Pascal Lamy

Le commissaire européen au commerce se veut optimiste quant à la relance des négociations commerciales internationales et la signature des Accords de partenariat économique (APE).

Publié le 15 mars 2004 Lecture : 7 minutes.

A la veille de ses 57 ans il fêtera son anniversaire le 8 avril , Pascal Lamy, commissaire européen au commerce international, est souvent en première ligne dans le cadre des négociations transatlantiques ou avec les pays membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Ses collègues et la presse l’ont affublé de divers surnoms tout au long de sa carrière, qui l’a conduit du Crédit Lyonnais à la Commission de Bruxelles : « l’Exocet », « Monsieur Commerce », « l’homme aux mollets d’acier », « le parachutiste ». Des qualificatifs qui témoignent de sa ténacité, de son sens du devoir, tout en faisant référence à son crâne luisant et à son physique d’ascète.
Ce qui ne l’empêche pas d’être sous le feu de la critique, particulièrement de la société civile et des responsables des pays en développement. Il faut dire que l’Europe a accordé environ 40 milliards d’euros de subventions à ses producteurs en 2003. Au grand dam des exploitants agricoles du Sud, cette aide faussant singulièrement les règles du marché. Après l’échec de la conférence de Cancùn, en septembre dernier, l’Europe et les États-Unis aimeraient boucler le cycle de Doha, nom du round de négociations commerciales, avant la fin de l’année. Il leur faudra, pour ce faire, convaincre les pays du G90(1) de signer lesdits accords, qui se traduiront notamment par une consolidation des tarifs douaniers au niveau mondial. Alors, l’émissaire européen, adepte de la course à pied, a rechaussé ses baskets, en février, pour une tournée africaine qui l’a mené à Maurice, en Éthiopie et au Kenya. Objectif : relancer les discussions multilatérales et mettre en oeuvre les accords commerciaux entre les pays africains et l’Union européenne (UE). Se voulant rassurant, le commissaire a toutefois essuyé un certain nombre de critiques de la part des Africains. Mais l’homme a en a vu d’autres. Et n’est pas près de baisser les bras.

