[Tribune] Les « enfants fantômes » du coronavirus

L’enregistrement des naissances par l’état civil, identifié par les Nations unies comme un enjeu prioritaire de développement, est remis en question en Afrique depuis le début de la pandémie. Un drame pour des millions d’enfants privés d’identité juridique.

La pandémie de Covid-19 fait craindre que la dynamique en faveur de l’accélération de l’enregistrement des naissances ne soit brutalement interrompue. © Sylvain Cherkaoui pour JA

La pandémie de Covid-19 fait craindre que la dynamique en faveur de l’accélération de l’enregistrement des naissances ne soit brutalement interrompue. © Sylvain Cherkaoui pour JA

  • Abdoulaye Harissou

    Co-fondateur et Président du Comité de gestion du fonds Urgence Identité Afrique. Ancien président de la chambre des notaires du Cameroun et des notaires d’Afrique, co-auteur de l’ouvrage « Les enfants fantômes » préfacé par Robert Badinter, paru aux éditions Albin Michel

  • et Amadou Moustapha Ndiaye

    Co-fondateur du fonds Urgence Identité Afrique. Ancien président de la chambre des notaires du Sénégal et Vice-président du conseil économique, social et environnemental

Publié le 17 septembre 2020 Lecture : 3 minutes.

C’est un drame qui se joue en silence. En Afrique, moins d’une naissance sur deux est déclarée et enregistrée à l’état civil. Plus de 95 millions d’enfants de 0 à 5 ans sont ainsi privés d’identité juridique – sans oublier ceux qui sont à l’école ou qui ont atteint l’adolescence, voire la majorité, sans jamais faire l’objet d’actes d’état civil.

Le défaut d’identité légale transforme ces enfants en citoyens sans droits, voire en apatrides dans leur propre pays. Ils sont souvent privés d’éducation, source d’égalité entre les citoyens et d’émancipation sociale.

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Ne pouvant jouir de leurs droits fondamentaux et ayant des difficultés à accéder aux services essentiels, ils sont également à la merci des trafiquants d’êtres humains et victimes de toutes sortes d’abus dégradants et inhumains, comme le mariage précoce et forcé des jeunes filles, l’adoption illégale, les violences sexuelles, la prostitution infantile, l’enrôlement d’enfants-soldats…

Priorité absolue

La pandémie de Covid-19 fait craindre que la dynamique observée sur le continent en faveur de l’accélération de l’enregistrement des naissances ne soit brutalement interrompue. Or le contexte sanitaire inédit et contraignant dans lequel nous vivons ne doit pas nous pousser à l’isolement, et encore moins à baisser les bras. Bien au contraire, cette situation doit être une source d’émulation en faveur d’une solidarité humaine agissante.

Les États et les organisations internationales doivent prendre conscience de la nécessité de faire du combat pour l’identité juridique une priorité absolue. Le sujet est fondamental à bien des égards. Non seulement parce que cette situation est moralement inacceptable pour des dizaines, voire des centaines de millions d’enfants à naître, mais aussi parce qu’elle constitue un facteur de risque majeur sur les plans politique, économique, social et sécuritaire.

En dépit des conventions internationales signées et ratifiées par pratiquement tous les pays africains, nombre d’entre eux ne bénéficient pas d’un état civil fiable et consolidé. Certains États manquent des moyens financiers et humains voire technologiques nécessaires à la bonne tenue de l’état civil, d’autres sont dépourvus d’une réelle volonté politique de pallier les défaillances des systèmes d’enregistrement.

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L’extrême pauvreté, le déficit d’informations, la corruption, le poids des traditions, les conflits armés, les incessants flux migratoires intra-africains, constituent des entraves majeures à la consolidation de l’état civil sur le continent.

Un système fiable

Faisons preuve de générosité, de solidarité, d’ingéniosité et de créativité pour installer et pérenniser des actions qui, tout en permettant un système d’enregistrement des naissances fiable et décentralisé, préservent la souveraineté des États et la dignité des citoyens.

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Favorisons et dopons l’usage intelligent, adapté et prudent des outils numériques qui nous offrent de formidables opportunités dans les domaines de la déclaration, de l’enregistrement des naissances, de la conservation et de l’archivage des actes d’état civil. La confidentialité et la propriété des données constituent un enjeu de souveraineté pour les États africains. Il leur faut donc observer la plus grande prudence dans la conduite de leurs relations avec d’éventuelles sociétés de services privées.

Il faut aussi éviter de fragiliser la démarche citoyenne et volontaire qui caractérise l’état civil et qui contribue à forger un État-nation. Les systèmes locaux et décentralisés (collectivités locales) sur lesquels repose l’état civil en Afrique risquent de se trouver davantage affaiblis s’ils sont laissés pour compte lors de l’adoption de nouvelles technologies. La décentralisation est essentielle à l’ancrage de la reconnaissance des individus, en ceci qu’elle donne accès aux droits fondamentaux, favorise une dynamique d’inclusion et permet la stabilisation des relations sociales sur les territoires.

Le fonds Urgence Identité Afrique, abrité par la Fondation Roi Baudouin, créé en février 2020 à Bruxelles par des personnalités africaines et des acteurs de renom international conscients de l’urgence du défi posé au continent, s’est engagé à coaliser la philanthropie et le mécénat des personnes physiques et morales impliquées afin de financer des actions permettant de consolider l’état civil des pays du continent.

Outre le fait de raviver l’engagement des collectivités locales, ce fonds s’évertuera, via la création d’un label « Commune zéro enfant fantôme », à enraciner une culture de l’état civil et à éradiquer à moyen terme le phénomène des « enfants fantômes ».

Ensemble, mobilisons-nous et agissons pour gagner ce combat afin d’aider ceux qui n’ont pas le choix de leur destin !

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