[Tribune] Coronavirus : pourquoi le Maghreb doit rompre avec le chacun pour soi

L’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont été incapables de s’unir face à la pandémie. Et c’est encore une fois la Chine qui en a profité pour avancer ses pions dans la région, et dans toute l’Afrique.

Fabrication de masques dans une usine de Salé, au Maroc, en août 2020. © Chadi/Xinhua/REA

Fabrication de masques dans une usine de Salé, au Maroc, en août 2020. © Chadi/Xinhua/REA

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  • Smaïn Laacher

    Professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg, auteur de Croire à l’incroyable. Un sociologue à la cour nationale du droit d’asile, Gallimard, 2018

Publié le 13 septembre 2020 Lecture : 4 minutes.

Les trois pays du Maghreb ont une inaptitude qui ne s’est jamais démentie depuis les luttes pour les indépendances. Ils sont incapables de la moindre solidarité régionale, même dans les pires épreuves. Le Covid-19 en est une nouvelle illustration. Même l’Europe divisée sur l’épidémie a recherché des solutions communes. Rien de tel au Maghreb. On n’a même pas fait semblant de proposer des plans de lutte entre « frères ». Chacun chez soi et chacun pour soi. Les préoccupations restent profondément nationalistes.

En Tunisie et au Maroc, les touristes restés chez eux ont « dépossédé » les habitants et l’État d’une source très importante de divises. Une situation se traduisant par le dénuement de milliers de salariés devenus soudainement des « sans emploi ».

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Quant aux Algériens, ils regardent impuissants le prix des masques osciller en fonction des stocks, les transports publics s’arrêter le week-end, les taxis clandestins faire de juteuses affaires, la situation économique s’aggraver avec la chute brutale des prix du pétrole.

Dans ce pays stratégique, le virus est quasiment le bienvenu pour les autorités : plus que l’armée et la répression, l’épidémie a fait « rentrer » les manifestants chez eux et, d’une certaine manière, a contribué à démobiliser le Hirak. Et comme toujours, à chaque fois que la situation semble échapper aux pouvoirs en place – c’est bien ce qui se passe avec le Covid-19 – les forces de sécurité sont sollicitées pour « responsabiliser » les personnes et les contraindre à un confinement très aléatoire.

Occasion manquée

Certes, dans chacun des pays du Maghreb, des initiatives ont émané de la société civile. Mais on peut faire beaucoup plus. La solidarité devrait s’élargir et s’organiser aussi au niveau des États.

Quelques exemples. On pourrait, en matière de circulation et d’échange d’informations sur le coronavirus, laisser se développer, sous la responsabilité d’associations de médecins, d’infirmiers et d’étudiants en médecine, l’utilisation sans frein de vidéos et des médias sociaux. Mettre à la disposition de tous des pages Facebook donnant accès à des coordonnées téléphoniques de médecins bénévoles pouvant donner dans un langage accessible des recommandations et des avis médicaux gratuits et ainsi faire taire les rumeurs. On pourrait aussi mettre en lien les associations d’ingénieurs des trois pays afin qu’ils travaillent ensemble à inventer des « alternatives » aux pénuries d’équipements médicaux.

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Ce n’est nullement la perspective qui se dessine et, pour tout dire, elle n’a jamais été à l’ordre du jour… Si ce n’est pour quelques militants utopistes croyant possible, enfin, une grande réconciliation entre les trois pays « frères ». La lutte contre le Covid n’a pas offert cette chance historique.

Armes de « conquête »

Aujourd’hui, à n’en point douter, les drames sanitaires planétaires sont devenus des enjeux géopolitiques et des armes de « conquête ». C’est le cas pour la Chine autoritaire, devenue depuis quelques décennies l’« amie » de l’Afrique. Son objectif est de devenir le centre du monde et de se substituer, sans bruit, aux relations traditionnelles Nord-Sud. Pendant la pandémie, elle a fait de nombreux dons de matériels aux pays africains tout en faisant la communication de ses entreprises.

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À la fin du mois d’août, le président Xi Jinping a également déclaré que la « Chine était prête à promouvoir la coopération avec le Maroc sur le développement et la production de vaccins contre le Covid-19 ». Le royaume s’intéresse lui aussi de très près à l’Afrique subsaharienne et à ses ressources depuis quelques années. Sans doute essentiellement pour des raisons de puissance géopolitique et de leadership continental.

La preuve, s’il en fallait encore une, vient des initiatives prises par Rabat depuis l’apparition du Covid-19 au Maghreb. Il n’a pas proposé ses ressources et son aide médicale à l’Algérie et à la Tunisie, pays voisins et « frères » qui en avaient bien entendu aussi un grand besoin. Cela aurait parfaitement pu se justifier dans le cadre d’une solidarité régionale bien comprise. Son aide s’est d’abord dirigée, à partir du mois de juin, en direction d’une quinzaine de pays du continent africain : le Burkina Faso, le Cameroun, les Comores, le Congo, l’Eswatini, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Malawi, la Mauritanie, le Niger, la RDC, le Sénégal, la Tanzanie, le Tchad et la Zambie.

Quelles contreparties ?

Il ne s’agissait pas seulement, comme aiment à le dire les grandes agences internationales et les diplomates dans le langage aseptisé qui est le leur, de « bonnes pratiques », ou de « bonne gouvernance » ou encore « d’échanges d’expériences ». Cette aide fut conséquente. En juin 2020, le quotidien Al Ahdath Al Maghribia rapportait que le Maroc avait fait parvenir à ces pays africains « huit millions de masques, 900 000 visières, 600 000 charlottes, 60 000 blouses, 30 000 litres de gel hydroalcoolique, ainsi que 75 000 boîtes de chloroquine et 15 000 boîtes d’Azithromycine ».

Face à cette générosité, les hommes politiques africains ont salué à satiété « l’expression d’une grande solidarité et de l’amitié entre les peuples ». Mais l’aide entre pays aux ressources inégales n’est jamais un don désintéressé…

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