Un accord, pour quoi faire ?

Déjà engagé avec l’Union européenne, le royaume chérifien a signé un traité de libre-échange avec les Américains. Qui s’en félicitent.

Publié le 15 mars 2004 Lecture : 4 minutes.

Le Maroc est le premier pays africain et le deuxième pays arabe – après la Jordanie en 2001 – à conclure un accord intégral de libre-échange (Free Trade Agreement, FTA) avec la première puissance économique mondiale, les États-Unis. L’accord porte sur les échanges commerciaux, les services, les investissements, les droits de propriété intellectuelle, les garanties juridiques et l’environnement politique… Il a été signé le 2 mars à Washington par Robert B. Zoellick, représentant américain pour le commerce extérieur, et Taïeb Fassi Fahri, secrétaire d’État marocain aux Affaires étrangères et à la Coopération. Cet accord, dont seulement un résumé de sept pages a été rendu public par les… Américains, a été transmis au Congrès pour examen et approbation. Il devra être signé par le président George W. Bush courant juin. Il devrait être ratifié au mieux avant l’élection présidentielle américaine (en novembre), mais plus probablement au cours de l’année prochaine – la législature en cours étant déjà très encombrée, indique Robert B. Zoellick…
Pour faire accélérer les choses, le président George W. Bush a, dès le 8 mars, fait signifier par écrit au Congrès « son intention de signer l’accord », ouvrant ainsi la voie aux débats et consultations entre l’équipe de Zoellick, les membres du Congrès et les lobbyistes partisans et hostiles… La campagne électorale américaine a fait ressurgir des sentiments protectionnistes chez certains agriculteurs et industriels. Ils s’opposent aux accords de libre-échange, qui risquent, selon eux, d’encourager les entreprises américaines à délocaliser et à supprimer des emplois aux États-Unis. Au Maroc, où la peur est aussi grande sinon plus qu’aux États-Unis, les explications officielles insistent plus sur les effets positifs à long terme de ce second « partenariat stratégique », après celui déjà en vigueur avec l’Union européenne depuis 1996(*).
Stratégique ? Disons-le tout de suite, il n’y a pas de comparaison possible entre l’actuel traité avec l’Union européenne (63 % des échanges extérieurs du Maroc) et le futur avec les États-Unis (4 % seulement). D’ici à ce que les mentalités changent et que les flux s’inversent, beaucoup d’eau coulera dans le détroit de Gibraltar.
Chiffres mis à part, l’accord est surtout « stratégique » pour… les États-Unis. Annoncé le 23 avril 2002 à l’issue de l’entretien entre Bush et le roi Mohammed VI à la Maison Blanche, il dépasse aujourd’hui le cadre bilatéral pour s’insérer comme un premier pan dans l’édifice du « Grand Moyen-Orient » (voir pp. 22-25, l’article de François Soudan), une alliance pour le Bien et contre le Mal. « C’est le meilleur accord conclu avec un pays émergent », affirment les négociateurs américains dirigés par Catherine Novelli, l’adjointe de Zoellick, Allen Johnson pour le volet agricole et Margaret Tutwiler, sous-secrétaire d’État et ancienne ambassadrice au Maroc (2001-2003).
Comme pour atténuer la portée des concessions marocaines arrachées au cours de neuf rounds de négociations de janvier 2003 à mars 2004 (Washington, Genève et Rabat), les Américains affirment que « le FTA permettra aux deux pays de faciliter les échanges, d’encourager les investissements, d’améliorer l’environnement des affaires, de stimuler la croissance économique et de créer des emplois ». Pour Robert Zoellick, cet accord « est un exemple concret de l’engagement américain à soutenir les sociétés musulmanes tolérantes, ouvertes et prospères ».
Selon les termes mêmes de l’accord (voir encadré ci-contre), le Maroc devrait prendre ses dispositions pour permettre aux Américains de concurrencer les Européens… Certes, ces dispositions sont, comme l’a rappelé Taïeb Fassi Fahri, conformes aux engagements déjà pris par le royaume chérifien au sein de l’Organisation mondiale du commerce et des autres organisations internationales. Il n’empêche, elles ouvriront des brèches aux conquérants américains sur tous les tableaux. Rien n’a été oublié : cela va des pistaches au commerce électronique, des DVD aux céréales pour le petit déjeuner des Marocains, du poulet en boîte aux frites surgelées en passant par la viande rouge de haute qualité destinée à approvisionner les hôtels et les restaurants de luxe au Maroc… L’élimination des tarifs et des quotas se fera progressivement de 2005 à 2020. Est-ce suffisant pour tenir compte « pleinement des réalités socio-économiques du royaume », comme l’affirme le chef de file des négociateurs marocains, Taïeb Fassi Fahri ? Peut-être. Pour « les produits sensibles », des mesures de sauvegarde appropriées et exceptionnelles ont été retenues.
En échange de la suppression de la fiscalité marocaine à l’encontre des produits américains (20 % en moyenne), les États-Unis élimineront la leur (4 %) sur les articles marocains. Les textiles, qui forment l’ossature des ventes marocaines, bénéficieront d’un accès privilégié (Trade Preference Level) de façon à augmenter les volumes exportés de 50 %. Mieux, selon Catherine Novelli, « le Maroc jouira d’un accès libre au marché dynamique américain de presque 300 millions de consommateurs qui importent annuellement pour 1 500 milliards de dollars de biens et services ».
L’accord constitue « une plate-forme idéale » pour les investisseurs marocains aux États-Unis et américains au Maroc. Entre autres, il aidera le Maroc à réaliser son objectif touristique à l’horizon 2010. Sans perturber l’économie marocaine et en particulier les « marchés sensibles » de la viande, de la volaille, du blé… Dans l’immédiat, l’administration Bush a décidé d’augmenter le volume de l’aide américaine de 20 millions de dollars en 2004 à 57 millions en 2005. En mettant en valeur l’exemple de la Jordanie dont les exportations vers les États-Unis ont progressé de 31 millions de dollars en 1999 à 673 millions de dollars en 2003. Entré en vigueur en 2001, le FTA jordanien a permis de multiplier par trois le volume des échanges (import et export) entre les deux pays (voir d’autres exemples p. 42).
La nouvelle dynamique maroco-américaine dépendra pour beaucoup de la « volonté politique » des deux parties à expliquer aux populations concernées que les « opportunités » qui s’annoncent s’inscrivent vraiment dans un partenariat « Win-Win » (gagnant-gagnant), selon les termes de Robert Zoellick.

* D’autres accords de libre-échange purement commerciaux ont été conclus par le Maroc avec l’Association européenne de libre-échange (Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse) en 1997, la Jordanie et l’Égypte en 1998 ainsi qu’avec la Tunisie en 1999.

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