La montée des périls

Il y a tout juste un an, le renversement d’Ange-Félix Patassé avait suscité beaucoup d’espoirs. Mais l’état de grâce dont a bénéficié le nouveau régime n’a pas résisté à la dégradation de la situation financière.

Publié le 15 mars 2004 Lecture : 4 minutes.

Un an après la prise du pouvoir par le général François Bozizé, le 15 mars 2003, la Centrafrique est encore loin d’être tirée d’affaire. La période de transition en cours devrait se prolonger pendant près d’un an, délai nécessaire au retour à la normalité constitutionnelle.
La « feuille de route » est connue depuis la publication, le 21 janvier, du calendrier électoral. Première étape : un référendum constitutionnel se tiendra au plus tôt au mois de novembre prochain. C’est un passage obligé avant l’organisation d’élections générales : municipales en décembre, législatives et présidentielle en janvier 2005. D’ici là, le nouveau Texte fondamental doit être finalisé, les lois électorales adoptées et les électeurs recensés. Enfin, un organe de contrôle des élections doit être créé d’ici au mois d’octobre.
Manque le nerf de la guerre. Le pays a si cruellement besoin d’argent que le gouvernement, qui accuse déjà plusieurs mois de retard dans le paiement des traitements de la fonction publique, a dû se résoudre à baisser de 30 % les plus hauts salaires. Cette mesure concerne les ministres, les conseillers à la présidence, à la vice-présidence et à la primature, ainsi que tous les chargés de mission. Elle a été adoptée après le départ de Bangui, le 1er février, d’une mission conjointe du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Les experts de Bretton Woods ont par ailleurs proposé une série d’actions prioritaires qu’il conviendra de mettre en oeuvre avant la fin du mois d’avril : amélioration du recouvrement fiscal, réduction du train de vie de l’État et gel des recrutements dans l’administration. Une nouvelle mission est prévue d’ici au mois de mai, qui pourrait déboucher sur la conclusion d’un « programme postconflit ».
Reste que la potion paraît bien amère aux fonctionnaires centrafricains, dont certains cumulent jusqu’à trente-six mois d’arriérés de salaire. Après son arrivée aux affaires, Bozizé avait entrepris de payer les fonctionnaires à terme échu, sans qu’il soit question de résorber le retard, mais très vite, à partir du mois d’août, la situation s’est à nouveau dégradée. Un certain nombre d’agents de l’État, ceux qui gagnent moins de 100 000 F CFA par mois (152 euros), ont touché le 1er mars leur traitement du mois de novembre 2003. Les autres seront payés ultérieurement. Bref, entamée dans l’euphorie, la transition se poursuit dans une atmosphère nettement plus lourde. Du coup, le bel unanimisme qui avait suivi la chute d’Ange-Félix Patassé est aujourd’hui révolu.
Parvenu au pouvoir avec le soutien des troupes tchadiennes, le général Bozizé a bénéficié de six mois d’état de grâce, au cours desquels il a réussi à associer à sa victoire la quasi-totalité des forces politiques. En nommant l’opposant historique Abel Goumba à la tête du gouvernement, il a, non sans habileté, mis à profit la réputation d’intégrité de ce dernier pour restaurer l’image de son pays. Entre septembre et octobre 2003, le Dialogue national a permis à 350 représentants de la nation de débattre en toute franchise des maux qui minent le pays depuis les années 1960. L’ancien président André Kolingba a même profité de l’occasion pour quitter son exil ougandais et se réinstaller définitivement à Bangui.
Sur le plan diplomatique, le bilan du nouveau régime n’est nullement négligeable. Alors que Patassé, soutenu par la Libye et les rebelles du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), était à couteaux tirés avec le Tchad et la RD Congo, Bozizé est parvenu à rétablir avec ces pays des relations plus que cordiales. De même, aidé par la personnalité de Goumba, il a su se faire accepter par ses pairs de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), obtenant dès juin 2003, lors du sommet de Libreville, la reconnaissance officielle de son régime et une aide particulièrement bienvenue de 5 milliards de F CFA (7,6 millions d’euros).
Reste que, condamné par l’Union européenne et l’Union africaine, le régime putschiste doit garantir le retour à la légalité constitutionnelle avant que le concours des bailleurs de fonds internationaux puisse être envisagé. Seule la Chine populaire a accepté de débloquer quelque 6 millions de dollars pour aider l’administration à boucler ses fins de mois.
La pénurie de ressources est telle que, pour mieux faire mesurer à ses administrés la gravité de la situation, le gouvernement a organisé le 4 mars un Conseil des ministres extraordinaire élargi aux représentants des syndicats et du patronat et retransmis en direct à la radio nationale. « Le premier point qui nous intéresse est le redressement économique et financier du pays. Nous devons voir la réalité en face : c’est une question de survie », a lancé Bozizé en ouvrant la séance.
Hélas ! si le chef de l’État se montre volontiers franc et direct, l’action de son gouvernement manque parfois de lisibilité. Le Premier ministre Célestin Gaombalet, qui a succédé à Goumba le 12 décembre, se montre très discret. Et ses collaborateurs commettent parfois des maladresses. Dénoncer la corruption, la paresse et le nombre pléthorique des fonctionnaires comme les principales causes de la dégradation de la situation économique et financière, comme l’a fait Jean-Pierre Lebouder, le ministre de l’Économie et des Finances, n’était pas forcément très judicieux. En tout cas, les intéressés ont moyennement apprécié. Et le nombre des mécontents ne cesse de grossir. Après la montée au créneau des syndicats, la Concertation des partis politiques d’opposition (CPPO), qui regroupe une dizaine de formations, s’est insurgée contre les vexations infligées aux agents de l’État et menace de boycotter les cérémonies marquant le premier anniversaire du changement de régime. Enfin, les enseignants et les personnels de santé ont décidé de se mettre en grève pour réclamer le versement de leurs arriérés de salaire. Au risque de gâcher les festivités du 15 mars.

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