PDCI : les dessous d’une résurrection

On croyait le parti de l’ancien président Konan Bédié incapable de sortir du coma profond dans lequel l’a plongé le putsch de 1999. Erreur ! L’affaire du Port autonome d’Abidjan lui redonne une nouvelle vigueur.

Publié le 15 mars 2004 Lecture : 7 minutes.

Le clash menaçait depuis longtemps. Il a éclaté le 5 mars. Ce jour-là, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) décide de bouder les travaux du Conseil des ministres. Ce n’est encore qu’une saute d’humeur, un « débrayage »… Mais quarante-huit heures plus tard, avec le soutien de la plupart des formations participant au gouvernement de réconciliation nationale dirigé par Seydou Elimane Diarra, l’ex-parti au pouvoir suspend bel et bien la participation de ses sept représentants. Le 10 mars, le PDCI et ses alliés de circonstance rappellent leurs ministres « pour consultation » et s’entendent sur le principe d’une grande manifestation, dont la date n’est pas encore arrêtée. Motif de la colère des « pédécistes » : la concession au groupe français Bolloré, pour une durée de quinze ans renouvelable pour dix ans, du terminal à conteneurs de Vridi. Le tout pour 5,5 milliards de F CFA (8,4 millions d’euros) et une promesse d’investissements de 23 milliards de F CFA.
Tout commence au début de l’année. Le Port autonome d’Abidjan (PAA), dont le patron, Marcel Gossio, est un membre « pur sucre » du Front populaire ivoirien (FPI), la formation du président Gbagbo, annonce que l’entreprise française assurera à partir du 1er mars la gestion et l’exploitation dudit terminal. Problème : l’accord a été conclu de gré à gré avec le ministère de l’Économie et des Finances que dirige Paul-Antoine Bohoun Bouabré, autre fidèle de Gbagbo. Sans appel d’offres et sans le feu vert du département de tutelle, celui des Infrastructures économiques. Patrick Achi, le ministre concerné, est membre du PDCI. « On fait beaucoup d’histoires pour pas grand-chose, commente Aubert Zohoré, le directeur de cabinet de Bohoun Bouabré. Une seule question se pose : l’opération était-elle régulière ? Pour nous, la réponse est oui. La passation de gré à gré est prévue par les textes en cas de situation exceptionnelle. »
Zohoré fait-il allusion à la crise dont le pays tente de sortir depuis le 19 septembre 2002 ? Ou à l’échec de deux appels d’offres ? Quoi qu’il en soit, son patron confirme ses déclarations : la concession a été attribuée conformément à la loi. « C’est une décision responsable, précise Bohoun Bouabré. Notre devoir est de veiller à ce que le port soit compétitif. » Achi n’en est pas convaincu, loin s’en faut. Des tractations s’engagent. Parasitées par des arrière-pensées politiques et des querelles de compétences, elles échouent. Le désaccord entre les deux ministres d’État est désormais public. De guerre lasse, Achi se résout à monter au créneau.
Dans une lettre adressée, le 20 février, à Bolloré, il informe son correspondant que les documents signés avec les autorités du port « seront considérés comme nuls et non avenus, et non-créateurs de droits entre le port et/ou l’État, d’une part, et votre groupe, d’autre part ». Plus brutalement encore, il ajoute : « Sachez qu’en tant ministre de tutelle […] j’entends prendre sur ce dossier toutes les dispositions en vue du respect scrupuleux des principes de bonne gouvernance et de l’État de droit. »
Quelques jours auparavant, Jean-Louis Billon, le président de la Chambre de commerce de Côte d’Ivoire (et patron du groupe Sifca), s’était lui aussi insurgé contre cette opération. Pour lui, aucun doute : un véritable monopole est en train de se mettre en place dans le secteur des transports ivoiriens. De fait, Bolloré est déjà présent dans les chemins de fer (avec Sitarail) et dans une société de transport et de logistique baptisée Saga. Billon en a informé, par lettre, le Medef, le syndicat patronal français, et, dès le 18 décembre, les principaux bailleurs de fonds.
La Banque mondiale réagit le 8 janvier. Dans une lettre adressée au ministre de l’Économie et des Finances, elle ne mentionne pas nommément le groupe Bolloré, mais souligne que les conditions de la concession pourraient retarder le versement des 10,3 millions de dollars promis dans le cadre du Programme d’ajustement et d’investissement du secteur des transports (CI-past). Si, bien sûr, l’affaire est confirmée. Bien que l’opération ait été évoquée au cours d’échanges informels, la Banque mondiale n’en a toujours pas été officiellement informée. Elle attend donc une réponse de Bohoun Bouabré. Quand celle-ci lui parviendra, elle risque de tendre un peu plus les relations entre la Côte d’Ivoire et ses partenaires financiers, à Washington.