Jeune Afrique/L’intelligent : L’Europe et les Etats-Unis ont relancé les négociations sur le volet agricole avec les pays africains. Quand espérez-vous parvenir à un accord et sur quelles bases?
Pascal Lamy : Les négociations agricoles internationales sont très complexes. Vous avez plusieurs intérêts en présence. L’Europe, les Etats-Unis et le Japon, qui subventionnent largement leur agriculture, les pays du G20 [NDLR : des pays qui ont pour principe le libre-échange agricole, particulièrement l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, la Chine, l’Inde, etc.] et enfin ceux du G90, qui comptent dans leurs rangs les pays en développement. Nous n’avons pu nous mettre d’accord à Cancun en septembre dernier, mais nous espérons le faire d’ici à la fin de l’année.
J.A.I. : Les pays pauvres dénoncent le montant excessif des subventions accordées par les nations développées, qui entraînent une baisse des revenus des agriculteurs non soutenus. L’Europe et les Etats-Unis sont-ils prêts à faire plus en matière de démantèlement des aides?
P.L. : Dans le cadre de la réforme de la Politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne, nous découplons les aides de la production, c’est-à-dire que les agriculteurs ne seront plus rétribués en fonction du volume produit, mais recevront une prime fixe par exploitation. Cela réduira les distorsions sur le marché international.
J.A.I. : Pourquoi les agriculteurs européens arrêteraient-ils de produire alors qu’ils recevront une aide annuelle garantie ?
P.L. : Cet appui favorisera le maintien des petits exploitants, mais pénalisera les grands producteurs qui misaient sur la quantité pour percevoir les aides. Nous cherchons à faire subsister les 15 millions d’agriculteurs européens tout en réformant notre politique pour ne plus peser sur les cours mondiaux des produits agricoles.
J.A.I. : Mais il reste un certain nombre d’aides à l’exportation pour le sucre, les viandes et la poudre de lait…
P.L. : Nous sommes prêts à accepter des modifications complémentaires pour ne plus accorder aucun soutien aux exportations de produits agricoles européens qui sont d’intérêt pour les pays en développement. À condition que nos concurrents – États-Unis, Australie, Canada – en fassent de même.
J.A.I. : L’UE et les pays ACP ont entamé des négociations pour la mise en place de partenariat économique (APE) qui prévoient le libre-échange des biens et des marchandises. Quel est l’intérêt pour les 49 PMA (Pays les moins avancés) – sur 79 pays ACP – de signer de telles ententes alors qu’ils ont déjà un accès libre au marché européen dans le cadre de l’initiative « Tout sauf les armes (TSA)(2) » ?
P.L. : Les PMA, et plus généralement les pays ACP, ont un accès très préférentiel au marché européen dans le cadre de TSA et plus globalement dans celui des accords de Cotonou. Or ce régime particulier est dérogatoire aux règles du commerce international mises en place par l’OMC. L’Europe paie de plus en plus cher les préférences accordées à ses partenaires des ACP. Nous voulons donc mettre en place à moyen terme un dispositif conforme aux règles internationales, c’est-à-dire des Accords de partenariat économique. Ces accords doivent être signés entre ensembles régionaux. C’est pour cela que nous aidons les pays ACP à se constituer en zones économiques régionales. Outre les échanges avec l’Europe, la constitution de ces ensembles devrait permettre de développer les flux de marchandises entre pays membres d’une même sous-région.
J.A.I. : Plusieurs Etats africains ne souhaitent pas signer ces accords avant d’avoir réalisé des études d’impact sur leurs économies et dénoncent le calendrier qui prévoit la mise en place de ces APE dès 2008…
P.L. : L’UE a mis à la disposition des États ACP deux enveloppes de 10 millions et 20 millions d’euros pour financer ces études. Par ailleurs, le démantèlement des tarifs douaniers sera très progressif, et nous sommes prêts à accorder, selon les produits, des délais supplémentaires aux États pour la protection de secteurs vitaux pour leurs économies.
J.A.I. : La suppression des droits de douane sur les produits européens importés se traduira par une perte de recettes importantes dans le budget national. Comment finance-t-on alors l’éducation, la santé, les infrastructures ?
P.L. : Les pays ACP doivent moderniser la structure de leurs recettes publiques. Nous sommes bien conscients que les APE se traduiront par une baisse de leurs recettes budgétaires. Mais des solutions existent. Les pertes en droits de douane peuvent très bien être compensées par une hausse de la TVA des produits. Au final, c’est la même chose, c’est le consommateur qui paie. La Commission est également prête, dans le cadre des accords de Cotonou, à financer une aide budgétaire ponctuelle aux États pour leur permettre d’ajuster leurs économies. Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale pourraient également apporter leurs contributions.
J.A.I. : A l’occasion de votre tournée africaine, vous avez présenté une proposition de plan d’action pour les produits de base et une initiative coton. Et pourtant, l’Europe fausse les règles de l’offre et de la demande. Les producteurs grecs et espagnols reçoivent l’appui le plus important du monde par kilo produit…
P.L. : L’Europe est importatrice nette de coton africain, contrairement aux États-Unis, qui exportent une grande partie de leur production et qui pèsent bien plus sur le cours mondial de la fibre. Dans le cadre du découplage des aides proposées dans notre initiative, la production européenne, particulièrement en Grèce, devrait baisser dans les années à venir. Ce qui permettra au coton africain de prendre des parts de marché au sein de la Communauté. Nous venons également de lancer, dans le cadre de notre plan d’action pour les produits de base, un guichet d’appui pour les exportateurs des pays ACP. Cette structure a pour vocation de faciliter le travail des opérateurs en leur donnant un certain nombre d’informations sur le régime fiscal européen, les droits de douane, les normes sanitaires et phytosanitaires, les certifications, etc.
J.A.I. : Les bananes et le sucre africains entrent sur le marché européen avec des quotas et des tarifs préférentiels. En 2006, le marché de la banane sera libéralisé et celui du sucre risque de l’être à terme puisque le Brésil a attaqué l’UE devant l’OMC pour concurrence déloyale. Pourrez-vous continuer à soutenir les producteurs ACP sur ces cultures ?
P.L. : Un peu plus de 1,5 million de tonnes de sucre en provenance d’Afrique et des Caraïbes sont annuellement commercialisées en Europe à 600 euros la tonne, soit au même prix que pour les agriculteurs européens, alors que le cours mondial de ce produit est d’environ 200 euros.
Certains de nos partenaires africains préféreraient le maintien d’un système de quota limité avec un prix de soutien. Nous serons certainement obligés de réviser ce régime. Quant à la banane, l’UE a engagé une réforme de son dispositif d’importation qui se traduira par la fin des quotas d’importation de ce fruit en 2006. Nous conserverons néanmoins un droit d’entrée préférentiel aux produits ACP par rapport aux bananes en provenance d’Amérique latine.

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1. Le G90 est une coalition qui rassemble les pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique),
l’Union africaine (UA) et les Pays les moins avancés (PMA), certains États appartenant à plusieurs de ces groupes.
2. L’Union européenne a adopté, en février 2001, l’initiative « Tout sauf les armes », qui
étend le libre-accès au marché communautaire, en franchise de droits et de quotas, à tous les produits en provenance des PMA.

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