Tous les chemins mènent à Tunis

Les chefs d’État et leur cohorte de conseillers font facilement le voyage dans la capitale tunisienne. Apprécié pour sa neutralité, le pays joue un rôle pivot dans l’organisation de rencontres internationales.

Publié le 15 mars 2004 Lecture : 5 minutes.

Les 5 et 6 décembre dernier, la capitale tunisienne accueillait le sommet du Forum « 5+5 » regroupant les pays riverains de la Méditerranée occidentale(*). Cette réunion, la première du genre, a été l’occasion pour les dirigeants des pays de l’Europe du Sud et de l’Afrique du Nord de débattre des questions de sécurité régionale (mouvements islamistes,
réseaux terroristes, crime organisé, émigration illégale…), de dialogue politique (processus euro-méditerranéen, intégration maghrébine, élargissement de l’Otan, droits de l’homme…) et de coopération économique.
Avant le sommet, le chef de l’État tunisien avait reçu le 2 décembre, au palais de Carthage, le secrétaire d’État américain Colin Powell, qui lui a remis une invitation du président George W. Bush pour se rendre en visite officielle aux États-Unis le 18 février. Il avait ensuite offert l’hospitalité au président Jacques Chirac, en visite d’État les 3 et 4 décembre.
Ces événements, qui ont mis Tunis sous les feux de l’actualité, ont conforté la Tunisie dans son statut de pays modérateur, l’un des rares en tout cas dans la région à pouvoir réunir sur son sol et, surtout, à faire dialoguer les dirigeants du Nord et du Sud, de l’Europe et du monde arabe, du Maghreb et du Machreq. Bien inséré dans le monde arabe tout en étant proche de l’Occident, le pays de Bourguiba et de Ben Ali est très apprécié, en effet, pour sa « neutralité active » et sa « modération agissante ». Sa manière d’oeuvrer, en toute discrétion, « pour arrondir les angles des divergences, atténuer l’ampleur des crises et rapprocher les points de vue », selon les termes mêmes de son ministre des Affaires étrangères Habib Ben Yahia (Arabies n° 171, mars 2001), en fait un partenaire utile et efficace en matière de gestion des conflits et de diplomatie préventive.
Fort de ce capital de confiance, Tunis s’apprête à accueillir, les 29 et 30 mars, le sommet de la Ligue arabe. Ce sommet, qui intervient à un moment crucial de l’histoire de la région, devrait permettre aux chefs d’État arabes d’arrêter des positions communes sur les questions de l’heure, notamment l’occupation de l’Irak, la situation explosive dans les Territoires palestiniens, le projet de réforme de l’organisation panarabe et le plan américain de remodelage politique de la région, appelé Greater Middle East (« Grand Moyen-Orient »), qui vise à accélérer la transition démocratique dans les pays situés entre la Mauritanie et le Pakistan.
Les dirigeants arabes seraient bien inspirés de dépasser, à cette occasion, leurs vieilles querelles et de faire montre, si possible, d’un minimum de cohésion. Les autorités tunisiennes ont beaucoup hésité à accueillir ce sommet, de crainte de voir les dirigeants arabes – qui se connaissent trop, parce qu’ils sont aux commandes depuis bien longtemps – laver leur linge sale en public, comme ils l’avaient fait, un an auparavant, au cours du sommet de Charm el-Cheikh, en Égypte. Au cours de cette réunion, qui avait été diffusée en direct à la télévision, une violente polémique avait éclaté entre le prince héritier saoudien Abdallah et le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, sur les rapports de leurs pays respectifs avec les États-Unis.
Depuis cet épisode tragi-comique, qui s’est produit à quelques jours de l’intervention militaire américaine en Irak, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Saddam Hussein et ses sbires ont été chassés du pouvoir à Bagdad. L’Irak est occupé depuis bientôt un an par des troupes étrangères. L’armée israélienne poursuit ses bouclages des Territoires palestiniens et ses attentats ciblés contre les dirigeants de la seconde Intifada. Le président Yasser Arafat, toujours séquestré dans ses bureaux en ruines de la Mouqatâ, à Ramallah, fait face à la grogne d’un nombre croissant de ses collaborateurs. La Syrie et, à des degrés moindres, l’Arabie saoudite et l’Égypte, sont soumises à de fortes pressions de la part de l’administration américaine. La Libye, qui a pris acte de ces mutations, s’est engagée, pour sa part, sans en informer préalablement ses partenaires au sein de la Ligue, à démanteler son improbable programme d’armement de destruction massive.
Par ailleurs, les dirigeants arabes ont tous été ébranlés par la détermination de l’administration américaine actuelle à mettre en oeuvre son plan de « remodelage » du Moyen-Orient. S’ils se sont résignés à engager les réformes politiques et économiques longtemps exigées par leurs élites – mais toujours reportées aux calendes grecques -, ils n’en redoutent pas moins leurs conséquences. « Une libéralisation trop brutale revigorerait les mouvements fondamentalistes et mettrait en péril les fragiles équilibres en vigueur dans la région », disent-ils, un brin démagogues.
Pour les leaders arabes, qui seront nombreux à faire le déplacement à Tunis, le prochain sommet de la Ligue sera donc une occasion de prendre acte des changements intervenus dans le monde depuis la chute du régime irakien et essayer de reprendre l’initiative, notamment en réclamant un retour rapide à la souveraineté irakienne, en dénonçant le mur de séparation érigé par Israël en Cisjordanie, et en demandant un appui international pour la reprise des négociations israélo-palestiniennes sur la base de la « feuille de route » du Quartet (États-Unis, Union européenne, Russie et Nations unies) et du « plan de paix » du prince héritier saoudien Abdallah, adopté à l’unanimité au sommet arabe de Beyrouth, en 2002. Ces mêmes dirigeants arabes vont devoir aussi s’accorder sur un plan de réforme minimale de leur organisation, à défaut de pouvoir envisager un bouleversement total des institutions régionales inspiré du modèle de l’Union européenne (UE). Enfin, ils se feront un devoir d’élaborer une réponse commune au projet américain de démocratisation du « Grand Moyen-Orient », d’autant que ce projet, qui les vise en premier lieu, sera inscrit à l’ordre du jour de la réunion annuelle du G8 (8-10 juin, Sea Island, Floride) et du sommet de l’Otan (28-29 juin, Istanbul).
Tunis a abrité le siège de la Ligue arabe au lendemain de la signature de l’accord de paix séparé entre l’Égypte et Israël – lequel a plongé le monde arabe dans l’une des plus graves crises de son histoire (1978-1990) -, et le quartier général de l’OLP après que les Palestiniens eurent été chassés de leurs bases à Beyrouth, au Liban (1982-1994). Tunis ne ménagera donc aucun effort pour aider les dirigeants arabes et, à travers eux, tous les peuples de la région, à resserrer leurs rangs et à raffermir leur unité face aux nouveaux périls qui les guettent.

* Ce sommet a rassemblé, autour du président Zine el-Abidine Ben Ali, ses homologues français Jacques Chirac et algérien Abdelaziz Bouteflika, le roi du Maroc Mohammed VI, le guide libyen Mouammar Kadhafi, le président du Conseil italien Silvio Berlusconi, les Premiers ministres espagnol José María Aznar, maltais Edward Fenech-Adami, portugais José Manuel Durão Barroso et mauritanien Sghaïr Ould M’Barek, sans oublier le président de la Commission européenne Romano Prodi.

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