peur des représailles gouvernementales, raconte que les gens, dans les campagnes, n’ont même plus les moyens d’enterrer leurs morts. Les obsèques les moins chères coûtent quelque 6 millions de dollars, hors de portée pour la plupart des paysans. On voit donc, de plus en plus souvent, des familles enterrer leurs proches, de nuit, dans les champs. Elle a même vu un cercueil fabriqué « artisanalement », avec le bois de l’armoire familiale.
Le gouvernement affirme avoir un plan de relance économique, le septième en dix ans. Il devrait permettre de gagner des milliards de dollars américains, de réduire le taux d’inflation à deux chiffres à la fin de 2006 et mettre fin à la récession qui plombe les performances économiques du pays depuis 1999.
John Robertson n’est pas convaincu. Il pense plutôt que le pire est à venir. Selon lui, le Zimbabwe est en pleine régression et va bientôt ressembler aux pays les plus pauvres d’Afrique subsaharienne. Le pouvoir paraît impuissant à endiguer la chute, car il est impossible de diminuer les dépenses publiques ni d’augmenter les impôts. Cela ne laisse qu’une seule option : encore plus d’inflation.

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