La dernière mission du Fonds monétaire international (FMI), du 6 au 18 décembre 2003, ne s’est pas très bien passée. Les experts du Fonds, qui reprochent au gouvernement de ne pas respecter ses engagements, se sont entendu répondre que le ministère de l’Économie et des Finances n’avait nulle intention de se laisser dicter sa politique. Dans la foulée, ils ont reçu de Bohoun Bouabré une lettre jugée « très salée ». Début mars, le ministre s’est rendu à Washington. Pour tenter d’arrondir les angles ? Seule certitude : depuis sa nomination, en janvier 2001, il ne cesse d’appeler de ses voeux le retour des bailleurs de fonds. Un souhait que cette malheureuse histoire de terminal pourrait bien contrarier.
Car l’affaire, on l’a vu, est en train de prendre une dimension politique. Elle sert de révélateur au malaise qui affecte la plupart des formations signataires des accords de Marcoussis. Et met en évidence une certaine cacophonie entre le palais et certains ministres. Ceux-ci, c’est légitime, souhaitent disposer d’une marge de manoeuvre accrue dans le choix de leurs collaborateurs, qu’il s’agisse des membres de leur cabinet ou des dirigeants des sociétés placées sous leur tutelle. La présidence, ce n’est pas moins légitime, n’entend pas pour sa part se dépouiller de ses prérogatives et signer les yeux fermés les décrets de nomination adoptés en Conseil des ministres.
Jusqu’à aujourd’hui, seules les Forces nouvelles (ex-rébellion) s’étaient hasardées à déclencher les hostilités (pour l’attribution des portefeuilles de la Défense et de la Sécurité, la mise en place de la nouvelle direction de la Radiotélévision ou le lancement du programme Désarmement, démobilisation, réinsertion), au risque de se retrouver isolées. Le PDCI leur emboîte aujourd’hui le pas, même s’il n’est pas le seul à se plaindre, à tort ou à raison, de pratiques présidentielles souvent perçues comme des entorses au document de Marcoussis. Plus accommodant que d’autres depuis le début de la transition, l’ex-parti unique s’est résolu à peser de tout le poids politique dont il se prévaut. Et à rendre coup pour coup. Manifestement, il souhaite casser son image de formation assoupie, assommée par le traumatisme du putsch de décembre 1999, incapable de répliquer aux « actes répétés d’agression et aux humiliations » dont elle est l’objet. Alors qu’elle dispose du groupe parlementaire le plus nombreux.
Quand le président dudit groupe, le général Gaston Ouassénan Koné, a été pressenti pour le ministère de la Défense par la majorité des partis signataires des accords de Marcoussis et qu’il a été recalé par Gbagbo, ses camarades ont avalé la couleuvre sans trop broncher. Ils n’ont pas davantage réagi, à la fin de l’année dernière, quand l’un des leurs, Prince Kossonou, a été arrêté pour atteinte à la sûreté de l’État, incarcéré, puis libéré après plusieurs semaines de tractations. Ni quand le président du parti, l’ancien chef de l’État Henri Konan Bédié, a vu son nom mêlé à une sombre affaire de trafic de riz.
Le refus d’entériner l’attribution du terminal à conteneurs de Vridi a donc un double objectif : battre le rappel des troupes et gommer l’image par trop timorée dont Bédié est affublé. C’est ce qui explique que le parti se soit empressé de voler au secours d’un « camarade-ministre » – et porte-parole du gouvernement – qu’hier encore il soupçonnait de collusion avec Gbagbo. C’est Bédié en personne qui, depuis sa retraite de Daoukro, dans le centre du pays, orchestre l’opération. Son autorité sur le PDCI ayant été quelque peu mise à mal – notamment par Laurent Dona Fologo et Lamine Fadika -, il lui faut à tout prix reprendre les choses en main avant d’engager l’offensive (politique) contre le chef de l’État.
Lancer la campagne électorale à quelque vingt mois de la présidentielle d’octobre 2005 serait sans doute prématuré, mais pas la mise en ordre de bataille du vieux parti houphouétiste. Car Bédié le sait : le chef de l’État dispose de soutiens au sein même de l’appareil du PDCI. Et il n’hésite pas à chasser en terre baoulée, son fief, où il dispose de précieux relais, comme Michel Nguessan Amani, le ministre de l’Éducation nationale, un Baoulé « frontiste » de longue date… Gbagbo s’efforce par exemple d’achever le transfert de la capitale d’Abidjan à Yamoussoukro – la ville d’Houphouët, le plus illustre des Baoulés -, où il se rend aussi souvent que possible. Et il s’abstient de lancer de grands travaux à Mama, son village natal, dans l’arrière-pays de Gagnoa (Centre-Ouest). Bédié n’avait naguère pas eu autant de scrupules à Daoukro. Décidément, l’affaire du Port autonome pourrait bien être le prélude à la campagne électorale qui se profile à l’horizon.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires