À chaque métier son Internet

Une société française développe sur téléphone mobile des services destinés à faciliter le travail des agriculteurs sénégalais.

Publié le 15 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

Tous les matins, avant de faire le tour de son exploitation de Keur Ndiaye Lô (à environ 30 kilomètres de Dakar), Mamadou Lamine Sané utilise son téléphone portable. Pas pour passer un coup de fil, mais pour se connecter à Internet. Grâce aux services multimédias professionnels développés par la société française Manobi, l’agriculteur de 47 ans se renseigne quotidiennement sur l’offre et la demande des marchés locaux, consulte les prix auxquels ses produits (choux, oignons et tomates) doivent être vendus ou reçoit un courrier électronique.
Mamadou utilise cette technologie depuis deux ans et demi. « Lorsqu’un technicien de Manobi est venu me voir pour me proposer ce service, j’étais confronté à un vrai problème de gestion, se souvient-il. J’étais obligé de me rendre sur les marchés tous les jours pour vendre mes choux et mes oignons au bon prix tandis que ma femme s’occupait des tomates. Grâce à Manobi, je suis tranquille : je sais à quel prix vendre et je peux arpenter mes dix hectares et gérer mes huit employés. Et en deux ans et demi, ma production annuelle est passée de 270 à 310 tonnes, tous légumes confondus. »
Mamadou Lamine Sané savait déjà se servir d’un téléphone portable avant de connaître Manobi, mais, pour les agriculteurs néophytes, la société dispense une petite formation. « Nous formons les exploitants à bien utiliser leur mobile et à être efficaces. C’est moins compliqué qu’on le pense. En deux séances de deux heures, ils maîtrisent le téléphone et les services », explique Daniel Annerose, informaticien et agronome, directeur de Manobi.
Pour le moment, la société, qui s’est associée à la Sonatel, principal opérateur téléphonique du Sénégal, compte quatre cents abonnés. « En fait, nous dénombrons quatre cents terminaux. Derrière chaque terminal, il y a plusieurs utilisateurs. Lorsqu’un agriculteur se connecte, d’autres consultent les données avec lui », précise Daniel Annerose. Soixante pour cent de ces utilisateurs sont analphabètes, c’est pourquoi Manobi a développé une interface iconographiée lisible par tous. Le service complet de base est facturé 100 F CFA par jour, soit moins de 5 euros par mois. Une fois les frais payés, le gain est en moyenne supérieur au coût du service, à savoir autour de 400 000 F CFA par hectare cultivé. Daniel Annerose donne l’exemple d’un petit exploitant auquel un intermédiaire voulait acheter un kilo de piments rouges à 1 500 F CFA en prétextant que le prix du marché était de 2 000 F CFA. L’exploitant en question a procédé à une vérification avec son portable : le prix au kilo était en fait de 3 500 F CFA…
« Avec nos prestations, nous avons voulu mettre l’essor du téléphone mobile en Afrique au service de la réinsertion économique et sociale, indique le directeur de Manobi. Il fallait amener les opérateurs téléphoniques à mieux considérer la place des ruraux, qui représentent 70 % de la population active. » Les données fournies par Manobi permettent aux agriculteurs d’améliorer leurs rendements et les conditions de commercialisation de leurs produits. Ces informations sont récoltées par douze enquêteurs qui suivent en temps réel sept places de marché « fruits et légumes » et trois places de marché « poissons ». Plus de 60 000 données sont ainsi collectées par jour et disponibles dans la seconde.
Avec cette innovation, Manobi a été nominée pour le meilleur projet « e-inclusion » au Sommet mondial de la société de l’information de Genève (10-12 décembre 2003). Mais la société ne compte pas s’arrêter là. Après les agriculteurs, ses dirigeants ont décidé d’équiper les pêcheurs en développant une aide à la sécurité en mer par système GPS/GSM et Internet. Ils ont donc créé un service météo, toujours via le mobile, pour la pêche artisanale. Ce qui n’existait que pour la pêche maritime.
« L’idée répond à une vraie demande des pêcheurs, affirme Daniel Annerose. Nous avons fait évoluer notre plate-forme avec des services de géolocalisation et une iconographie superbe qui répertorie les types de poissons. Avec toujours la même logique : rendre accessibles les données au plus grand nombre. Environ 60 pêcheurs, mareyeurs et exportateurs de poissons utilisent ces services ; les tests sont terminés, mais nous avons besoin de financements. Il n’existe pas de mécanismes adaptés au soutien de l’innovation en Afrique, pourtant les idées et les contenus sont là. D’ailleurs, ce que nous développons au Sénégal aujourd’hui commence à intéresser l’Europe. »

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