Cruels orphelins

Jean-Philippe Stassen raconte la vie d’enfants des rues, dans un pays qui ressemble beaucoup au Burundi. Sensible et juste.

Publié le 15 mars 2004 Lecture : 2 minutes.

Le dessinateur belge Jean-Philippe Stassen est un grand jeune homme blond au phrasé un peu haché que l’on sent pétri à la fois de doutes et de certitudes morales. Il s’est fait connaître avec deux bandes dessinées remarquables : Le Bar du vieux Français et, surtout, Déogratias, qui portait sur le génocide rwandais de 1994. Il publie aujourd’hui Les Enfants, chroniques de quelques journées au bord d’un lac africain. Certains reconnaîtront le Tanganyika, même si Stassen s’en défend : « J’aurais pu parler du Burundi, parce que c’est un pays qui me tient à coeur. Mais je ne pouvais pas le faire, parce qu’entre le moment où j’ai commencé le scénario et la sortie du bouquin, il aurait pu se passer plein de choses. »
Pas de doute : nous sommes dans la région des Grands Lacs. Les plages sont calmes, mais les obus de mortier tombent régulièrement, pas très loin, « derrière les collines ». Mongol, Angel, Airbus et Black Domino errent entre les locaux de l’ONG humanitaire Savinn’ où la blonde Suédoise Anika et son petit ami Recto essaient de les occuper avec travaux manuels et matchs de foot -, le bar-cinéma d’Achille, la plage et les rues où attendent les prostituées. La guerre habite les esprits. Le petit Angel se tient la tête à deux mains : « Mon crâne se resserre… Ils ont assassiné maman… Merde… » Mongol ne parle qu’aux bêtes et aux objets. Airbus se réfugie dans la violence. Black Domino s’invente un autre destin où il ne serait pas cet orphelin solitaire, pour qui la cigarette est « comme une maison, une patrie ». Jean-Philippe Stassen élabore des personnages complexes, angoissés, parfois naïfs. « Ils sont toujours puérils : ils réfléchissent avec des idées très simples qui ne leur permettent pas de comprendre que le monde est complexe », affirme-t-il.
Le trait est reconnaissable entre tous : des contours noirs, épais, des couleurs sombres où subsistent des éclats de lumière. Des cieux qui passent du bleu à l’anthracite de l’orage. Des nuits étoilées. Une atmosphère africaine jusque dans les moindres détails. Et au fur et à mesure que se déroule l’histoire, le lecteur s’enfonce dans les ténèbres. Les mots deviennent plus violents, les couleurs plus sombres, les enfants plus cruels. Stassen dérange, bouscule les certitudes, navigue entre les clichés. Sans concessions, mais aussi sans lourdeurs moralistes, il fustige les idées reçues qui dictent les attitudes les plus ridicules comme les plus violentes. Parmi celles-ci, l’idée que l’homosexualité est une perversion inventée et importée en Afrique par les Européens. « ça me révolte, confie Stassen. Il suffit de discuter avec des gens qui se présentent comme intellectuels pour entendre des propos homophobes. » Dans la bande dessinée, le personnage de Nefertiti, homosexuel affirmé, méprisé, battu par les enfants, est d’ailleurs le plus juste et le plus émouvant.
Pessimiste, Jean-Philippe Stassen ? « Oui, je suis un pessimiste, désespéré par la façon dont le monde évolue. J’ai de plus en plus l’impression que tout se referme, que les gens ont de plus en plus peur, se replient et refusent de réfléchir. » Mais comme la nuit est parsemée de lumières, il corrige aussitôt : « Chaque fois que je vais dans cette région, je suis épaté par l’inventivité des gens pour essayer de bricoler quelque chose de vivable. »

Les Enfants, de Jean-Philippe Stassen, éd. Dupuis, 84 pp., 13 euros.

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