Du bon usage de la réforme agraire
À l’approche de l’élection présidentielle, le chef de l’État Sam Nujoma accélère la redistribution des terres aux paysans noirs.
Est-ce en raison de la proximité des élections présidentielle et législatives, à la fin de l’année ? Ou parce que le gouvernement namibien a été pris de remords de n’avoir pas fait grand-chose pour les 240 000 paysans sans terre ? En tout cas, il s’est soudainement décidé à accélérer le rythme de la réforme agraire. Et l’injonction faite aux propriétaires blancs, il y a deux ans, de vendre leurs exploitations sous peine de confiscation est en passe d’être mise à exécution. Le 5 mars, Helmut Angula, le ministre de l’Agriculture, a annoncé la prochaine expropriation de neuf fermiers blancs. Une mesure attendue avec une impatience mal contenue par les syndicats d’ouvriers agricoles (noirs, bien sûr), qui menaçaient d’occuper les terres qu’ils réclament depuis l’indépendance du pays, en 1990.
De fait, depuis la mise en oeuvre de la réforme, en 1991, seules 130 exploitations ont été vendues, et 830 000 ha de terres arables et de pâturages redistribués à quelque trente mille paysans. Une goutte d’eau dans l’océan… Les Blancs (5 % de la population) possèdent encore 3 800 fermes commerciales représentant 9 millions d’ha.
La méthode mise en oeuvre par le président Sam Nujoma et son parti, la South West African People’s Organization (Swapo), se fondait sur le principe vendeur consentant-acheteur consentant. En d’autres termes, les Blancs étaient incités à céder leurs terres en étant assurés que l’État les leur rachèterait au prix du marché. Cela n’a pas donné les résultats escomptés. Parce que « les prix ont été artificiellement gonflés par les Blancs » et que l’État n’a pas pu suivre, accuse Theo Ben Gurirab, le Premier ministre. Il fallait donc passer à la vitesse supérieure. Depuis 1995, 20 millions de dollars namibiens (2,47 millions d’euros) étaient alloués annuellement à l’achat et à la redistribution de terres. Gurirab vient d’annoncer que le gouvernement y consacrera désormais 50 millions de dollars. Et que les fermiers récalcitrants seraient expropriés, en commençant par ceux qui résident à l’étranger ou possèdent plusieurs exploitations.
Curieusement, il aura fallu plus de dix ans à Nujoma pour reconnaître l’échec de sa politique et amorcer une évolution comparable à celle du Zimbabwéen Robert Mugabe, son ancien compagnon de lutte. En 2000, sous la pression d’une partie de la population, celui-ci s’était résolu à exproprier les fermiers blancs : c’était le plus sûr moyen de conserver son fauteuil présidentiel. Mais Nujoma a plusieurs fois annoncé qu’il ne briguerait pas un quatrième mandat. L’accélération de la réforme agraire signifie-t-elle qu’il a changé d’avis ? Réponse lors du prochain congrès de la Swapo, qui, au mois de mai, désignera le candidat du parti à la présidentielle. Reste que, contrairement à la Zanu-PF de Mugabe, la Swapo est assurée de l’emporter, même en l’absence de son leader historique.
Quoi qu’il en soit, les dirigeants namibiens, par crainte de déclencher une crise comparable à celle qui secoue le Zimbabwe, s’efforcent de prévenir d’éventuels débordements. Toute occupation illégale de terres par des paysans noirs sera, par exemple, sévèrement réprimée. Et le transfert des titres de propriété continuera d’être mené en concertation avec les Blancs, ces derniers pouvant recourir aux tribunaux en cas d’irrégularités constatées.
En Afrique australe, où la colonisation et l’apartheid ont laissé des traces profondes dans la répartition des richesses entre Blancs et Noirs, l’enjeu des réformes agraires est considérable. Mais aucun pays ne procède de la même façon. Les Zimbabwéens ont choisi la manière forte, à l’inverse des Mozambicains, qui encouragent au contraire les Zimbabwéens blancs expropriés à s’installer chez eux et à participer au développement du pays. En Afrique du Sud, un certain immobilisme prévaut. Trente pour cent des terres appartenant à des Blancs doivent être transférées à des paysans noirs d’ici à 2014, mais, pour l’instant, seules 3 % des exploitations ont effectivement changé de mains. On l’aura compris : la solution-miracle n’existe pas.
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