Dans la cour des grands

Portés par la réussite de la CAN 2004, les pouvoirs publics aimeraient bien rafler une nouvelle fois la mise en se voyant attribuer l’organisation du Mondial de football qui se tiendra en Afrique en 2010.

Publié le 15 mars 2004 Lecture : 5 minutes.

Des jeux Méditerranéens de 2001 au Mondial de handball 2005 en passant par la Coupe d’Afrique des nations en 2004, la Tunisie s’est fait une spécialité d’accueillir les grandes manifestations sportives internationales. Elle veut maintenant jouer « dans la
cour des grands » et ambitionne d’organiser, seule ou conjointement avec la Libye, la Coupe du monde de football en 2010, qui se déroulera pour la première fois sur le sol africain.
Le sport est une fête, mais c’est aussi une affaire d’État. Car les sommes mobilisées sont considérables. Pour la CAN 2004, l’investissement – 20,5 millions d’euros pour la remise à niveau des stades de Sfax, Monastir et Bizerte, plus 6,55 millions d’euros pour les dépenses d’organisation proprement dites – a été relativement modeste. En revanche, les derniers jeux Méditerranéens ont nécessité quatre années de préparation et un investissement de près de 230 millions d’euros, dont 130 pour la seule cité sportive du 7-Novembre de Radès, dans la banlieue sud de Tunis.
À l’époque, les nombreux sceptiques s’étaient demandé si le jeu en valait la chandelle. Les « jeux Med » ne sont après tout qu’une manifestation d’importance secondaire, et ses retombées médiatiques sont loin d’égaler celles des jeux Olympiques ou d’un Mondial d’athlétisme. Pourtant, la quinzaine méditerranéenne a été l’occasion d’améliorer les infrastructures sportives et urbaines de Tunis. Construction de stades, de piscines, de terrains de tennis, de salles couvertes, création d’un laboratoire antidopage accrédité par le Comité international olympique (CIO), embellissement des routes, ravalement des façades de la ville, lifting de l’artère principale de la capitale, l’avenue Bourguiba : les réalisations ont été impressionnantes. Et ces installations nouvelles ont été rapidement amorties, avec les championnats d’Afrique juniors de tennis en 2002 et, surtout, avec la CAN 2004. Elles ont aussi beaucoup pesé dans la balance au moment où la Tunisie a été préférée à l’Allemagne pour le Mondial de handball 2005.
Si sa candidature pour la Coupe du monde de football est retenue, le pays ne pourra pas se contenter de l’existant, et devra édifier de nouvelles enceintes, à Sfax et à Sousse notamment. Mais, avec l’exemple de la cité olympique de Radès, les Tunisiens ont montré qu’ils savaient construire vite et bien. Tout espoir n’est donc pas perdu pour 2010, même si, question lobbying et communication, l’Afrique du Sud et le Maroc ont pris plusieurs longueurs d’avance…
L’accueil, pour le prestige, de grands événements sportif est un moyen de promouvoir l’image de marque de la Tunisie et – accessoirement ? – de mettre en évidence les réalisations de son régime. Depuis une quinzaine années, le pays connaît une croissance économique spectaculaire, et s’affirme comme une nation émergente. L’hypermédiatisation d’une CAN, avec la présence de milliers d’invités étrangers et de journalistes, offre une visibilité maximale au pays et à son « modèle de développement ». Les centaines de millions de téléspectateurs qui ont assisté aux retransmissions des trente-deux matchs de la CAN savent maintenant que la Tunisie dispose des équipements sportifs et des infrastructures les plus modernes d’Afrique, après ceux de l’Afrique du Sud. Ils savent aussi que le futuriste stade de Radès, bijou high-tech de 60 000 places, est le plus moderne du continent. Les 1 200 journalistes accrédités pour la compétition – un record ! – ont pu bénéficier de toutes les facilités pour travailler, les Tunisiens ayant même mis un point d’honneur à équiper les salles des centres de presse de connexion Internet haut débit. La Tunisie sait recevoir, et les équipes participantes ont eu l’occasion de le vérifier, puisqu’elles ont trouvé sur place des conditions d’hébergement et de séjour impeccables, contrairement à bien des éditions précédentes.
La CAN 2004 a été une belle réussite. Mais le succès de l’ensemble ne doit pas masquer quelques points noirs, pour l’essentiel la sécurité et la billetterie. Les débordements qui ont suivi la rencontre Algérie-Maroc, imputables à des hooligans algériens, mécontents à la fois de l’accueil glacial qui leur avait été réservé à Sfax et de la défaite de leur équipe, étaient évitables. Les autorités auraient dû se concerter avec la fédération algérienne pour la distribution des places, prévoir un filtrage des supporteurs, n’accepter que ceux munis de billets, et organiser un minimum de conditions d’hébergement et d’accueil pour les visiteurs, qui ont trouvé une ville morte à leur arrivée et n’ont même pas pu se restaurer. On peut également se demander si la réaction des forces de l’ordre, mal préparées à ce genre d’événement, n’a pas été disproportionnée. Les policiers ont eu la main lourde, et ne s’en sont pas pris qu’aux seuls hooligans responsables des déprédations et des pillages.
L’autre lacune criante concerne la gestion de la billetterie des matchs de l’équipe tunisienne. Elle s’est effectuée en dépit du bon sens : les précieux coupons, annoncés à tel ou tel point de vente, étaient souvent introuvables aux guichets. Pas au marché noir : les spéculateurs, bénéficiant de complicités avérées, s’en sont donné à coeur joie. Enfin, mais cette fois la faute n’en incombe pas aux organisateurs, le chauvinisme du public, qui s’est acharné, à chaque rencontre, à siffler l’hymne de l’adversaire, a produit une impression assez désastreuse. Surtout pour un pays réputé par ailleurs pour son sens de l’hospitalité et de l’accueil. En revanche, et le fait a été insuffisamment relevé, l’équipe de Tunisie n’a à aucun moment profité des faveurs de l’arbitrage, au contraire. Il n’y a pas eu « d’arbitrage maison », et personne ne s’en plaindra.
Longtemps en panne de résultats probants sur les scènes africaine et mondiale, les Tunisiens étaient affublés d’une étiquette de « serial losers ». « Bons organisateurs, mais piètres compétiteurs », pouvait-on entendre ici et là, avec une condescendance amusée. La victoire du onze rouge et blanc, qui efface la déception de la CAN 1994, déjà organisée à domicile, et magistralement loupée par le pays hôte, éliminé au premier tour, arrive à point nommé pour faire taire les sarcasmes. Elle va aussi achever de décomplexer la génération montante des sportifs tunisiens. Ils règnent maintenant sans partage sur les disciplines collectives, puisqu’ils sont simultanément champions d’Afrique en football, en handball et en volley-ball. En sports individuels, le bilan est un peu plus contrasté, on cherche toujours un successeur au mythique Mohamed Gammoudi, champion olympique du 5 000 mètres à Mexico en 1968. Mais de nouveaux talents s’affirment, à l’instar du judoka Anis Lounifi, sacré champion du monde en 2001, et du très prometteur nageur Oussama Mellouli, médaillé de bronze aux derniers mondiaux et grand espoir pour les J.O. d’Athènes de l’été 2004. L’investissement massif de l’État dans le sport a fini par payer.

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