L’Europe recrute

Le profil démographique de l’Union ne sera pas modifié par les dix nouveaux États membres, peu peuplés et à faible accroissement naturel.

Publié le 15 mars 2004 Lecture : 4 minutes.

Puissance économique, commerciale et militaire, l’Union européenne (UE) est également une puissance démographique. En s’élargissant à dix nouveaux membres en mai 2004, elle rassemblera alors 455 millions d’habitants. Elle conservera son rang de numéro trois mondial en termes démographiques, très loin derrière la Chine et l’Inde (respectivement 1,3 milliard et 1,1 milliard d’habitants), mais très loin devant les États-Unis (295 millions), l’Indonésie (206 millions) ou la Russie (142 millions). C’est un des constats dressés en février 2004 par le bulletin mensuel de l’Institut national d’études démographiques (Ined) Population & Sociétés.
L’élargissement se traduit par un apport de population de 74 millions d’habitants, soit une hausse de 20 % environ. Ce changement est donc moins significatif que celui de 1973, lorsque l’adhésion du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark avait entraîné une augmentation de 33 % de l’ensemble européen. Entre 1957 et 2004, la population de la Communauté, devenue l’Union européenne, est passée de 167 millions à 455 millions, soit presque un triplement.
S’il ne change pas radicalement la taille démographique de l’UE, l’élargissement en modifie la structure, car « il renforce le caractère morcelé de l’Europe », précise Gilles Pison, rédacteur en chef de Population & Sociétés. Pologne exclue (38 millions d’habitants), ce sont surtout des « poids plume démographiques » qui intègrent la communauté d’États. Dans l’Europe des Quinze, il n’y avait qu’un seul pays véritablement « petit », le Luxembourg. Dans celle des Vingt-Cinq, six pays compteront moins de 2,5 millions d’habitants et huit membres rassembleront moins de 1 % de la population totale de l’UE. Conséquence, la part relative des « poids lourds » n’a cessé de reculer. En 1957, date de la fondation de la Communauté européenne, la République fédérale allemande, la France et l’Italie regroupaient près de 90 % de la population communautaire, contre seulement 44 % aujourd’hui. À elle seule, la France représentait un quart de la population des Six en 1957. Aujourd’hui, l’Hexagone ne fournit plus que 13 % de la population des Vingt-Cinq. Ce morcellement entraînera sans doute des difficultés nouvelles en termes de prises de décisions communautaires, notamment des alignements de groupes de pays sur certains enjeux.
Autre fait marquant de l’élargissement à Vingt-Cinq, « il ne remet pas fondamentalement en question les caractéristiques de la démographie dans l’Union européenne », indique Gilles Pison. Elle témoigne d’une faible croissance interne : ces dernières années, elle ne dépassait pas 1,5 million d’habitants par an. Au début des années 1960, la population de la seule Europe des Six progressait annuellement de 2 millions d’habitants. L’évolution démographique repose sur l’accroissement naturel (la différence entre les naissances et les décès) et le solde migratoire (la différence entre les entrées et les sorties du territoire communautaire). Aujourd’hui, la migration constitue le principal facteur de croissance démographique de l’Union. Depuis la fin des années 1980, l’apport migratoire a dépassé 11 millions d’individus, soit le double de l’accroissement naturel. C’est d’ailleurs un des faits notables de l’évolution interne de l’Europe : les quinze États sont désormais tous des terres d’immigration, alors que, il y a peu, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Grèce et l’Irlande étaient encore des pays d’émigration. A contrario, l’accroissement naturel des Quinze est très faible en raison du cumul de trois facteurs : le vieillissement de la population (76 ans d’espérance de vie pour les hommes, 82 ans pour les femmes), la faible fécondité (1,5 enfant par femme en moyenne), la proportion élevée de personnes âgées (16 % de plus de 65 ans).
L’élargissement aura deux conséquences sur ces données démographiques. D’une part, il ralentira encore le rythme d’accroissement naturel. En effet, les nouveaux membres de l’UE connaissent un excédent des décès sur les naissances, sauf en Slovaquie. En outre, le taux de fécondité, avec une moyenne de 1,2, y est encore plus bas que dans l’UE actuelle. Le taux de croissance passera ainsi de 3,7 pour mille à quinze à 3 pour mille à vingt-cinq. D’autre part, l’élargissement se traduira par un rajeunissement global. La pyramide des âges des dix nouveaux membres est différente de celle des Quinze : la part des plus de 65 ans s’y établit, en moyenne, à 13,3 %, et l’espérance de vie y est un peu plus basse : moins de 70 ans pour les hommes et 78 ans pour les femmes.
Pour les nouveaux membres, l’adhésion à l’UE pourrait entraîner une réduction de la mortalité, aujourd’hui supérieure à celle des Quinze, grâce à un effet de rattrapage du niveau de vie, sur le modèle de celui de l’Ouest. D’où cette interrogation de l’Ined : « La fécondité connaîtra-t-elle un regain, si les conditions économiques et sociales s’améliorent et que l’avenir devient moins incertain ? » Si cet organisme ne répond pas de manière définitive à cette question, il semble sceptique : en adhérant à l’UE, les pays méridionaux n’avaient, eux, enregistré aucune reprise de leur fécondité.
L’évolution des soldes migratoires constitue par ailleurs la grande inconnue de l’avenir démographique de l’Union élargie. Se produira-t-il un mouvement massif de migration vers l’Ouest des habitants des dix pays nouvellement venus ? Difficile à dire, répond Gilles Pison : « Les nouveaux pays membres de l’Union eux-mêmes attireront peut-être des migrants, et ce genre de phénomène peut se développer assez vite. » Mais tant que les États baltes, la Pologne et la Slovaquie n’auront pas intégré l’espace Schengen, les migrants entrant chez eux n’auront pas porte ouverte vers les pays d’Europe de l’Ouest.

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