Côte d’Ivoire « Préférence nationale »

Publié le 15 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

Tempête dans un verre d’eau ou prémices d’une réforme du droit du travail ? L’arrêté du
ministre ivoirien de la Fonction publique et de l’Emploi, Hubert Oulaye, et de son homologue de l’Économie et des Finances, Paul Bohoun Bouabré, sur l’ivoirisation des emplois salariés était passé inaperçu au moment de sa signature, le 19 février. Son contenu déclenche aujourd’hui une petite polémique. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) estime qu’il « viole [] les principes fondamentaux de l’intégration ». Plus encore, il va à l’encontre de l’article 91 du traité de l’Union
économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) qui exclut « toute discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la recherche et l’exercice d’un emploi ».

Dans l’esprit des ministres, l’objectif de l’arrêté est de promouvoir les compétences nationales, favoriser l’embauche des nationaux dans les entreprises et faire entrer un peu
d’argent dans les caisses de l’État. Il permettra aussi de disposer de statistiques sur
les salariés non ivoiriens exerçant sur le territoire. Que prévoit-il ? Tout poste à
pourvoir doit faire l’objet de deux mois de publication dans un organisme de placement
agréé par l’État. Passé ce terme, si aucun Ivoirien ne satisfait au profil recherché, l’employeur est autorisé à recruter un étranger, à condition de fournir à l’administration un « plan d’ivoirisation », c’est-à-dire un engagement à trouver, dans les deux ans, un Ivoirien capable d’occuper le poste. L’étranger employé devra être muni d’un visa de contrat de travail, qui coûtera à son employeur un mois de salaire brut la première année. Si ce dernier ne met pas en uvre sa recherche d’un Ivoirien, il lui en coûtera deux mois de salaire brut l’année suivante. S’il entre en infraction avec l’arrêté, les pénalités pourront atteindre quatre mois du salaire de l’employé, lequel sera alors frappé d’une interdiction de travailler.
L’idée n’est pas nouvelle, elle date de 1970, lorsque le président Félix Houphouët-Boigny entreprend de s’affranchir de la mainmise de la France sur l’encadrement national. Dix ans après l’indépendance, trois quarts des cadres supérieurs de la fonction publique sont
encore français, et il faut favoriser leur remplacement par des nationaux. Il devient aussi obligatoire, pour toutes les entreprises, de présenter un plan d’ivoirisation du personnel.

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En 1978, alors que le « miracle ivoirien » commence à battre de l’aile, un ministère du Travail et de l’Ivoirisation est mis en place pour créer des emplois réservés aux nationaux, notamment dans les hautes fonctions politico-administratives. La multiplication
des sociétés d’État doit, à terme, permettre l’émergence d’une bourgeoisie nationale, susceptible de dynamiser le marché intérieur. Le « Vieux » réussit ainsi à combiner une politique de préférence nationale avec son discours d’intégration des étrangers, toujours d’actualité, car l’ivoirisation des cadres encourage aussi l’accès à la nationalité ivoirienne. « À ses détracteurs, il aimait répondre que la politique volontariste ivoirienne d’accueil des étrangers donnait le droit aux Ivoiriens de se réserver quelques privilèges », rappelle Elen Jolivet, de l’École des hautes études en sciences sociales
(EHESS), à Paris, spécialiste du fait national dans les services publics. Il n’était pas
encore question d’ivoirité.

Au fil des années, la crise économique et le chômage se sont accentués. Au début des années 1990, la fermeture du marché de l’emploi aux étrangers se double de mesures destinées à freiner l’immigration, comme l’instauration de cartes de séjour payantes pour les ressortissants de la Cedeao par le gouvernement du Premier ministre Alassane Ouattara. Il faut cependant rappeler que cette décision avait force de loi, ce qui n’est pas le cas de l’arrêté des deux ministres, qui devra nécessairement être amendé pour ne pas entrer en contradiction avec les traités supranationaux.

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