Ernest Paramanga Yonli : « Ma priorité, l’emploi »

Premier ministre depuis novembre 2000, artisan de la relance de l’activité économique, il dresse le tableau des défis qui l’attendent.

Publié le 15 mai 2006 Lecture : 5 minutes.

Reconduit à la primature le 4 janvier 2006, Ernest Paramanga Yonli revient sur les changements introduits par la communalisation intégrale du territoire burkinabè lors des élections municipales du 23 avril. Il dresse également un tableau des priorités de son gouvernement ainsi que des grands chantiers qui attendent le Faso ces prochains mois. Sans omettre de répondre aux syndicats, qui critiquent régulièrement sa politique en matière d’emploi.

Jeune Afrique : Les dernières élections municipales ont été marquées par la création de 309 communes rurales. Elles s’ajoutent aux 49 municipalités urbaines déjà existantes. Quels changements va entraîner cette décentralisation dans la vie des citoyens ?
Ernest Paramanga Yonli : J’en vois trois, principalement. Il s’agit tout d’abord d’une plus grande responsabilisation de notre peuple. Aujourd’hui, les Burkinabè prennent directement en main leur propre destin, en choisissant les conseillers municipaux qui gèrent leur vie quotidienne. Le deuxième changement consiste en un renforcement de notre démocratie, qui s’étend désormais jusqu’au village le plus reculé. La décentralisation est un moyen qui permet à tous nos concitoyens de pouvoir exercer, sans exception, leur liberté fondamentale. La troisième évolution réside dans l’introduction d’un principe de subsidiarité dans l’élaboration des actions de développement. À l’avenir, ce sont les mairies qui seront chargées d’identifier les besoins des administrés en matière de développement et de faire remonter leurs demandes vers le pouvoir central.

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À vous écouter, la décentralisation s’est passée sans problème. Certains jugent pourtant que sa mise en place a été trop rapide. Ils évoquent notamment l’impréparation de ceux qui sont appelés à exercer les fonctions de conseillers municipaux…
Depuis qu’il a enclenché ce processus, il y a dix ans, le gouvernement a choisi la progressivité. En clair : nous n’avons pas voulu d’une décentralisation tous azimuts. Nous avons décidé de procéder par étapes, en commençant par ne « communaliser », en 1995, qu’un nombre restreint d’agglomérations. En l’occurrence, il s’agissait des communes urbaines. Cela nous a permis de voir venir, d’évaluer les difficultés et de mesurer les exigences de la décentralisation, avant de passer à l’étape suivante. Il est essentiel de le dire : nous n’avons rien improvisé.

En début d’année, le président de la République vous a reconduit dans vos fonctions, alors que courait le bruit de votre départ. Comment expliquez-vous votre longévité ?
Je pense que ma reconduction est liée, pour l’essentiel, aux résultats que nous avons engrangés avec le président. Cela crève les yeux : tant sur le plan économique, social que politique, nous avons progressé ces cinq dernières années. Évidemment, nous nous sommes appuyés sur les acquis réalisés précédemment. Mais c’est une chose d’en profiter, et c’en est une autre de les consolider.

Quelles sont vos priorités pour cette nouvelle mandature ?
Lors de la campagne présidentielle de novembre dernier, le programme du président Compaoré s’est décliné en six axes. Le plus important concerne la valorisation du capital humain. Au Burkina, nous avons compris que nous avions besoin d’un peuple bien éduqué et bien formé pour bénéficier d’un développement accéléré. Nous allons donc mettre l’accent sur l’éducation et la formation, technique autant que scientifique. Le secteur médical retient aussi notre attention. Un peuple qui n’est pas en bonne santé est un peuple qui se meurt. Il ne suffit pas de former les gens. Il faut aussi disposer de bras valides.

Quels sont les autres chantiers prioritaires ?
Il nous faut renforcer nos infrastructures économiques de soutien. Elles sont indispensables pour le développement du pays. N’oubliez pas que nous sommes un pays situé au cur de l’Afrique de l’Ouest. On peut y voir un handicap. Mais l’enclavement peut tout aussi bien s’avérer un véritable atout si nous parvenons à nous ouvrir sur le monde et à devenir une plate-forme sous-régionale.
Nous devons enfin continuer à créer un contexte propice à la création de nombreux emplois, car il n’y a pas de croissance sans emploi. Dans cet objectif, nous devons investir au maximum dans les secteurs économiques où nous sommes productifs, au premier rang desquels figure l’agriculture. Ces cinq prochaines années, nous devons innover dans ce domaine. Vous n’êtes pas sans savoir qu’au Sahel nous sommes dans un cycle de production court, qui s’étend sur six mois. L’un de nos projets est de passer à un cycle de production permanent étalé sur douze mois.
Vous avez affirmé au mois de mars vouloir atteindre un taux de croissance de 10 % en 2010. Comment comptez-vous y parvenir ?
Pour réaliser ce chiffre, nous devons procéder par paliers. Nous avons obtenu une croissance de 7,1 % en 2005. Si nous parvenons à 8 % en 2008, nous pourrons alors viser les 9 % en 2009, et ainsi de suite. Cela signifie que nous devons mettre l’accent sur une hausse globale de la productivité de notre économie, dans ses secteurs porteurs en particulier.

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Mais cet objectif suppose aussi une diversification de la production et des exportations agricoles…
Tout à fait. Nous ne voulons pas nous cantonner à une culture exclusive du coton. Nous souhaitons aussi développer d’autres filières, comme celle des fruits et légumes, où nous jouissons de certains avantages comparatifs. Il y a une dizaine d’années, nous étions les premiers producteurs de haricots verts du continent. Il faut reconquérir cette place. Nous avons également des mangues, pour lesquelles nous venons de construire un grand terminal fruitier à Bobo-Dioulasso.

La situation économique s’améliore, mais de nombreux problèmes demeurent. La privatisation des entreprises de service public, notamment. Sans parler du chômage…
La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a Les syndicats sont bien sûr dans leur droit lorsqu’ils manifestent. Les critiques sont d’ailleurs bienvenues, car elles nous permettent de nous améliorer. À propos des privatisations, je tiens à rappeler que, parmi tous les pays soumis à un programme d’ajustement structurel, le Burkina est l’un de ceux qui a le plus pris son temps. Après la dévaluation du franc CFA en 1994, nous avons constitué un portefeuille d’une quarantaine de sociétés à céder. Aujourd’hui, il nous en reste une dizaine. À chaque étape, nous avons pris le temps de voir ce qui n’allait pas pour ajuster le tir suivant. Ce qui nous a conduit, en juillet 2001, à adopter une deuxième loi de privatisation et à mettre en place des stratégies différentes selon la nature et le secteur d’activité de la société dont nous nous retirions. Nous sommes dans une démarche critique et responsable qui tient compte de l’environnement économique tant national qu’international. En termes d’emplois, je reconnais que les privatisations ont provoqué des licenciements. Mais je lance un défi aux syndicats : qu’ils fassent la balance des emplois créés et des emplois supprimés à cause de cette politique. Ils verront qu’elle penche sans conteste en faveur des emplois créés !

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